Henri Lhéritier, né le 18 mars 1946 à Rivesaltes (Pyrénées-Orientales) et mort d’un cancer à Montpellier le 20 mars 2016, est un écrivain et vigneron français. Son dernier manuscrit, « le Cri » est autant un hommage à son grand-père Henri, qu’une tentative de dialogue.
« C’est la Guerre » est le cri unanime de ce 1er août 1914. Un charivari submerge les rues et la place centrale d’Estagel. François Arago, l’enfant du pays sur son socle, l’observe avec effroi. C’est le grand mufle de Mars qui se met à souffler. Partout, en Europe, dans cet étroit défilé entre les collines blanches que l’Agly contourne et érode, et dans les vastes territoires des belligérants, montagnes, mers et cités, de la vie s’agite, se désespère ou clame et se précipite à la rencontre de la mort. Encore un livre sur la guerre, la seule, la vraie, la grande usine à fabriquer des morts ? Oui, encore un. Ce n’est pas à la gloire ou à la patrie que les morts servent le plus, mais à la littérature. Le temps affecte les vivants comme les morts, même eux ont une durée de vie. Voilà pour la littérature. Au fil des générations, elle s’était faite discrète, la guerre, comme si elle avait fait ses adieux à la scène. Ceux qui l’ont frôlée, les plus vieux d’entre nous, ont même pensé, un temps, qu’elle avait disparu, qu’elle n’existait plus. Rassurons-nous, elle est toujours là, mais elle a pris du champ, loin vers le sud ou l’orient dans de modernes conflits exotiques.
C’est un journal retrouvé, dans un grenier, celui d’Henri, jeune médecin remplaçant à Estagel, qui va fournir à un autre Henri, écrivain et vigneron, l’idée d’un dialogue à cent ans de distance. « Le Cri » est aussi une histoire d’ici. Le jeune médecin, en 1915, emportera au front une bombonne de rancio, qu’un aïeul d’Henri Lhéritier aura sans doute élevé. On est rarement apaisé quand on écrit sur la grande tueuse et Henri L. écrit sous le coup d’une colère qui ne le quittera pas. « Après ma mort, je vous la léguerai qu’on la transmettre jusqu’à la fin des temps ». Ce sera fait Henri. Existe-t-il dans l’humain quelque chose d’un absolu le poussant à accepter de se frotter, sans raison à sa propre fin, un appel qui surgit, qu’il ne peut réfréner, qui le transforme et l’abrutit jusqu’à en mourir ?
Et puis il y a les femmes. Pour elles, c’est la double peine. Mères pétrifiées, recevant d’un messager le télégramme sanglant qu’elles redoutaient et qui les laisse, bouche ouverte, figées dans l’horreur pour toujours. Elles ont perdu la guerre sur le pas de leur porte. Ce livre raconte l’intimité des vivants et des morts. Celle d’Henri, de Léon de Vilar, de sa mère Marie. Les deux hommes sont du pays, se connaissaient, se sont retrouvés au front, et ont été séparés. Henri ne reverra plus Léon vivant. Mais une mère a besoin de savoir, elle ne veut pas laisser partir cet enfant adoré sans savoir, le seul garçon de la famille. À Henri elle va demander de faire le récit de la guerre de son fils. C’est Henri Lhéritier qui rédigera la lettre cent ans plus tard, après être allé se recueillir devant le caveau des Vilar au cimetière de Bouleternère. Un fils mort à la guerre, cela scelle dans certains cas la fin d’une famille. Plus personne ne fleurit ce lieu, pas même la France qui prétend qu’on est mort pour elle. Le caveau des Vilar semble bien abandonné. Cette mère devrait crier à l’injustice, à l’infamie, hurler à la face de la nation qu’on lui a volé son garçon. Elle se contentera pourtant des dernières images de son fils recueillies dans les mots d’un autre. Des mots qui ne consoleront pas, qui augmenteront sa souffrance, c’est ainsi qu’on agit avec la tristesse pour la porter à l’incandescence du désespoir.
« Léon de Vilar fait partie des miens et j’entends le choc sourd de son corps qui s’affaisse dans la fosse. Moi seul savais comment il était tombé, ainsi avais-je le sentiment d’apporter cent ans plus tard une histoire qui appartenait au village et qu’il était en train d’oublier. »
Les vieux papiers, les photos anciennes ont un temps de brûlante douleur, ensuite une tendresse mémorielle les entoure. On se souvient d’un sourire, d’un événement, du chapeau d’une tante, de la canne d’une autre, d’une écriture, d’une certaine façon de former les « l » ou les « p », d’un usage des majuscules, puis le temps toujours, les rends méconnaissables, porteurs de rien, parcelles de souvenirs dans le vent que le vent finit de disperser, les sourires évanouis sont-ils utiles ? Pas plus que les morts. Mais écrit-on encore de nos jours ?
Patrick SOMMIER
contact@marenostrum.pm
Henri Lhéritier est désormais aussi connu comme vigneron que comme écrivain. Mais c’est avant tout un homme de terroir, attaché à sa terre et à ses paysages, tout comme à l’histoire et à ses traditions culturelles. On peut le découvrir aussi bien au fil des pages qu’en dégustant ses prestigieuses cuvées.
Antoine GASQUEZ – « La Semaine du Roussillon » du 21 mars 2016.
Henri est profondément rivesaltais. Il se souvient parfaitement de l’époque où ce gros bourg viticole vivait pleinement autour du vin. Vignerons, mais aussi négociants et fabricants de futailles, formaient le tissu humain de Rivesaltes. Lui-même était d’ailleurs d’une famille de négociants en vins. Cette origine vinicole n’est certainement pas étrangère à son amour de la vigne. Derrière sa bonhomie apparente, on découvre peu à peu sa sensibilité, son âme créatrice et sa nature profonde qui le pousse toujours à s’exprimer. Il n’en faut pas plus pour avoir envie de faire son vin et d’écrire ses ressentis. Si ce n’est qu’Henri Lhéritier a ce « plus » qui, exigence oblige, le conduit à aller au fond de lui-même, sans la moindre tricherie, comme ces vielles souches des vignobles d’exception qui vont chercher leur sève au plus profond de la terre. Rapidement, cet artiste vigneron s’est rendu compte de la diversité qualitative des vins issus de terroirs différents, surtout avec des cépages traditionnels comme le grenache. Sa sensibilité ne pouvait que l’encourager à garder en l’état chaque expression de terroir. Ainsi sont nés ses deux cuvées mythiques « Crest » et « Romani ».
Cette quête dans la recherche des expressions l’a aussi rapidement conduit à l’écriture. Non par ambition littéraire, mais avant tout pour faire partager ses valeurs ressenties. Ce perfectionniste ne pouvait dès lors se contenter d’une plaquette pour présenter son vignoble. Ainsi est arrivée sa première œuvre « Crest et Romani, œnofolie en Catalogne Nord », un autoroman montrant la vie de ce terroir. Puis sont venus « Agly » davantage façonné en roman, puis encore ” De singuliers bourgeois » et très bientôt « Autoportrait sauvé par le vent ». Bref, on l’aura compris, point besoin pour lui d’aller parcourir la planète pour rechercher émotions et sensations… Cet écrivain ne trempe sa plume que dans la sève de ses vignobles. S’il y avait une « Appellation Contrôlée » de l’humain, nul doute qu’Henri Lhéritier serait classé dans les plus grands crus.
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