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Parmi les intellectuels qui prirent position dans le conflit algérien, Albert Camus occupe une position particulière, par son origine et ses idées. Mais aussi par sa fin tragique qui lui a évité de connaître l’exil de sa mère. Lui qui se situait à la fois dans le refus du terrorisme et dans la recherche d’une Algérie fraternelle, multiculturelle et égalitaire, a été rejeté par les totalitaires des deux bords. Pourtant, il pourrait apparaître comme l’homme de la réconciliation parce que beaucoup d’hommes de bonne volonté peuvent comprendre ce qu’il a ressenti.
Dans la collection “Placards et Libelles”, Georges-Marc Benhamou publie “Guerre d’Algérie, pour saluer Albert Camus”.
C’est un format particulier, une grande feuille pliée en quatre, une sorte de journal qui complète le film, fait en collaboration avec Benjamin Stora, C’était la guerre d’Algérie.
Il faut souligner la performance de l’auteur qui réussit à nous restituer, en quelques paragraphes, une synthèse de la position complexe d’Albert Camus par rapport à l’Algérie. Il rappelle que ce pays a brûlé beaucoup de ceux qui eurent à intervenir, allant jusqu’à les faire renoncer à leurs valeurs, soulignant la force du lobby des partisans de la colonisation.

Combien d’anciens résistants patentés, d’officiers valeureux, de préfets impeccables, de clercs engagés, tous classés progressistes, se laissèrent emporter par la fièvre, dès qu’ils mettaient le pied à Alger ? Combien d’hommes de gauche finirent par rallier le camp des ultras de l’Algérie française ?

Il raconte un Camus se préoccupant très tôt, dès 1935, du sort réservé à la population indigène qui était dans un grand état de pauvreté. Il raconte cela dans Misère en Kabylie, puis dans les Chroniques algériennes.
Il décrit un camus visionnaire qui avait compris avant les autres qu’une évolution était nécessaire. Camus rêvait d’une Algérie fraternelle et égalitaire. Il était « un intellectuel anticolonialiste et antitotalitaire en acte », contrairement à Sartre qui avait écrit : « Abattre un Européen, c’est faire d’une pierre deux coups, supprimer en même temps un oppresseur et un opprimé ; restent un homme mort et un homme libre. »
Camus avait soutenu le projet Blum-Violette, qui apportait un certain progrès à la population algérienne, projet tué dans l’œuf par les ultras de l’Algérie française.
Par la suite, pendant la guerre d’Algérie, il fut déchiré entre ses valeurs humanistes qui l’amenaient à comprendre la nécessité des réformes et sa solidarité avec le petit peuple des Français d’Algérie dont il était issu. En fait, il a évolué d’une volonté d’assimilation fraternelle, à une solution fédérale qui aurait évité aux Algériens de passer par le stade du nationalisme.
Ne supportant pas le massacre des populations et les attentats terroristes aveugles, il avait proposé une suspension des hostilités afin que les civils innocents des deux bords soient épargnés. Sans succès. La réunion pour cette trêve se tiendra en janvier 1956 à Alger dans une atmosphère de guerre civile.
L’auteur nous décrit les déchirements de Camus, pris entre deux camps devenus irréconciliables. Il n’admettait pas l’idée qu’il y aurait une terreur légitime et une terreur illégitime, une torture tolérable et une torture intolérable, de bons et de mauvais morts.
À cause de son entre-deux, Camus fut rejeté de toutes parts. Les attaques dont il fut l’objet l’incitèrent à ne plus s’exprimer publiquement sur la question algérienne. Camus se retrouva terriblement seul. Il a écrit : « j’ai mal à l’Algérie comme j’ai mal aux poumons ».
La remise du prix Nobel en 1957 sera l’occasion de prononcer, quelques jours après, avec cette phrase qui restera célèbre « En ce moment on lance des bombes dans les tramways d’Alger. Ma mère peut se trouver dans un de ces tramways. Si c’est cela la justice, je préfère ma mère. » Elle doit être remise dans son contexte, car elle fut la cause de nombreuses critiques de la part des bien-pensants.
Camus révéla en même temps qu’il avait demandé plusieurs fois la grâce d’Algériens condamnés à mort pour terrorisme.
S’il n’était pas mort en 1960, victime d’un accident de la circulation, aurait-il soutenu une indépendance avec des liens forts persistants entre les deux pays ?
« Camus disparaît à la veille de la crise finale et de son impossible dénouement, nous laissant l’énigme de sa liberté ». L’auteur pense que :

L’idée que son monde d’hier, celui des noces, Alger, Belcourt, Tipasa, et que son utopie algérienne disparaisse, a dû lui paraître insupportable. Cette mort ? Une délivrance. Ne pas être obligé de choisir.

Cette publication est une ouverture, une invitation à aller plus loin à la rencontre d’Albert Camus dans son lien avec l’Algérie. Comme l’indique le titre, c’est un salut à Albert Camus, l’un de nos plus grands philosophes. On ne peut que recommander à ceux qui le souhaitent, de poursuivre par la lecture du livre d’Alain Vircondelet Camus et la guerre d’Algérie (Éditions du Rocher), qui a fait l’objet d’une chronique sur notre site.

Picture of Robert Mazziotta

Robert Mazziotta

Benamou, Georges-Marc, Guerre d’Algérie, pour saluer Camus, Le Cerf, Placards & libelles, n° 8, 03/03/2022, 1 feuille, 2,50€.

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