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Gonzague Espinosa-Dassonneville, La chute d’un empire : l’indépendance de l’Amérique espagnole, Passés composés, 15/03/2023, 1 vol. (383 p.), 23.50€.

Une chanson populaire entonne : “La faute à qui donc ? La faute à Napoléon”. Et si, pour une fois, cette phrase était vraie ? Cela arrangerait tout le monde, surtout les Espagnols, qui tentent encore de trouver une explication à la rapidité avec laquelle ils ont perdu leur empire américain.

L'héritage de Philippe II : L'ascension et la chute de l'empire espagnol

Cet empire, hérité de Philippe II et sur lequel le soleil ne se couchait jamais était le fruit d’expéditions maritimes dangereuses menées par des aventuriers de la mer ignorant la peur et les éléments déchaînés, d’explorations dantesques de conquistadors assoiffés d’honneurs perdus et d’espoirs de revanche. Il s’étendait des confins de l’Alaska à la pointe de l’hémisphère sud, regroupant une foison de civilisations désormais anéanties et de richesses incalculables et multiformes. En quelques années, tout fut perdu. Cependant, le mal couvait depuis longtemps.
Gonzague Espinosa-Dassonville est historien spécialiste du XIXe siècle. Il a épluché les documents à sa disposition afin de nous proposer, au travers de ce passionnant ouvrage, une vision juste et honnête de la déliquescence de l’empire espagnol aux Amériques, n’éludant aucune question.
Depuis plus de trois siècles, l’Espagne occupe une grande partie de l’Amérique, exploitant sans relâche les ressources découvertes par d’habiles et énergiques occupants. Les matières premières et les produits alimentaires sont expédiés sur le continent après avoir été extraits par des esclaves et des travailleurs de force. Le temps passant, les Espagnols ont implanté des gouvernements dont la hiérarchie est calquée sur leur pays. Sur un territoire aussi vaste, le découpage géographique s’avère indispensable. Au joyau de la couronne, la Nouvelle-Espagne (Mexique actuel), s’agrègent des terres sud-américaines, à la constitution et aux mœurs totalement différentes. En effet, rien n’est plus dissemblable de las “Tierras Calientes” d’Amérique du Nord que les hauts plateaux péruviens ou les plaines infinies de Patagonie. À l’heure des indépendances, cette situation aura son importance.

L'Empire espagnol : entre mainmise et révolte des colonies

Au début du XIXe siècle, plusieurs générations d’Espagnols sont désormais nées en terre américaine. Ces “Criollos” s’estiment plus Américains qu’Espagnols, malgré la toile d’araignée de l’administration européenne. En effet, sous la tutelle d’un vice-roi, les territoires sont découpés en provinces sous le commandement de sévères gouverneurs et autres “Corregidores”. Les “Cabildos” ou conseils municipaux ont tous pouvoirs pour mener à bien la politique royale, de plus en plus éloignée des nécessités coloniales.
À la mainmise des maîtres de l’Empire américain s’ajoute la soif d’enrichissement des seconds couteaux, qui n’hésitent devant aucune forfaiture pour parvenir à leurs fins. Le commerce avec Madrid décline car les produits manufacturés et les matières premières restent sur le continent afin de contribuer à la construction des colonies. Seuls l’or et l’argent parviennent encore dans les ports de la péninsule, après prélèvements effectués par des fonctionnaires véreux. Pour les “Criollos”, la coupe est pleine et d’aucuns initient une réflexion sur le futur de leur terre de naissance.
En 1808, sur la Péninsule, la situation est chaotique. Le roi et son héritier ont abdiqué manu militari au bénéfice de Joseph, frère de Napoléon. Une lutte d’une rare violence s’engage entre les Espagnols fidèles à Ferdinand VII et les troupes du roi Joseph. Elle va durer six ans. Autant d’années durant lesquelles les affaires coloniales passent au second plan. Livrés quasiment à eux-mêmes, les Américains, houspillés par des chefs charismatiques, décident de prendre leur destin en main.
La tâche n’est pas facile tant les Espagnols tiennent les rênes du pouvoir d’une main de fer. Aux premières manifestations pacifiques des “Criollos”, répondent le fer et le feu. Les révolutionnaires de la Nouvelle-Espagne donnent le ton en proclamant l’indépendance du Mexique en 1810, date toute théorique car la guerre civile, précédée d’un tombereau d’atrocités commises de part et d’autre, durera encore de nombreuses années.

L'indépendance en Amérique du Sud : entre espoirs et désillusions

En Amérique du Sud, des figures émergent, prenant la tête des rebelles. Leurs noms, synonymes de liberté mais également de candeur, feront la une des journaux européens. Les Bolivar, les San Martin et autres Sucre, s’emparent du ressentiment des mécontents pour les mener vers un avenir qu’ils croient meilleur. Les uns et les autres déchanteront rapidement. La Perfide Albion, qui mérite bien son nom en ces sinistres mais exaltantes journées, aident de leur mieux les révoltés alors qu’ils avaient appuyé les Espagnols dans leur combat contre les Français. Que voulez-vous, ce sont Messieurs les Anglais !
Incapable d’envoyer des troupes en Amérique, l’Espagne tente de sauver ce qu’elle peut, en signant des traités commerciaux visant à s’assurer la fidélité de certaines provinces ; en vain. Dans les colonies, on s’aperçoit que l’indépendance ne règle pas tout, surtout si on expulse les Espagnols, détenteurs de toutes les richesses. De petits “caciques”» tentent de tirer la couverture à eux, s’inventent des titres et singent bientôt l’Europe en se faisant couronner empereurs. Quel gâchis !

Le rêve brisé de l'unité américaine : de la liberté à la division

Épris de liberté en dépit de tout, les autochtones livrent leurs « libertadores » aux gémonies, lorsque ce n’est pas à l’acier d’un couteau. Ces derniers, dégoûtés, n’ont plus qu’à se faire petits en contemplant le produit de leurs efforts altruistes partir à vau l’eau. Le continent américain, qu’ils voulaient unir en une fédération équitable et juste, se morcelle en plusieurs états qui débutent leurs nouvelles vies en faisant la guerre à leurs voisins.
Alors que Simon Bolivar se retourne dans sa tombe, les « Criollos » imposent un nouvel ordre humain, au sein duquel seuls sont admis ceux de leur caste. Les esclaves noirs ? Ils font maintenant partie des sous-humains. Les Indiens, qui réclament le droit à vivre sur leurs terres ancestrales ? Un bon dressage au fouet ou une forte fusillade aura bien tôt fait de les faire rentrer dans le rang.
Tout peuple a le droit de disposer de lui-même, mais à quel prix ? D’aucuns diront que la liberté n’en n’a pas. Au XXIe siècle, tous les pays hispanophones de l’Amérique latine lorgnent vers leur « Mère Patrie » (ils ne la nommaient surtout pas comme ça dans la première moitié du XIXe siècle). Leur rêve ? Pouvoir fuir leur condition et venir s’installer dans la péninsule ibérique. Retour de bâton ? À vous d’en juger.

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Chroniqueur : Renaud Martinez

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