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Mathieu Belezi, Le petit roi, Le Tripode, 09/03/2023, 1 vol. (113 p.), 15€

Lors d’une interview donnée à un journaliste de Libération qui lui demandait si Le petit roi était une autobiographie, Mathieu Belezi a répondu avec énergie :

Ah non, certainement pas ! Je fuis l'autofiction comme la peste. À trop parler de soi, on en oublie d'imaginer. Et que devient la littérature si le souffle de l'imagination ne bouscule pas le lecteur ?

L’auteur a choisi la narration à la première personne et a utilisé son propre prénom pour son jeune personnage, ce qui aurait pu suffire à induire en erreur un lecteur non averti. Malgré son titre de conte destiné à un jeune lectorat, Le petit roi est bel et bien un roman destiné aux adultes, paru pour la première fois en 1998 aux éditions Phébus, et récompensé par le Prix Marguerite Audoux l’année suivante… pour ensuite tomber dans l’oubli pendant un quart de siècle.
Après avoir beaucoup voyagé, Mathieu Belezi vit aujourd’hui en Italie.
En 2022, en quête d’un éditeur pour son nouvel opus Attaquer la terre et le soleil, il adresse son manuscrit aux Éditions du Tripode, fondées en 2013. Son directeur, Frédéric Martin, est intéressé, et décide aussitôt de rééditer l’ensemble de son œuvre, en commençant par Le petit roi, paru en librairie en mars 2023.

Orages en enfance : les tourments silencieux

Sur la couverture, un bien maigre sceptre, un coquelicot desséché à la tige frêle, pourtant encore enraciné… On dirait un cœur minéral qui s’entrouvre sur un enchevêtrement de fils de fer…
Mathieu vient tout juste de fêter son douzième anniversaire quand sa mère l’abandonne pour deux ou trois ans chez son grand-père, dans la ferme provençale entourée de bois de châtaigniers et de garrigue. Pour se rendre au collège privé où sa mère l’a inscrit, il doit parcourir plusieurs kilomètres sur la selle d’un vieux vélo.
L’enfant peine à se remettre d’une séparation parentale aggravée par l’adultère, les violences conjugales et l’alcoolisme du père. L’aïeul se montre protecteur et bienveillant, et ses mains rugueuses savent prodiguer des soins tendres. Cependant, dans le quotidien, il est davantage préoccupé par les soins à apporter à son bétail et à son potager nourricier que par la psychologie d’un préadolescent en détresse. Mathieu va donc passer de longs mois dans ce qui aurait pu être le lieu de sa reconstruction, en faisant la découverte d’une nature dont il ignore tout. Mais la fureur sourde qui taraude l’enfant dans sa solitude ne lui laisse guère de répit…
S’il n’a aucun pouvoir sur le cours de l’existence qui lui est imposée, ni même celui de retenir sa mère auprès de lui, il exerce en revanche, loin du regard des adultes, une domination brutale et cruelle sur les plus faibles. Fourmis rouges écrasées dès le premier matin, chat projeté d’un coup de pied, poule brûlée vive… Il ne se complaît que dans ce sentiment de toute-puissance, cherchant à se libérer de sa propre douleur et des flashs qui ravivent sans cesse sa mémoire des images du drame familial. Avec le plus chétif de ses camarades de collège, Parrot, qu’il fascine et terrorise à la fois, il fait de lui son souffre-douleur et l’esclave de ses pulsions sexuelles.

Rien ne va plus, l'ivresse d'une rage sans objet m'envahit et tourne en rond comme un bourdon piégé donnant de la tête contre les murs.

Lueur d'espoir et réalisme cruel : un contraste troublant

Belezi met à mal les thèses rousseauistes, et les verts paradis de l’enfance perdent ici tout leur sens. Cette série de méfaits, cette succession de gestes cruels, ponctués de séances de masturbation frénétique, sont le fait, non pas d’un jeune enfant curieux face à un univers qu’il explore, mais d’un gamin qui croit alléger sa douleur en provoquant celle des autres. On pense bien sûr à d’autres personnages de la littérature, comme Jack ou Roger, dans Sa Majesté des Mouches, le chef-d’œuvre de William Golding, ou encore aux jumeaux de Le Grand Cahier d’Agota Kristof, délaissés chez leur horrible aïeule, et tellement dépourvus de sens moral dans un contexte de guerre et de totalitarisme, que l’horreur frôle parfois la caricature.
Dans Le petit roi, le récit est particulièrement dérangeant par son réalisme. Certes, l’écho de la guerre d’Algérie résonne au loin à la radio. Mais le rythme des mois qui s’écoulent crée aussi un cadre avec des moments de bonheur ou d’émerveillement : la nuit de Noël, le cadeau inattendu d’un vélo neuf, la cabane des vacances, le feu de la Saint-Jean… Les voisins sont bienveillants, des fillettes gravitent autour de l’enfant et l’invitent, avec grâce, au partage des cerises ou à un premier baiser…
Alors, on s’attend à tout moment à une ombre de remords, une prise de conscience naissante, ou un signe d’apaisement dans cet esprit enfantin… En vain.

Entre innocence perdue et destinée incertaine

La magnifique plume de Belezi a la fluidité de l’écriture cinématographique. Elle restitue avec une grande finesse la beauté de la terre, vue à travers le prisme des saisons, ainsi que le visage abîmé d’une enfance meurtrie par la perte de l’innocence. Dès les premières lignes du roman, dans un geste de révolte, tel un plan de coupe, un poing s’écrase dans la crème chantilly d’un gâteau. Mais dans le panoramique nocturne des dernières lignes, c’est à la lueur lointaine de flammes incandescentes que l’auteur, pessimiste, abandonne son personnage, sans espérance… L’enfer comme avenir ? L’enfer comme promesse ?

Image de Chroniqueuse : Christiane Sistac

Chroniqueuse : Christiane Sistac

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