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Florence Alazard, Jean des Bandes noires : un condottière dans les guerres d’Italie, Passés composés, 01/02/2023, 1 vol. (237 p.-8 pl.), 22€.

Il n’est pas rare, lorsque l’on visite l’Italie, de voir au milieu des places des villes trôner une statue équestre, représentant un homme au visage fier, au geste belliqueux et à l’armure somptueuse. Monté sur un cheval lourdement caparaçonné, il semble veiller sur la tranquillité des habitants tout en les incitant à prendre les armes contre tout envahisseur et pourfendeur de leurs libertés citadines.
C’est qu’entre la dernière moitié du XVe siècle et la première moitié du 16e, l’Italie a connu les pires affres de la guerre. Véritables confettis jetés sur le terrain, les principautés, duchés et autres républiques se sont entretués pour des parcelles de terre riches en production, pour des ports de commerce à l’activité dynamique ou tout simplement pour sauvegarder jalousement les prérogatives gagnées au prix fort sur des papes récalcitrants ou des empereurs germaniques voulant s’allier les populations. Ajoutez à cette situation le désir des Français d’agrandir leur territoire, l’énergie des Espagnols à les en empêcher et des Suisses désirant farouchement avoir leur part de gâteau italien et le tableau des malheurs sera complet.
Pour faire la guerre, il faut des soldats. Mais où les trouver ? Aucune des cités-états ne possède la ressource humaine pour former ne serait-ce qu’un bataillon de trois mille hommes. On va donc acheter des mercenaires, difficiles à manier, prompts à piller, tuer, trahir ou déserter. Seuls des chefs charismatiques peuvent contenir cette chiourme. Contactés par les demandeurs, ils signent une condotta – une conduite – garantissant aux payeurs un apport en chair à canon. L’histoire les immortalisera sous le nom de Condottières. Jean des Bandes Noires est de ceux-là.
Florence Alazard, historienne spécialiste de la période et auteure d’autres ouvrages sur le conflit italien, nous expose avec clarté et brio la vie et la mort d’un rejeton de la grande famille régnante de Florence : les Médicis. Issu de la branche cadette, cousin de Laurent le Magnifique, Jean de Médicis va, au cours de sa brève existence, connaître ce qu’il y a de plus beau et de plus affreux dans la péninsule accablée par le fléau des guerres d’Italie. Sa position sociale, pourtant élevée, ne lui permet pas d’accéder à de hautes fonctions politiques. Par contre, son caractère de cochon et sa violence, exprimés dès son plus jeune âge vont le hisser à coups d’épée vers le métier des armes.
Loin du personnage obscur et inconnu que nous pourrions deviner à la lecture de la couverture, Florence Alazard nous fait découvrir un soldat qui, en son temps, a défrayé la chronique et a inspiré de nombreux artistes, tant peintres que sculpteurs, dont on peut admirer les œuvres dans les plus connus des musées et sur les plus belles façades. Les grands écrivains de l’époque, parmi lesquels Machiavel lui-même, s’en sont approprié les sombres exploits.
Jean de Médicis, malgré le nom qu’il porte en cette période de la Renaissance, est une brute. Dès son adolescence, il cherche noise à quiconque se place au travers de son chemin. Il dégaine son épée aussi promptement qu’il se sert de ses poings. Ses parents, puis ses oncles sont désespérés car les plaintes pleuvent et le nom de famille ne suffit bientôt plus dans la belle ville de Florence à le dégager de ses responsabilités. Heureusement pour lui, un pape bienveillant accepte de le recueillir dans la cité romaine. S’il va échapper là à la potence, il n’en a pas moins une carrière à faire. Cela tombe bien ! Les Français comme les Impériaux voudraient bien faire plier le genou au successeur de Saint Pierre. On cherche des belliqueux ; en voici un qui fera bien l’affaire.
Rapidement marié à une jeune de la “Haute”, qu’il ne verra que bien peu, Jean étoffe une troupe de malfrats, de gueux et de professionnels des massacres pour en faire ses bandes, qui pour l’heure ne sont pas encore “noires”.
Dûment payé et adoubé par le Saint-Père, le trublion des Médicis commence sa sinistre carrière. Là où il passe avec ses gens, nulle envie de mettre bas les armes à son approche ; il faut se battre avec le courage du désespoir car le condottiere n’a pas la réputation de faire des prisonniers ni de laisser âme qui vive derrière lui. Avec ses reîtres, Jean pille et tue sans aucun résultat tactique si ce n’est pour inspirer la terreur. Il n’y a que lorsqu’il rencontre avec ses hommes des formations militaires aguerries qu’il consent à passer son chemin. Et sur sa route, il va en trouver, particulièrement des Français. Alors pourquoi ne pas jouer la carte des probables vainqueurs ? Le Médicis ne s’encombre pas d’honneur – ou alors le sien ! – et la félonie la plus assumée le pousse alors à changer de camp. Les souverains français, de Louis XII à François 1er, ne s’embarrasseront pas de scrupules devant cette recrue de choix, pourvu qu’il puisse faire la nique aux Espagnols.
Mais la gloire, la vraie, ne veut pas de lui. Absent à la victoire française de Marignan, il n’en continue pas moins de semer la mort lors d’escarmouches secondaires comme pour prouver à François 1er qu’il reste un interlocuteur de choix. S’il ignore la pitié, il est très doué pour la cruauté, n’hésitant pas à pendre haut et court ses propres soldats pour des peccadilles. Une grande confrontation se précise, entre Français et Espagnols. Il veut en être ! Laisser à la postérité une image de Bayard – comment ose-t-il se comparer à lui ? – lui conviendrait à merveille. La justice divine existe peut-être car une vilaine blessure le cloue au lit alors que se profile la bataille de Pavie. Faisant venir le meilleur médecin juif à qui l’on n’a pas laissé d’alternative, Jean livre sa jambe meurtrie au savant, alors qu’il n’est plus temps.

Si de nombreux Italiens se réjouissent de sa mort, après d’horribles souffrances, ses mercenaires voient la perte de leur chef comme la fin d’un contrat où il était permis de s’adonner aux pires exactions. Ils décident de porter désormais une cape noire en signe de deuil. La légende est née.
Les bandes noires de Jean de Médicis n’ont donc existé qu’après la mort de ce dernier. Pourtant, le mythe perdurera à travers l’histoire. Une autre dénomination aurait été plus juste : “Les bandes de Jean le Noir”.

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Chroniqueur : Renaud Martinez

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