Jacqueline Kelen est une écrivaine aussi prolixe qu’éclectique. Avec quelque soixante-dix ouvrages à son actif, elle n’a cessé d’aborder pléthore de thématiques allant des grands mythes d’Occident aux diverses figures de la foi, via des récits philosophiques dont le commun dénominateur s’ordonnance autour de la spiritualité.
Une démarche mystique que l’on pourrait résumer par son précédent livre Histoire de celui qui dépensa tout et ne perdit rien également publié aux éditions du Cerf – lauréat 2020 du Prix de la liberté intérieure — qui s’inscrit en pleine continuité avec son dernier opus.
Car, si cette Grandeur de l’attente, est conçue dès le premier chapitre comme l’obscur désir de sens initié dans les pensées de Kafka, Malraux ou Pessoa, il trouve, cependant, toute sa plénitude dans le récit évangélique.
De sorte qu’à la parabole du Fils prodigue, fil conducteur de l’ouvrage ci-dessus plébiscité, c’est par l’exégèse autour des Noces de Cana que l’auteure étaye au mieux ce désir de l’attente compris comme « un refus de la futilité et de l’inconsistance. »
En s’attachant « à ce qui ne varie jamais, à l’impérissable, le Nazaréen renverse l’ordre des choses », écrit-elle. « Son geste fait comprendre aux convives et d’abord aux jeunes époux qu’il ne faut pas se griser de l’immédiat, ni croire que les plus beaux moments d’une vie se situent au commencement : l’amour ainsi que la sagesse demandent du temps. »
Un troisième volet de l’ouvrage intitulé Vendanges tardives au cours duquel Jacqueline Kelen ne va cesser d’évoquer ce bien-fondé de l’attente en se référant à maints exemples de l’Écriture. Notamment ceux axés sur l’épreuve de la Quarantaine, ces temps d’errance au désert, invitant davantage à une transformation personnelle et à un accomplissement qu’à un rejet, voire une punition insupportable.
La même attente que manifesta Noé lorsque, pour échapper au déluge, il se tint paisible et confiant comme s’il naviguait dans la main de Dieu. Un temps d’espérance et de délivrance, également comparable aux aventures de Moïse au désert ou d’Élie dans l’Horeb marchant quarante jours et quarante nuits, jusqu’à ce que la Présence divine se manifeste.
De fort belles pages mises exprimant la confiance dans l’attente qui n’ont, d’ailleurs, d’égales que les vertus de l’attente dans la relation d’amour.
« Parmi les plus beaux moments d’une histoire d’amour, je placerai l’attente dans une gare ou un aéroport », indique-t-elle. « Ces retrouvailles rappellent que l’amour vient de loin, qu’il fond sur nous à pas délicats depuis la nuit des temps et qu’il ne nous doit rien. »
Une notion de l’attente synonyme à la fois de mystère et de liberté que l’auteure va décliner à travers plusieurs mythes.
Celui de l’Odyssée entre Ulysse et Pénélope, poème de l’attente par excellence, comme celui des amants du Cantique des cantiques, ou encore de Tristan et Iseult, sans oublier la chanson de geste de la belle Aude éperdue d’amour en dépit de la mort de son cher Olivier. La plus authentique des fidélités selon l’écrivaine, car « se maintenir dans l’attente, s’en nourrir même, c’est affirmer un amour irréversible et célébrer l’unique, l’irremplaçable aimé », commente-t-elle.
Autant de célèbres légendes qui ne trouvent leur plein épanouissement dans la quête divine que dans le chemin vers l’au-delà. La soif de Dieu et Le saut dans l’éternité en l’occurrence, titres des deux derniers chapitres, dans lesquels Jacqueline Kelen exprime toute sa mesure et son idéal de conviction.
Qu’il s’agisse du :
« Je vis, mais sans vivre moi-même,
J’attends une vie si haute
Que je meurs de ne pas mourir » de Thérèse d’Avila
ou du célèbre verset du Psalmiste :
« Mon âme attend plus sûrement le Seigneur
qu’un veilleur n’attend l’aurore » :
Ce sont ces épigraphes placées en liminaire de chaque chapitre qui la synthétisent au mieux.
Dans ces temps essoufflés par une course incessante, cette belle méditation sur l’attente centrée vers l’intériorité et un ordre supérieur, se révèle ainsi aussi instructive qu’enrichissante.
Tout comme la vertu de l’oraison, tenant lieu selon le mot de Péguy, « du commencement de l’éternelle présence ».
Michel Bollasell
Vice-président de Mare Nostrum
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