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Jean Cocteau & Jean Desbordes, Je t’aime jusqu’à la mort : correspondance avec Jean Desbordes (1925-1938), Albin Michel, 11/10/2023, 1 vol. (272 p.), 22,90€.

Mon cher ami. C’est pour ceux qui lisent comme vous que j’ai fait mes livres.

C’est une histoire d’amour que nous découvrons par la correspondance entre les deux auteurs. Une véritable « découverte », comme le souligne l’éditrice Marie-Jo Bonnet, qui nous plonge à la fois dans une partie de la vie de Cocteau, mais aussi dans celle de Desbordes, bien moins connu que son pair tout en ayant contribué à l’histoire de la littérature et aussi à l’Histoire, notamment au sein de la Résistance.
Si beaucoup d’hommes tournaient autour du célèbre écrivain, peu ont réussi à le toucher autant. Jean Desbordes aimait la littérature, était lui-même auteur, et grâce au soutien de Cocteau, obtint de précieux conseils dans son parcours. D’un autre côté, le jeune homme lui redonna l’envie de vivre dans une période où l’auteur était malade à cause de son addiction à l’opium.
La correspondance de Jean Cocteau et de Jean Desbordes constitue une mine d’or pour l’histoire littéraire, et cela grâce à la détermination de son éditrice et de la famille Desbordes, prête à rendre hommage au héros de guerre qu’il fut également.

Une découverte bouleversante

Si les lettres sont merveilleuses, ce n’est pas seulement pour le style d’écriture. Ces dernières sont témoins de deux vies qui s’entremêlent, dont une, malheureusement, tombée dans l’oubli – celle de Jean Desbordes, héros de la Résistance, mort sous la torture allemande pour sauver ses camarades. Nous devons la réhabilitation de ce trésor littéraire à plusieurs personnages qui ont croisé la route de Cocteau et de Desbordes. Tout d’abord, Éliette, la sœur de Desbordes, qui fut également son amie, jouant un rôle très important de son vivant, insiste pour que son frère obtienne la Légion d’honneur et soit reconnu pour ses combats. Ce devoir de mémoire guide sa vie, mais il lui sera tout de même complexe de léguer ces échanges, car elle-même en voudra à Cocteau de s’être très peu prononcé à la mort de son frère. Nous devons cette quête de la reconstitution de l’histoire entre Cocteau et Desbordes à Pierre Chanel, un jeune historien d’art, qui décide de consacrer une émission à Desbordes pour Radio Nice et contacte Éliette. Au fil des conversations, Pierre Chanel insiste auprès d’Éliette pour que les lettres soient récupérées de par leur importance littéraire et historique. L’affaire sera compliquée, et la ténacité d’Éliette sans relâche. Ce n’est qu’à sa mort qu’elle lègue tous les documents à son neveu Étienne Grannet avec qui Marie-Jo Bonnet rentrera en contact. Enthousiaste à l’idée de voir qu’on s’intéresse à son oncle, ce dernier s’entretient avec l’éditrice, lui révélant ainsi l’ampleur de l’histoire d’amour avec Cocteau, mais aussi de l’indifférence quasi générale de la France concernant ses actes héroïques.

C’est ainsi que commence l’aventure d’archiviste de Marie-Jo Bonnet : lire les lettres, retracer une histoire secrète, du moins sous le regard d’aujourd’hui, réunir les fragments de deux vies guidées par l’amour et l’art.

Être l’œil témoin d’une histoire d’amour

Les amoureux de littérature connaissent le style unique de Cocteau, et cela, même lorsque l’auteur se livre plus intimement sur sa vie, en dehors de la poésie et du théâtre, notamment dans son journal de tournage de La Belle et la Bête où il apparaît particulièrement touchant. Dans cette correspondance, nous, lecteurs, suivons une rencontre à la fois artistique et amoureuse, d’un Cocteau déjà établi dans la littérature et d’un Desbordes jeune, admiratif, qui ose écrire à un grand nom de l’époque. Tout les sépare, mais aussi les réunit. Cocteau, plus âgé, est malade à cause de son addiction à l’opium alors que Desbordes est encore plein de vie et d’innocence. Desbordes lui apporte un bonheur précieux au milieu du chaos, et se démarque de tout autre qui aimerait dérober le cœur de Cocteau :

Et se peut-il mon amour qu’aujourd’hui, par ma seule existence près de toi, ma seule présence, mes yeux, tu as retrouvé, tu as trouvé le bonheur ?

L’un écrit depuis des années, l’autre est passionné. Les deux auteurs tissent ce lien au fil des pages, un lien si fort qu’il peut se briser à tout moment et se reconstruire aussitôt :

Vivre, écrire, sont deux choses. Ne vivant pas, tu vis en écrivant. C’est de la vie, de la fausse vie que tu dépenses au lieu de vivre et d’écrire. Je te voudrais de la vie et du silence.

D’ailleurs, en tant que lecteurs d’une époque où les téléphones portables sont notre principal outil de communication, il est bouleversant de constater que les lettres créaient un effet similaire. L’attente. La peur de ne pas avoir de réponse, du silence, de la perte de l’être aimé. Les diverses manipulations de l’extérieur pour les séparer. Les cœurs battants à l’idée de recevoir un mot. Des fragments de mots envoyés en attendant une lettre plus grande encore. Ces codes, nous les connaissons encore aujourd’hui, et c’est bien ce qui nous frappe, au-delà de la beauté de cette correspondance, et surtout de sa pureté :

Mais je m’endors votre lettre à la main. Elle fait partie de ma vie, elle est ma vie.

Une immersion intime

Ce qu’il y a de ravissant dans la lecture d’une correspondance, c’est qu’elle reste avant tout intime. S’il n’y avait pas eu tout un travail de recherche pour la retrouver et l’offrir au grand public, et surtout si Cocteau n’était pas devenu presque un personnage littéraire, nous ne l’aurions jamais lu. Combien de mots restent dans l’oubli, et se retrouvent, parfois, dans une ancienne de librairie, glissés dans une carte qui ressemble à un marque-page ? C’est toute la magie d’une telle lecture : Cocteau et Desbordes se racontent, des détails les plus banals à une description précise de la scène littéraire de l’époque et de tous les artistes qui en faisaient partie.

Mais, le plus touchant reste l’exploration de cette histoire d’amour naissante, puis grandissante, des déclarations aux détails d’une vie à deux, pleine de rebondissements, où se mêlent poésie et tendresse :

Il y a toi et mon amour, ma douceur pour t’apaiser, ma main pour guérir la douleur de ta crampe, il y a moi qui t’adore mon chéri, qui te caresse, qui t’embrasse. Faire l’amour, te regarder, t’entendre, tout est l’amour.

Il y a, d’ailleurs, un certain plaisir à suivre les étapes de cette histoire, que ce soit dans les passages les plus doux ou dans les moments les plus difficiles de leur relation, comme lorsque Cocteau en veut à Desbordes de lui avoir menti sur son voyage en Italie. Une immersion presque romanesque, alors que ces échanges relèvent de la vérité, et surtout, de la vie privée.

Des correspondances comme devoir de mémoire

Il est également important de souligner l’importance de ces correspondances. Jean Desbordes est décédé sous la torture allemande, après s’être engagé dans la Résistance. Le combat de sa sœur Éliette trouve ainsi une voix puissante par cette correspondance, qu’elle fut réticente à confier de son vivant. Réhabiliter Jean, le grand oublié de la guerre, qui, comme l’explique Marie-Jo Bonnet, a dû probablement l’être car homosexuel notoire. Nombreux homosexuels engagés ne furent pas reconnus pour leur héroïsme à l’époque. Réunir ces correspondances, c’est aussi témoigner de la vie intime et artistique du jeune auteur. Les pages de biographie de Marie-Jo Bonnet sont particulièrement appréciables car elle ne met pas uniquement Cocteau en avant, montrant ainsi que Desbordes avait sa place en dehors de cette relation passionnée et tumultueuse.
Les correspondances restent un héritage important pour la famille Desbordes, et ce devoir de mémoire de la Résistance, des actes héroïques de ces oubliés de l’Histoire qui ont, pourtant, sauvé un grand nombre de leurs amis. À la fin de la lecture du livre, nous nous souvenons d’ailleurs davantage du Desbordes héroïque que du jeune Desbordes naïf, enfant décrit par Cocteau. Au-delà de ces apparences, il se mue en véritable héros, portant la voix de la Résistance dans le silence des démarches effectuées pour le réhabiliter.

Je t’aime jusqu’à la mort, comme si la mort n’avait plus de limite tant ces lettres nous marquent, nous bouleversent, montrant une facette sensible de Cocteau et profonde de Desbordes. Une histoire d’amour, certes, et surtout, une histoire, celle d’un jeune homme qui vit en l’écrivain ses failles et toute sa beauté. Un récit, davantage que des échanges, de deux vies qui se croisent, se rencontrent, s’éloignent, mais se retrouvent dans l’éternité de l’intime ainsi exposé aux lecteurs, et surtout d’une Histoire dévastatrice qui réécrit doucement le combat de Jean Desbordes.

Image de Chroniqueuse : Manon Lopez

Chroniqueuse : Manon Lopez

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