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De lui, je croyais tout savoir. Il avait été l’un de mes modèles et son exemple m’avait accompagné tout au long de ma carrière militaire. À travers ses mémoires ou dans les biographies dédiées au maréchal, je connaissais son enfance, rendue difficile suite à un grave accident, son opiniâtreté, ses parents, son frère et sa sœur chéris. Je suivais pas à pas son entrée à St Cyr, sa sortie dans les rangs de la cavalerie. Je revivais avec ferveur ses aventures coloniales dans les confins du monde. Au Tonkin, en Afrique, j’étudiais avec passion sa politique altruiste de pacification. Son livre iconoclaste, “Du rôle social de l’officier”, avait longtemps été mon ouvrage de référence.

Je l’avais vu passer de l’ombre à la lumière lors de sa nomination comme résident général au Maroc, en 1912. Là, faisant preuve d’une intuition remarquable et d’un doigté diplomatique hors pair, il avait su rallier à sa cause, et à celle de la France, les populations. Son opiniâtreté, mêlée à un sens peu commun du caractère humain, avait transformé ce pays de fond en comble. Promu maréchal de France, élevé à la dignité de Grand-croix de la Légion d’honneur, rien ne lui avait manqué. Mais rien non plus ne lui avait été épargné. Sa détestation du politique avait fini par le perdre, le vouant aux gémonies.
Chaque année, lorsque je vais rendre hommage à l’empereur aux Invalides, je ne manque pas de faire le tour du tombeau du maréchal Lyautey, mort en 1934. Enterré là où il avait voulu reposer, au Maroc, les incertitudes liées à l’indépendance de ce pays avaient fait revenir ses cendres à Paris. Oui, je croyais tout savoir de ce grand Français, mais j’ignorais l’essentiel.

C’est Alain de Savigny qui, dans son dernier opus, m’a fait découvrir Inès de Bourgoing. Sa production littéraire, quasiment dédiée aux femmes, montre à quel point on peut être attaché au sexe faible. Faible ? Voire ! Dans un style enjoué, à la première personne, il nous révèle la personnalité tellement attachante de celle qui fut l’épouse du maréchal. Et si ce dernier a connu une vie bien remplie et marquée par le sceau du courage et de la probité, il en va de même pour Inès. Jugez-en !

Née au sein d’une famille bien établie – son père est baron et écuyer de Napoléon III tandis que sa mère est dame d’Honneur de l’impératrice – la demoiselle fait preuve dès son plus jeune âge d’un dynamisme et d’une curiosité qui vont la pousser à entreprendre de nombreuses activités, toutes liées au bonheur des autres. Après un mariage « comme il faut » avec un fringant militaire, issu de Saint-Cyr, elle voit celui-ci s’éloigner pour de longues périodes aux confins de l’empire colonial de la France. Elle en profite pour élever ses deux enfants, qui épouseront le métier des armes.
Mais le malheur semble vouloir souvent viser ceux qui ne le méritent pas et c’est ainsi qu’elle se retrouve veuve à seulement 38 ans. Va-t-elle sombrer dans le désespoir ou l’habitude ? Que nenni ! Elle décide, passant outre les réflexions que son milieu ne manquera pas de lui asséner, d’entreprendre des études d’infirmière qui la mèneront rapidement à son diplôme.
Son savoir en poche, elle effectue sa première mission en 1901, à l’occasion d’un cataclysmique tremblement de terre dans le sud de l’Italie, qui fera plus de 200 000 victimes. Là, au plus près des blessés, n’épargnant ni sa peine ni sa fatigue, elle comprendra qu’elle doit désormais se consacrer aux meurtris de la vie.
Sitôt rentrée à Paris, elle décide de se rendre à Casablanca pour exercer sa profession, non sans avoir recruté nombre de ses amies de la belle société. Bien avant de connaître Lyautey, bien avant que la France n’impose son protectorat sur le Maroc, Inès va user de son charme, de son caractère et de sa bonhomie pour aménager, grâce aux dons qu’elle obtient par son opiniâtreté, des hôpitaux, des dispensaires et des formations sanitaires destinés à soigner les blessés militaires, les indigents et les femmes souffrant de multiples pathologies.
Après une rencontre fortuite avec celui qui deviendra son mari en 1909, elle s’impose comme la première dame à subvenir aux soins des infortunés. Jouissant d’une aura exceptionnelle parmi les sujets marocains, elle est promue au grade de caporal d’honneur par les légionnaires et les tirailleurs meurtris par les combats et remis sur pied grâce à l’énergie de “Lalla Maréchale”.
Bien après la mort de son maréchal de mari, survenue en 1934, elle continuera son magnifique sacerdoce dans son pays d’adoption, ne cédant sa place que lorsque la Faucheuse viendra la chercher à 91 ans. Elle est la première femme à avoir été élevée à la dignité de Grand officier de la Légion d’honneur.

À la lecture de ce livre passionnant, on ne peut que s’exclamer sitôt la dernière page refermée : Quelle femme !

Renaud MARTINEZ
articles@marenostrum.pm

Savigny, Alain de, “La joie de l’âme : l’incroyable destin d’Inès de Bourgoing Maréchale Lyautey”, Éditions Erick Bonnier, 14/10/2021, 1 vol, 22€

Ancien dirigeant d’entreprises internationales et ayant vécu dans plusieurs pays dont le Maroc, Alain de Savigny est devenu un historien spécialiste de l’Empire ottoman et du pourtour de la Méditerranée. Auteur de romans historiques, il écrit aussi des biographies de personnages d’exception, en particulier de femmes qui ont eu une vie remarquable, mais sont injustement méconnues. Professeur dans une université, il a donné dans le monde plus de cent conférences de culture historique et de géopolitique.

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