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Nomades ! Un mince livret sous une couverture discrète où se profilent les courbes élégantes d’une sculpture zoomorphe mutilée. Vibration Éditions et l’auteure ont choisi la sobriété.
Le nouveau roman de Mona Azzam vient de paraître en mars 2022, alors même qu’au Mali éclate ouvertement l’hostilité à la présence de l’armée française.
« Je suis moi Adama, enfant Peul, fils de nomade, petit-fils de nomade. » Par la volonté de sa mère, le petit berger de treize ans va quitter les espaces qui ont été les siens jusqu’alors : « le désert des dunes, infiniment renaissantes du Sahara », et le firmament bleuté dont la nuit, il interroge les étoiles.
La mère, en dépit de sa propre ignorance, l’a voulu ainsi : « Lire et écrire, c’est la liberté. Toi, Adama, tu seras libre » L’aîné des enfants ira s’instruire, loin de sa famille, à Bamako.
Dans Ulysse a dit en 2020, Mona Azzam confiait la parole à un gardien de phare solitaire pour transmettre l’appel et le destin tragique de Maimouna, petite émigrée Sanoufo.
Dans Amine, paru en 2021, plusieurs narrateurs se relayaient pour évoquer l’itinéraire brillant d’un petit Sahélien expatrié avec sa famille. L’obstination et le dévouement sans limite d’une enseignante, lui permettaient de construire son avenir en dépit de tous les obstacles.
Adama, l’enfant Peul, sera l’unique narrateur de sa propre histoire, et le récit fictionnel prend les allures d’une autobiographie, narrée en brefs chapitres au présent ou au passé. Mona Azzam sait si bien le faire de sa magnifique écriture accessible au plus large des publics.
Il est Adama, l’enfant Peul. Cette assertion revient en leitmotiv au fil de son histoire faite de déchirements et de renoncements.
Car ce roman déroule la vie d’un homme longtemps seul. La solitude est un thème récurrent dans l’œuvre de Mona Azzam…Sept années d’exil à Bamako puis Abidjan, pour acquérir un savoir et le diplôme qui lui ouvrent les portes du monde occidental.
Des retours sous la tente familiale où il est accueilli en étranger.
Solitude du meneur qu’il ne voulait pas être, après que AQMI ait dévasté le campement, tué son père et enlevé ses frères cadets.
C’est lui que la matriarche a désigné comme chef de tribu. Mais s’il en a les attributs ; il reste soumis à la volonté maternelle qui lui impose un mariage sans attirance et sans amour, à seule fin de lui assurer une descendance.
Il faudra à Adama des années pour enfin s’affranchir, affronter la femme qui l’a mis au monde et décider librement du destin qu’elle-même lui a tracé.
Comme Ulysse, comme Amine, Adama, écrit… Et l’écriture va lui offrir la possibilité d’une autre vie.
Comme elle aime le désert Mona Azzam pour si bien le décrire dans sa beauté formelle ou ses inquiétants silences, glissant les mots pour le dire comme le sable coule entre les doigts… !
« L’écriture est la seule forme parfaite du temps » nous rappelle-t-elle citant J.M.G. Le Clézio. La sienne nous laisse entrevoir l’univers envoûtant de l’immensité saharienne sous la plume d’Adama, le Peul et le nomade :

J’ai la mémoire des étendues infinies de sable qui ondulent quand rôde le vent. J'ai la mémoire des brûlures aux pieds au contact du sable brûlant, sous le soleil rude de midi et des lèvres desséchées offertes en sacrifice au zénith irradiant que la salive ne suffit pas à humecter. J'ai la mémoire du sable qui crisse entre les dents et du thé brûlant qui s'infiltre dans le corps. Des yeux nimbés d'étoiles et de la fraîcheur des nuits sans bruit.

Des phrases sensuelles et poétiques qui nous laissent entrevoir jusqu’au vertige des dunes sans fin, des cieux inexplorés, et un univers nomade en péril.
Et comme elle a foi dans le pouvoir de ces mêmes mots pour lutter contre les traditions qui entravent, et aller vers d’autres horizons sans renier ses racines !
Le titre au pluriel de son roman est sans ambiguïté. Son personnage porte un prénom universel, celui du premier homme dans la tradition biblique. Derrière lui, que l’écriture a libéré, se lèvent des cohortes d’enfants, que guettent la violence et le fanatisme des nouvelles hordes barbares.
Mona Azzam a dédié son roman à « ceux et celles qui se battent pour la paix au Mali et à la mémoire de celles et ceux qui y ont laissé leur vie ».
Œuvrer pour la paix, c’est, avant tout, aider l’autre à se délivrer des chaînes de l’ignorance.
Et celui qui a appris a le devoir de transmettre. Ainsi que le dit Christian Madet, il sera alors : « En Afrique, une oasis dans le désert ».
Mona Azzam le sait, et elle nous le dit, inlassable.

Christiane Sistac

Azzam, Mona, Nomades, Vibration éditions, 01/03/2022, 1 vol. (104 p.), 16€

 

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