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Premier roman d’une trilogie annoncée, “Le cap des Affranchis” transporte son lecteur dans l’océan Indien, dans une histoire d’amour, entre l’île Maurice et La Réunion.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que David Farmer nous fait voyager. Le roman s’ouvre sur une soirée à Athènes en 2019 où le narrateur revient rétrospectivement sur sa vie en 1997. “C’était un autre siècle. Une autre mer. C’est l’océan Indien.” C’est le récit d’une rencontre, d’un amour immédiat entre deux personnes venues de mondes différents. Hugo habite et travaille à La Réunion. Un soir de mai, il rencontre “un écureuil”, “agrippé à son muret”, le jeune Akram. Il a vingt-quatre ans ; le narrateur trente. L’attraction est mutuelle, spontanée, immédiate. “Cet accent me séduit. C’est cette allure de prince indien magistralement altier, sorti de son palais du Rajasthan pour prendre l’air sur une promenade le long du golfe du Bengale.” Le narrateur charrie dans les circonvolutions prolixes de ses pensées, des images exotiques, qui oscillent entre l’émerveillement du dépaysement et les incompréhensions culturelles.
Dès le premier soir, Akram se livre. Il vient de l’île Maurice où il possède déjà une entreprise textile qui participe à l’entretien de sa famille. “Ce n’est pas facile pour les Mauriciens. On obtient un visa de quatorze jours tous les deux mois. Moi, c’est la première fois”, explique-t-il. Mais Akram est issu d’une famille indienne traditionaliste. Son père, soupçonneux et violent, voudrait le marier, comme il a déjà marié sa fille. Cet avenir terrifie Akram : “Je veux partir. Je souffre beaucoup. Je n’en peux plus. Tu comprends ? Tu comprends ?”.
Pour marquer son émancipation, le fils possède sa propre voiture, dans “un pays émergent mais encore pauvre en 1997”, c’est un luxe. “AJ 808” : cette voiture rouge, représentée sur la couverture de Clément Lacour, est un personnage à part entière, abritant les amours du couple à travers les paysages mauriciens jusqu’au cap Malheureux, baptisé ainsi par les Français à la suite de l’invasion anglaise en 1810.
L’année qui suit la rencontre des deux amants est remplie d’allers et retours, de vols entre les deux îles, si proches et si lointaines. Pleine aussi des efforts d’Hugo pour que son amour échappe à son destin. Pendant ce temps, en France, l’Assemblée nationale se dispute autour du PACS. Le narrateur avait raison de préciser que c’était un autre siècle : cela semble déjà (heureusement !) si loin. Mais le vote de cette loi ne les aidera pas à vivre ensemble. Le narrateur se révolte contre cet état de fait, les injustices, les préjugés quotidiens qui les empêchent d’être ensemble. Le niveau de chômage à La Réunion interdit aux Mauriciens d’y chercher du travail ; quant à demander des papiers, Hugo s’insurge contre l’absurdité soviétique de la loi française qui autorise la régularisation à condition de justifier au moins un an sur le sol français : “C’est la perversion absolue. […] Fournir des preuves d’existence sur le sol français sans avoir le droit d’y entrer. Il fallait y penser. Il faut une sacrée dose d’infatuation pour oser ça, non ?”. Toutes les solutions sont envisagées, même organiser un mariage blanc avec une copine ou une inconnue… Jusqu’à ce qu’enfin une solution se dessine, un nouveau cap à franchir pour être affranchis.
Pétri de culture méditerranéenne, mythologique, le roman de David Farmer se déploie d’un seul souffle. Dans un flot continu, les pensées du narrateur submergent le lecteur jusqu’à le laisser en apnée, suspendu à ce qui menace de se produire. Sélectionné pour le Prix du roman gay 2021, “Le cap des Affranchis” trouvera sa place parmi ses concurrents.

Marc DECOUDUN
contact@marenostrum.pm

Farmer, David, “Le cap des affranchis”, Les Presses littéraires, 15/03/2021, 1 vol. (195 p.), 16,00€

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