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Un livre qui donne envie de prendre son bâton de marche et de partir à la découverte d’une France intime et méconnue. L’auteur développe un délicieux art de la fugue, véritable bouffée d’air pur en ces temps moroses de confinement.

Charles Wright fait partie de ces individus au parcours atypique qui, refusant la linéarité de l’existence, le confort du « sillon » qu’ils ont tracé ou que d’autres ont tracé pour eux, font le choix de la rupture et donnent ainsi l’impression d’avoir connu plusieurs vies en une seule. À l’aube de la quarantaine, Charles Wright, journaliste et éditeur est frappé par l’absurdité de la « comédie sociale » à laquelle il prend part et qui le laisse fondamentalement insatisfait. Le matérialisme de la société capitaliste et consumériste l’indispose de plus en plus et ses aspirations se portent vers davantage de spiritualité. Après ce qu’il définit comme son « coming out chrétien », il choisit d’entrer au noviciat chez les jésuites à Lyon. Mais la vie en communauté parmi les disciples d’Ignace de Loyola ne lui procure par l’épanouissement qu’il recherchait. Il se sent comme « un lion en cage » et s’accommode mal de l’institutionnalisation du sacré à travers des rituels et des discours qui ne parlent pas à son cœur : « Je pratiquais une religion buissonnière, faisant mes dévotions en contemplant les frondaisons des arbres, plus volontiers que dans les églises où des liturgies plates arasaient le mystère ». Prêt à jeter l’éponge, il choisit cependant de vivre, l’été venu, l’expérience du « mois mendiant » – pratique remontant aux origines de la Compagnie fondée au XVIe siècle, et qui consiste en un pèlerinage à pied de quatre semaines, sans argent. Le vagabond volontaire est ainsi porté, de villages en villages, au hasard des rencontres, avec interdiction de demander asile aux portes des églises et monastères. Conformément à la tradition, Charles Wright sera accompagné dans son voyage par un autre novice qu’il n’a pas choisi. Comme il l’explique, l’épreuve de la pauvreté est ainsi doublée par celle du compagnonnage subi. Son partenaire est un dénommé Benoît qui a été barman avant de devenir prêtre au seuil de la trentaine.
Ensemble, ils planifient leur itinéraire : ce sera la France « du vide », la plus éloignée des circuits touristiques. Partant d’Angoulême, ils souhaitent rallier l’abbaye de Notre-Dame des Neiges, au sud de l’Ardèche, en traversant les reliefs du Massif Central.
« Le Chemin des Estives » est le récit de ce voyage. À chaque étape, Charles Wright tient un journal sur sa nouvelle vie de pèlerin. Dans son sac de toile, il a emporté les œuvres complètes d’Arthur Rimbaud et on sent l’influence de l’adolescent aux « semelles de vent » dans le regard qu’il porte sur le monde qu’il découvre au fil des longues journées de marche. La description émerveillée de la nature est d’une grande sensibilité, avec de très belles pages sur les forêts, les volcans et les vertus du silence. Mais l’ouvrage n’est pas une simple collection d’impressions poétiques : on trouve d’éclairantes considérations géologiques, historiques, sociologiques ponctuées de réflexions sur la foi et la spiritualité à travers l’évocation récurrente de la figure de Charles de Foucauld, ancien officier de cavalerie devenu explorateur puis ermite dans le Sahara.
« Le Chemin des estives » offre aussi de beaux portraits de femmes et d’hommes anonymes rencontrés sur les routes. Entre les méfiants qui refusent de leur ouvrir et ceux qui accueillent les pèlerins à bras ouverts, c’est une incursion fascinante et émouvante au cœur d’une France oubliée, invisibilisée par les grands médias qui se contentent de la caricaturer comme le creuset de voix du Rassemblement National.
À l’heure où la pandémie mondiale de Covid-19 et les enjeux climatiques nous obligent à reconsidérer nos modes de déplacement et de consommation, ce livre tombe à point nommé pour approfondir une réflexion devenue nécessaire vers davantage de sobriété. Contre la frénésie du monde moderne, c’est un éloge de la lenteur et de l’oisiveté que nous propose Charles Wright : « Ne partageant pas le credo actuel selon lequel une vie réussie est une vie remplie, je prends plaisir à gaspiller les heures, à me délecter du vide, à écouter le silence ». En refermant la dernière page, le lecteur est tenté d’en faire autant et de tracer dans sa vie son propre « chemin des estives ».

Jean-Philippe GUIRADO
contact@marenostrum.pm

Wright, Charles, « Le chemin des estives : récit », Flammarion, « Littérature française », 27/01/2021, 1 vol. (355 p.), 21,00€

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