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Pour défricher la quintessence de la pensée d’un auteur, il n’est souvent à se référer qu’à la chronologie de ses écrits. Ainsi en va-t-il de Chantal Delsol dont les précédents ouvrages : « L’Âge du renoncement », « Les Pierres d’angle, à quoi tenons-nous » ? et « Le crépuscule de l’universel », – tous trois parus aux mêmes éditions du Cerf -, ne sont en quelque sorte que le fil d’Ariane d’une identique réflexion. À savoir, la mutation fondamentale qui s’est opérée dans nos sociétés.

« L’impression générale de l’époque est celle d’un reflux, voire d’un coucher de soleil, sur une plage qui fut autrefois animée », soulignait la revue Contrepoints dans sa critique de « L’Âge du renoncement » dont la thématique préludait les grandes lignes de « La fin de la chrétienté. »
« Si la chrétienté a été un facteur historique de civilisation, force est aujourd’hui de constater son irrémédiable agonie », atteste l’autrice dès le premier chapitre de l’ouvrage.
Depuis l’époque de la Renaissance mais surtout celle des Lumières puis de la Révolution, le processus s’est ainsi insidieusement propagé.

« Nous étions accrochés à un monde dont les valeurs ne sont plus que les lambeaux d’un christianisme déjà évanescent depuis longtemps. Et le christianisme se sent aussi étranger à la modernité sociétale que le fut le paganisme ancien, incapable alors de comprendre la nouveauté chrétienne quand elle perça au cœur de l’Empire romain », analyse Chantal Delsol.
La chrétienté comme civilisation est le fruit du catholicisme, religion holiste, défendant une société organique, récusant l’individualisme et la liberté individuelle. « Il était donc naturel qu’elle se heurtât à la modernité, et qu’une fois parvenue au zénith, son destin était de disparaître » ajoute-t-elle.
Un constat amer que les circonstances actuelles ne cessent d’étayer à ses yeux.
Avec une morale désormais tournée vers le bien-être de l’individu, sans vision anthropologique et où ce qui compte, se résume au désir assouvi dans l’instant, le mouvement d’une religion dominante ne pouvait que s’inverser.

« Ainsi, depuis la seconde moitié du XX° siècle, nos hiérarchies morales se sont littéralement transformées », fait-elle encore remarquer. Jadis, bannie et réprouvée, l’homosexualité est-elle justifiée ; le divorce, il y a peu impossible, puis difficile, ne rencontre plus d’obstacle ; au même titre que le suicide ne permettant pas auparavant de funérailles religieuses peut être de nos jours considéré comme un bienfait.
Autant de mutations d’un tableau de mœurs qui proviennent à ses yeux d’un mal plus profond. Celui d’un renversement des valeurs, certes, mais aussi l’attitude trop astreignante au cours des siècles de l’appareil ecclésial.
Un effacement institutionnel de l’Église d’autant plus amer et inévitable, juge la philosophe, « que la Rome des successeurs de Pierre s’était perdue dans sa domination et dans sa grandeur, dans la hiérarchie, l’autorité et la contrainte ».
Est-ce la raison qui concourt à ce que l’Institution et les clercs notamment, adoptent à présent une attitude de résignation et de renoncement ?

C’est ce que Chantal Delsol affirme en arguant « de ce sentiment de honte qui se conjugue avec les métamorphoses intellectuelles pour jeter le doute sur l’idée de mission et de transmission. »
Nombre d’erreurs et de navrants « mea culpa » qui auront pour effet d’éroder l’influence de l’Église et la feront basculer vers une inversion normative. De sorte, qu’en lieu et place d’un XXI° siècle religieux comme l’avait prophétisé Malraux, cette nouvelle ère devient le règne de l’écologisme et de l’humanitarisme.
« Une sacralisation de la nature constituant le socle religieux le plus primitif et le plus rudimentaire, et une nouvelle morale, genre de philanthropie pleurnicharde et victimaire, dominée par l’émotion et le sentimentalisme », commente-t-elle.

Un sombre tableau qui ne doit pas, selon elle, inciter au désenchantement.
« Car bien que privée de son pouvoir temporel et civilisationnel, l’Église ne sera pas empêchée de vivre. Pour accomplir la mission et transmettre, il n’est nul besoin de conquérir, il vaut mieux susciter l’envie de ressembler en portant tout à l’intérieur », encourage-t-elle.
Avant d’étayer son propos par une opportune conclusion : « l’expérience de nos pères nous apporte à cet égard une certitude : notre affaire n’est pas de produire des sociétés où l’Évangile gouverne les États. Mais plutôt, pour reprendre le mot de Saint-Exupéry, de marcher tout doucement vers une fontaine… »

Michel BOLASELL
articles@marenostrum.pm

Delsol, Chantal, « La fin de la chrétienté : l’inversion normative et le nouvel âge », Le Cerf, 14/10/2021, 1 vol. (171 p.), 16€

Professeur émérite des universités en Philosophie, membre de l’Institut, et chroniqueur au Figaro. Chantal Delsol est l’auteur d’ouvrages de philosophie, d’essais et de romans, traduits en une vingtaine de langues.

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2 Comments

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