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Le 20 novembre 2020, les jurés du “Prix Giller de la Banque Scotia” saluaient le talent de la poétesse torontoise Souvankham Thammavongsa en récompensant son premier recueil de nouvelles “How to pronounce knife” publié par Mc Clelland et Steward.
Le New York Times en a parlé aussitôt comme “l’un des 100 meilleurs titres de 2020”.
Aujourd’hui traduit par Véronique Lessard, il paraît en français, au catalogue de Mémoire D’encrier, maison d’édition québécoise qui est “une plate-forme où se confrontent les imaginaires dans l’apprentissage et le respect de la différence et de la diversité culturelle.”
Née dans un camp de réfugiés laotiens en Thaïlande, Souvankham Thammavongsa est arrivée au Canada, à la fin des années 1970, avec la vague d’immigrants sud asiatiques, chassés de leurs pays d’origine par une succession de guerres et de crises économiques. Peu qualifiés, sans grand moyen de communication autre que gestuelle, les adultes allaient certes bénéficier d’un logement et d’un rapide programme d’insertion, mais aussi des emplois les moins valorisants, dont l’auteure nous révèle quelques aspects. Nettoyeurs dans des usines de produits chimiques, au mieux ouvriers à la chaîne, ou cueilleurs de vers dans les fermes porcines : “Nous étions censées porter des gants mais ma mère n’en mettait pas… Je l’observais tremper les mains dans la boîte de conserve et frotter le bout de ses doigts dans le riz dur… Elle avait toujours froid aux mains, mais devait les garder à la même température que les vers de terre, sinon ils sentiraient la chaleur de ses mains et s’échapperaient avant qu’elle s’en approche. ” (p. 119)
Et c’est dans le communautarisme que cette minorité méprisée va chercher son réconfort : rencontres entre réfugiés les jours de congé ou de fête, jeux de cartes, danses et plats colorés aux saveurs du pays. “Tout le monde parlait de son travail, de ses patrons, de la difficulté de la vie au pays, de sa venue dans le pays où nous vivons maintenant, mais personne ne pleurait ni ne se morfondait. Tous riaient. Plus l’histoire était triste, plus le rire était fort”. (p.118)
Sur les quatorze nouvelles, la plupart ont pour protagonistes des personnages féminins, c’est le plus souvent d’un point de vue de petite fille, d’adolescente, de femme seule que Souvankham Thammavongsa exprime cette difficulté à franchir les barrières de l’intégration. Et dès le premier texte “Le K ne se prononce pas”, l’accent est mis sur l’impossible communication dès lors qu’on ne possède pas une langue. Pour une enfant l’obstacle est représenté par une lettre élidée en début du mot “kniffe”, ou l’incompréhension des codes qui permettraient de participer à un jeu collectif. Mais dans “Une chose lointaine” le mot “thief” n’est pas compris par un adulte, qui se croit apprécié pour son zèle par ses camarades de travail.
Sur cette population de l’exil qui accepte son sort avec une forme de résignation courageuse, comme sur les gens modestes qui l’entourent dans son nouveau pays, Souvankham Thammavongsa pose un regard lucide et objectif. Elle en voit les dérives et les compromissions. Dans “Red”, les ouvrières laotiennes, pour accéder à un meilleur emploi se font refaire le nez. Et “Le chauffeur de bus scolaire” n’ignore pas les comportements de sa femme avec son patron : “mais y penser lui était tout simplement trop atroce” (p. 84)
Aucun pathos, comme un effacement de la douleur et de la solitude, pourtant bien présentes.
Parfois un mot dans la phrase finale : “Le flou, l’humidité, la pluie, les sanglots”. Pour la mère méprisée puis reniée par une fille ingrate : “Tu me fous la honte…” (p. 92)
Et si une épouse disparaît sans laisser de message : “Il n’a pas fait de deuil. Il avait fait tout le deuil de cette vie en devenant réfugié. Perdre son amour, être abandonné par sa femme était un luxe, même, qui signifiait que vous étiez en vie. (p. 78)
De ces déracinés qui n’ont pas intégré un nouveau monde mais que leur discrétion, fataliste laisse le plus souvent “Au bord du monde” (p. 71), Souvankham Thammavongsa fait s’élever la voix, en s’exprimant le plus souvent à la première personne. Et si cette vague migratoire liée à la guerre du Vietnam peut, aujourd’hui, nous paraître lointaine, la plume déterminée de l’auteure, son regard acéré sur sa communauté, ont le mérite de nous rappeler, comme un écho, cette souffrance toujours d’actualité parfois dans l’invisibilité. Celle de nos frères humains que les évènements ou la misère arrachent à ce qui était leur vie.

Christiane SISTAC
articles@marenostrum.pm

Thammavongsa, Souvankham, “Le K ne se prononce pas”, traduction de Véronique Lessard, Mémoire D’encrier, 02/09/2021, 136 p, 15€

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