Du polar chinois, on connaissait surtout les enquêtes de l’inspecteur Chen Cao, situées à Shanghai, écrites par Xiu Qialong. Il existe pourtant d’autres auteurs, et les éditions de l’Aube pallient une lacune en publiant une série initiée par He Jiahong qui met en scène celles d’un autre héros récurrent, Hong Jun.
L’action commence à Pékin en 1912 au moment de la République de Chine. Un amateur d’art impécunieux se rend au Marché des Fantômes (nom donné à un marché aux puces où se déroulent des transactions à la limite de la légalité), pour acheter un tableau à un prix dérisoire. Celui qu’il acquiert, intitulé « La jeune fille au luth », mais répertorié dans les Annales sous le titre « La femme cadavre », est une œuvre d’une grande valeur, mais qui présente une étrange particularité. Le récit, après une longue ellipse de temps, revient à l’époque contemporaine et s’inscrit dans le cadre des enquêtes de l’avocat Hong Jun, secondé par sa secrétaire Song Jia, (La Belle Song). C’est le 5e livre du romancier, un éminent juriste d’origine mandchoue, spécialiste de procédure pénale et criminalistique. Il a d’ailleurs été initialement publié aux éditions du Droit en Chine et apporte des informations précieuses sur les procédures et la législation chinoise.
Hong Jun, le Sherlock Holmes chinois, comme l’appelle malicieusement Song Jia, est contacté par Jin Yiying, une universitaire, professeur d’informatique, d’une quarantaine d’années. Son mari, Wenge, qui travaillait à la Dasheng, une importante société privée de Shengguo, (ville imaginée par l’auteur mais qui peut renvoyer à la réalité de certaines mégapoles chinoises) spécialisée sur l’amélioration de la mémoire et les maladies dégénératives, lui a envoyé un étrange message, que personne ne parvient à décrypter. Victime d’un virus qui évoque la grippe, il a totalement perdu l’esprit. Hong Jun se rend à Shengguo, puis à Hong Kong pour mener l’enquête.
Le livre se présente comme un passionnant roman policier, mélangeant le prévisible et l’imprévisible, qui révèle assez vite (choix délibéré de l’auteur) les coupables mais tardivement le motif du crime. Il dénonce la corruption qui sévit en Chine, en particulier dans les grandes firmes dont les dirigeants, avides de pouvoir et de richesses, se révèlent sans scrupule. Comme Xiu Qiaolong, l’écrivain dresse le portrait d’un pays en pleine mutation, gangrené par l’argent et la perversion. Mais au-delà de la critique sociale, les notes explicatives aident à comprendre la spécificité et l’originalité de la culture chinoise. Le livre permet une plongée dans celle-ci et les commentaires des traducteurs nous éclairent sur les jeux de mots (en particulier dans l’usage des caractères) que nous ne pourrions saisir et les multiples références culturelles (bouddhisme, fêtes, coutumes, etc.). Le rejet des notes en fin de livre facilite la lecture de l’ouvrage sans l’alourdir. Les noms des personnages apparaissent souvent symboliques.
Le livre présente des figures féminines fortes, comme Jin Yiying, l’informaticienne, qui désire faire toute la vérité sur la maladie qui touche son mari, ou Song Jia, moderne Docteur Watson (comme Lucy Liu, jouant le rôle de la psychiatre qui seconde le célèbre détective dans la série télévisée américaine « Elementary »), mais plus brillante que le faire-valoir originel de Sherlock Holmes, et dont la beauté ne masque ni l’intuition ni les qualités de déduction. Courageuse, elle n’hésite pas à se mettre en danger, va enquêter à Shengguo et fait preuve d’ingéniosité pour tirer son employeur des griffes de la police. À côté d’elles, la naïve Linlin, éperdument amoureuse d’un jeune peintre, correspond au stéréotype un peu daté de la jeune première des films, ou de l’héroïne en détresse. He Mingfen, en revanche, si elle paraît jouer le rôle de la femme fatale, s’en distingue par une ambition dévorante, (c’est une femme d’affaires) qui passe par l’usage de ses charmes pour atteindre son but. Elle est plus motivée par un désir de pouvoir qu’un accomplissement matrimonial.
Enfin dans l’épilogue, qui constitue en fait une postface, l’auteur nous livre quelques secrets de fabrication et explique ses choix.
Ainsi, « Le mystérieux tableau ancien » de He Jiahong apparaît dans la lignée de livres comme « Le tableau du maître flamand » d’Arturo Perez Reverte. Au centre du texte, un rouleau de peinture livre peu à peu ses secrets, permet de dénouer une énigme policière et invite à une réflexion philosophique sur le sens de la vie, s’érigeant lui-même en vanité, mais pas seulement.
C’est vrai, la mort est le destin de l’homme, le corps humain est destiné à la pourriture finale. Aussi beau et robuste que vous puissiez être tous, à l’échéance, vous ne serez qu’un squelette, voire une poignée de terre, une volute de fumée. Mais, du processus de pourrissement du corps humain souvent il arrive qu’une nouvelle vie émerge. De la naissance à la mort, de la mort à la naissance, le cycle infernal se reproduit : c’est la loi du destin. La nation, la société, l’organisation politique, l’Etat : comment peuvent-ils s’extraire de l’effrayant cercle vicieux qui va de la naissance à la pourriture ? C’est ainsi que les hommes, qui ont la pourriture en horreur, n’ont aucun moyen d’échapper à leur destin de pourriture.
En même temps, l’interruption de Song Jia : « Pitié ! Pitié ! », tempère d’une note d’ironie la diatribe de son patron, tout comme sa conclusion « Merci mon Dieu, c’est à nouveau vendredi. », qu’il ne comprend pas, bien qu’il s’agisse d’un « private joke », et qu’elle doit préciser « Nous allons au bowling », ramenant le lecteur à une forme de légèreté.
En final, un très bon roman policier, de lecture aisée et de facture assez classique, mais qui nous dépayse et donne la possibilité au lecteur, tout en se détendant, d’acquérir un certain nombre de connaissances sur la Chine, ancienne et contemporaine. L‘intrigue apparaît bien construite, avec un certain nombre de rebondissements. L’énigme du tableau, révélée en deux épisodes, contribue à la fascination que le livre peut exercer. Son image double pourrait métaphoriser, voire mettre en abyme la structure du roman policier, qui invite le lecteur à aller au-delà des apparences.
Marion Poirson-Dechonne
articles@marenostrum.pm
He Jiahong, « Le mystérieux tableau ancien », traduit du chinois et annoté par Marie-Claude Cantournet-Jacquet et Xiaomin Giafferri-Huang, Éditions de l’Aube, Mikros. Noir », 06/01/2022, 1 vol. (460 p.)
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