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Max de Paz, La manche, Gallimard, 01/02/2024, 1 vol. (124 p.), 16€

Lorsque l’on évoque le très chic Ve arrondissement de Paris, plus particulièrement ces quelques rues qui s’entrelacent entre la Place Monge et celle des Grands Hommes, l’on songe au luxe discret des immeubles cossus, aux élèves ou étudiants bien nés d’Henri IV et d’Assas, à une certaine idée du raffinement à la française exposé aux terrasses de la rue Mouffetard ou de la Place de la Contrescarpe. Dans son premier roman « La manche », le très jeune romancier Max de Paz (il est né en 2002) nous donne à voir de ces lieux une autre réalité, beaucoup moins rose, beaucoup plus dure.

Son héros, Jonas, également tout jeune homme, évolue assidûment au sein de ces rues cartes postales mais lui ne le fait ni pour le plaisir des flâneries touristiques, ni pour l’ivresse d’y fréquenter des établissements prestigieux. Lui est un SDF, un clochard qui dort à même le sol, sur une bouche d’aération du métro à quelques pas du Panthéon où la patrie reconnaissante offre aux grands hommes un sommeil de pierres et de dorures. Jonas essaye, la nuit venue, de glaner quelques heures de sommeil puis il occupe ces journées aux menues combines censées lui rapporter quelques pièces pour assurer sa subsistance. Le chaos familial qui l’a peu à peu entraîné dans la rue est une histoire distillée peu à peu, une histoire qu’il garde pour lui dans des temps tout entiers dévolus aux maigres possibilités de se nourrir, d’éviter au maximum la violence de la rue et de garder un peu de cette dignité sans laquelle la vie devient une bataille perdue d’avance.

Si le personnage du clochard est une figure récurrente de la littérature ou du cinéma, l’habitude est de le présenter comme un loup solitaire dont la vie sociale est réduite à la mendicité et aux démêlés avec ses pairs ou les forces de l’ordre. Dans La manche, Jonas est accompagné d’une petite troupe de personnages attachants qui vont de Philippe, le clochard intello toujours le nez dans un livre, à Tamas qui vit à la rue avec toute sa famille, Moussa rêvant aux gaufres hors de prix que proposent les magasins du quartier puis Élise, écorchée vive dont l’allure garçonne est surtout une armure contre les dangers de la rue et qui va bientôt prendre une place particulière dans la vie et le cœur de Jonas. Tous partagent son infortune mais aussi une distance presque joyeuse avec leur condition et qui contraste avec les monologues intérieurs du héros, mode de narration ici choisi par l’auteur. Dans ces monologues à la première personne du singulier où l’auteur laisse entrevoir de vraies fulgurances littéraires, Jonas oscille entre colère, humour et observation sociologique de la mendicité. Car si l’on devine que Max de Paz, encore étudiant parisien, appartient plus à la catégorie des jeunes gens qui enjambent les corps endoloris de ceux contraints de vivre à la rue, qu’aux Jonas qui zonent dans le Ve arrondissement de la capitale, il parvient à se glisser avec talent dans la peau des naufragés des rues dont l’infortune est encore renforcée par le cadre luxueux dans lequel elle se met en scène.

La manche est l’histoire d’un jeune homme racontée par lui-même mais il est aussi le roman des injustices sociales criardes dans une époque où les écarts sociaux se creusent exponentiellement, des insupportables pauvretés sur lesquelles nous préférons habituellement détourner le regard pour ne pas voir l’absurdité d’un système qui laisse des malheureux dormir au pavé des rues alors qu’au-dessus d’eux se dressent des immeubles vides grâce auxquels des investisseurs peu scrupuleux spéculent. Il dit aussi beaucoup du rapport que les chanceux qui ont toit sur la tête et repas assurés entretiennent avec les mendiants, entre déni, condescendance plus ou moins assumée et générosités plus ou moins sincères. Un premier roman réussi.

Image de Chroniqueur : Alain Llense

Chroniqueur : Alain Llense

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