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Judith Herrin, Ravenne : capitale de l’Empire, creuset de l’Europe, traduit de l’anglais par Martine Devillers, Passés composés, 30/08/2023, 1 vol. (506 p.-32 pl.), 27€

Lors d’un voyage à Ravenne, Judith Herrin, professeure émérite au King’s College, se retrouve confrontée à un constat amer : “l’incapacité des auteurs à expliquer comment une aussi étonnante concentration d’œuvres de l’art paléochrétien avait pu exister, puis subsister à cet endroit.” Elle s’attèle à pallier ce manque dans son magnifique ouvrage consacré à Ravenne. Malgré son érudition, son travail est accessible au plus grand nombre, par le choix d’un voyage chronologique au fil des chapitres retraçant l’histoire de la ville et son rayonnement du IVe siècle de notre ère jusqu’à Charlemagne. Sa lecture est l’occasion de nous rappeler que la Méditerranée, carrefour de nombreuses civilisations, est le berceau de l’Europe.

Ravenne : capitale impériale et centre de l’art paléochrétien

L’histoire de Ravenne, c’est aussi celle des femmes et des hommes qui ont joué un rôle dans son embellissement. Nous ne savons que peu de choses des artistes et mosaïstes qui ont réalisé les œuvres encore admirées de nos jours. Mais l’histoire des empereurs, des rois, des évêques nous permet d’appréhender les influences qui ont donné à Ravenne son rôle majeur. Judith Herrin  montre comment par le jeu des rivalités de pouvoir et des querelles religieuses, cette ancienne garnison romaine du IIe siècle avant notre ère est devenue un centre politique entre Orient et Occident. C’est lors du règne d’Honorius (395-423) que la cité devient la nouvelle capitale de l’empire d’occident. En effet, Milan qui avait ce statut, est assiégée par Alaric, roi des Wisigoths. Ravenne présente des atouts indéniables pour la survie de l’empire. Elle est réputée imprenable en raison du réseau hydrographique du Pô dense. Elle offre également l’avantage d’être ouverte sur l’Adriatique.

Galla Placidia est indissociable du mausolée de Ravenne qui porte son nom. Avec son ciel resplendissant d’étoiles et sa décoration bleu et or entourée de motifs géométriques en trompe-l’œil, aux couleurs vives, guirlandes de fleurs et paniers remplis de fruits, il reste à ce jour l’une des plus éblouissantes dernières demeures jamais construites.

L’histoire de Ravenne, c’est aussi celle des femmes et des hommes qui ont joué un rôle dans son embellissement. Nous ne savons que peu de choses des artistes et mosaïstes qui ont réalisé les œuvres encore admirées de nos jours. Mais l’histoire des empereurs, des rois, des évêques nous permet d’appréhender les influences qui ont donné à Ravenne son rôle majeur. Judith Herrin  montre comment par le jeu des rivalités de pouvoir et des querelles religieuses, cette ancienne garnison romaine du IIe siècle avant notre ère est devenue un centre politique entre Orient et Occident. C’est lors du règne d’Honorius (395-423) que la cité devient la nouvelle capitale de l’empire d’occident. En effet, Milan qui avait ce statut, est assiégée par Alaric, roi des Wisigoths. Ravenne présente des atouts indéniables pour la survie de l’empire. Elle est réputée imprenable en raison du réseau hydrographique du Pô dense. Elle offre également l’avantage d’être ouverte sur l’Adriatique.

Il n’est pas aisé de l’attaquer, ni par mer, ni par terre. Les écueils qui occupent l’espace de trente stades à l’entour, empêchent qu’on ne l’aborde par mer, et les eaux que le Pô et d’autres rivières répandent sur la terre, ne permettent pas à une armée d’en approcher.

Honorius est le premier empereur à faire de Ravenne un centre politique, administratif et culturel.

Galla Placidia : princesse puis impératrice à Ravenne

Galla Placidia est indissociable du mausolée de Ravenne qui porte son nom. Avec son ciel resplendissant d’étoiles et sa décoration bleu et or entourée de motifs géométriques en trompe-l’œil, aux couleurs vives, guirlandes de fleurs et paniers remplis de fruits, il reste à ce jour l’une des plus éblouissantes dernières demeures jamais construites.

À mausolée extraordinaire, destin incroyable ! Galla Placidia est la fille de Théodose, qui officialise le christianisme dans l’Empire. Elle est donc aussi la demi-sœur d’Honorius. Née à Constantinople, elle est cependant à Milan avec la cour lorsqu’Alaric menace l’Empire d’occident. En 402, elle fait donc partie du voyage pour Ravenne, nouvelle capitale impériale. Mais c’est à Rome que le destin de la princesse bascule. Lors du sac de la ville, elle est capturée par les Goths et les suit pendant trois ans sur les routes d’Italie. Elle épouse même le nouveau roi, Athaulf. Ce mariage illustre à merveille le syncrétisme culturel entre cultures romaines et gothes, battant en brèche la légende noire des « invasions barbares » ayant balayé d’un revers de main l’Empire romain d’occident. Les Goths souhaitent même rebâtir l’Empire. A la mort de son mari, Galla Placidia et son jeune fils, règnent depuis Ravenne. L’impératrice contribue à l’embellissement de la ville par la construction en particulier de la deuxième basilique dédiée à Saint-Jean l’évangéliste. Son programme iconographique est une véritable œuvre de propagande au service de la dynastie afin de mieux la légitimer.

Ravenne et Byzance

Au VIe siècle de notre ère, Ravenne connaît de nouveaux bouleversements géopolitiques. L’empereur Byzantin Justinien, souhaitant reconstituer un Empire romain puissant, envoie son général Bélisaire en Afrique du Nord et en Italie afin de reconquérir ces territoires. Ravenne est au centre de l’attention du général byzantin en raison de la présence du trésor du roi Théodoric. À cette époque, la ville est la capitale du royaume des Ostrogoths. En 540, Bélisaire parvient à prendre Ravenne qui revient donc dans le giron byzantin. Sa position stratégique lui permet à la fin du siècle de devenir l’un des deux exarchats avec Carthage. Les exarques sont nommés par l’empereur à la tête de nouvelles organisations territoriales situées aux confins de l’Empire. Dotés de pouvoir civils et militaires, ils ont pour tâche de protéger Byzance des attaques extérieures.

Ravenne aux premiers temps de l’Islam

La superbe de Byzance se retrouve confrontée au VIIe siècle à l’expansion fulgurante de l’Islam, qui s’impose comme une nouvelle puissance géopolitique en Orient mais également dans le bassin méditerranéen. Les armées musulmanes font subir des défaites et des revers aux Byzantins qui voient leur territoire se réduire considérablement. Constantinople est même menacée tant sa position sur le Bosphore se révèle stratégique pour qui veut contrôler les routes vers l’Asie. Malgré les rivalités politiques et militaires, les échanges commerciaux et culturels persistent. C’est à cette époque qu’à Ravenne, un géographe anonyme entreprend une œuvre monumentale : une cosmographie de l’univers en cinq tomes. Sa description des territoires et des peuples méditerranéens du livre V prend pour point de départ Ravenne, la “nobilissima”, la plaçant au centre d’un monde byzantin en déclin en Orient.

Le déclin de Ravenne ?

En 751, la ville est prise par les Lombards. Mais c’est sans compter sur Charlemagne qui conquiert leur royaume en 774. Son fils Pépin se retrouve roi d’Italie et l’empereur vient à plusieurs reprises à Ravenne. Fasciné par les œuvres d’art de la ville, il les fait déplacer à l’instar de la statue équestre de Théodoric, disparue aujourd’hui mais dont nous avons la description d’Agnellus, premier historien de Ravenne (IXe siècle). Elle est transportée devant le palais d’Aix-la-Chapelle symbolisant ainsi le déplacement du centre de gravité du monde occidental.
Lors de la Seconde Guerre mondiale les offensives alliées pour débarquer en Italie fasciste, ont provoqué cinquante-deux bombardements saccageant une partie des monuments de Ravenne. Pourtant, les aviateurs britanniques s’étaient vus remettre une description de l’Italie et l’ancienne capitale impériale était connue pour ses chefs-d’œuvre : “en tant que centre de l’art chrétien primitif, Ravenne ne connaît pas d’équivalent“. Après des phases de restauration et l’inscription en 1996 sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO, Ravenne a retrouvé son attractivité et son statut à part parmi les villes d’Italie. Celle d’une cité modeste par sa taille mais dont la magnificence des œuvres d’art évoque un passé glorieux.

Si Venise a remplacé Ravenne comme grand centre marchand de l’Adriatique pour devenir le point d’entrée principal des artefacts, des idées politiques et de la culture byzantines dans l’ouest de l’Europe pendant des centaines d’années, Ravenne a attiré des empereurs et beaucoup d’autres voyageurs qui reconnaissent l’existence de son patrimoine historique et continuaient à admirer les accomplissements artistiques des débuts de la chrétienté. La confiance et la promesse qu’exhalent les mosaïques de ses églises, les inscriptions et monuments témoins de sa position éminente sous les empereurs romains, souverains goths et exarques byzantins continuent d’inspirer des générations de visiteurs pourtant déconcertés par le fait que tout doucement l’on en vient à oublier le rôle que joua cette ville dans l’histoire de l’Europe.

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Chroniqueuse : Marine Moulins

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