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Benoît Bodart (dir.), Histoire des Troupes de Marine, Perrin, 18/09/2025, 400 pages, 25€

« Dans la bataille ou la tempête
Au refrain de mâles chansons
Notre âme au danger toujours prête
Brave la foudre et le canon ! »

Aux colonies

Oyez, oyez, bonnes gens ! Le livre de l’Arme est arrivé ! De notre créateur, le cardinal de Richelieu, aux expéditions lointaines enfoncées au milieu des nuées de moustiques dans les « terra incognita », des combats de Bazeilles aux luttes acharnées aux confins du Monde, de la boue des tranchées aux sables de Bir Hakeim, voici la bible du marsouin et du bigor. Le chef de bataillon des troupes de marine Benoît Bodart, docteur en histoire, a convaincu d’éminents spécialistes maintes fois récompensés pour leurs travaux, de s’associer pour faire connaître au plus grand nombre l’épopée merveilleuse des soldats qui ont fait la France à travers les siècles, n’exigeant pour toute récompense que la satisfaction du devoir accompli. « Et au nom de Dieu, vive la Coloniale ! »

Aux colonies

Alors que l’occident, avide des découvertes maritimes du XVIe siècle, tente de s’imposer dans des contrées encore vierges mais riches de produits nouveaux, les puissances ouvrent des comptoirs où il convient d’imposer leur présence. Pour en conserver l’hégémonie, le cardinal de Richelieu crée les compagnies franches de la marine, troupes combattantes embarquées, destinées à tenir garnison aux Amériques et aux Indes ; La Guyane, les Antilles, le Québec, le Sénégal, Pondichéry et les autres possessions sont donc fournis en gardiens de la présence française. Peu de ses soldats échappent aux maladies, aux agressions d’animaux inconnus et aux luttes contre les populations autochtones. Tous ces éléments contribuent à parfaire une identité qui ne cessera de se construire en même temps que l’histoire de France.

Bazeilles ou l’héroïsme de la défaite

Alors que les grandes puissances s’affrontent en Europe, les troupes de marine acquièrent une réputation de soldats forgés au moule du courage et de l’abnégation. Pourquoi donc s’en passer alors que la guerre est dévoreuse d’hommes ? Leur présence ne suffirait-elle pas à retourner le destin d’une bataille ? Au XIXe siècle, les pouvoirs se tancent puis se déchirent. L’armée française sait savoir compter sur les « hommes en bleu… marine ». La Crimée en 1854, l’Italie en 1859, la Chine en 1861, l’expédition du Mexique en 1863, autant de fronts lointains où les noms des affrontements s’inscrivent en lettre d’or sur les glorieux emblèmes de l’infanterie et de l’artillerie de marine.

Mais le danger peut survenir sur le sol de France. En 1870, la guerre franco-prussienne bat son plein. La « division bleue » est appelée à la rescousse. Tandis que Sedan est sur le point de tomber sous les coups de butoir des troupes allemandes, les troupes de marine, dans le petit village de Bazeilles, vont lutter à dix contre un, sans espoir de délivrance, afin de retarder l’inéluctable. Dans la maison de la dernière cartouche, ils vont livrer leur dernier combat au point de forcer l’admiration des leurs ennemis. Bazeilles, c’est le respect de la mission donnée, c’est l’honneur dans son acception la plus pure.

Engagez-vous, rengagez-vous !

À l’avènement de la IIIe République, force est de constater que les grands pays influenceurs se taillent un empire à grands coups d’expéditions exotiques. S’en obérer signifie ne plus faire partie du concert des nations. La France veut en être et met tous les moyens afin de « porter son œuvre civilisatrice ». Les troupes de marine sont en première ligne pour réaliser ce rêve de fin du XIXe siècle.
Les conséquences de ces politiques seront multiples : lutte contre les génocides intertribaux en Afrique et en Extrême-Orient, abolition d’un esclavage terrifiant, combats acharnés contre les maladies endémiques, libération de peuples affreusement soumis. Cela ne se fera pas sans mal, certains s’opposant de toute leur force à un envahisseur entreprenant.
C’est aussi le temps des grandes découvertes. Les expéditions au plus profond de l’Afrique et de l’Indochine, des milliers de kilomètres à pied ou en pirogue où l’ennemi peut s’avérer un superbe et tenace combattant. C’est aussi le temps des grands capitaines, comme Lyautey ou Gallieni qui, tout en contribuant à rattacher les territoires traversés à la France, font preuve d’un réel projet de futur pour les peuples indigènes, jugeant à raison que le Tonkinois ou le Sakalave vivra mieux s’il est en paix, s’il sait subvenir à ses besoins et si ses enfants ne succombent pas aux maladies.

La Grande guerre ou le paroxysme

Une fois encore, l’ennemi est à nos portes. Il force le barrage et s’engouffre sans pitié sur la terre française. Un temps désarçonné, le gouvernement sonne la charge du ban et de l’arrière-ban de l’empire. De partout, débarquent les troupes coloniales. Pourquoi ce nom ? Parce qu’en 1900, les troupes de marine sont passées sous le giron de l’armée de terre avec cette nouvelle appellation. Les tirailleurs sénégalais, malgaches, somalis et indochinois s’amalgament à leurs frères métropolitains pour faire rendre gorge à l’envahisseur. Là où ça barde, par un froid de loup, sous un soleil torride, dans la boue des tranchées des Flandres, sur le sommet des djebels marocains, dans les terres arides des Dardanelles, les coloniaux vont faire des prouesses de combativité, faisant gagner sur leurs drapeaux les plus belles décorations. Sur la poitrine des combattants brillera la masse de leurs médailles, gagnées en souvenir de leurs anciens de Bazeilles. Tous les régiments de la Coloniale, comme on les surnomme désormais, feront la une des communiqués français, alliés… et ennemis.

Il faut conserver l’Empire à la France

La fin d’un conflit ne signifie pas la paix. Dans ces guerres larvées ou oubliées des Français, les gouvernements n’ont pas beaucoup hésité à envoyer les coloniaux se faire casser la pipe aux quatre coins de la planète. Après le grand nord russe, les plaines gelées de Sibérie et les massacres de la mer Noire, voici nos troupes de marine envoyées rétablir la situation au Levant ou dans le Rif. Tandis qu’une autre guerre mondiale éclate et que la fortune nous est défavorable, les soldats de marine sont les premiers à rejoindre la France Libre et à accepter de mourir pour elle. En Libye, en Italie et bientôt en France, les coloniaux du serment de Koufra suivent le général Leclerc jusqu’à Strasbourg enfin libérée.
Les offensives sitôt achevées, les troupes de marine sont portées en Indochine où, après avoir lutté avec le plus grand des courages contre les Japonais, les marsouins doivent affronter une guerre d’indépendance au cours de laquelle ils verront disparaître la plupart de leurs camarades. Revenus blessés dans leur chair et dans leur âme, ils seront ensuite livrés aux Gémonies lors d’une autre guerre, au cours de laquelle tout leur sera reproché, mais rien à leurs adversaires.

Soldat de la paix s’en va en guerre

Après 1962, la France peut espérer traverser une période de tranquillité à laquelle tous aspirent. Les coloniaux, redevenus troupes de marine en 1958, en restent malgré tout les gardiens obscurs. Aussi, lorsqu’éclatent des conflits d’une rare violence en Afrique, au Liban, au Koweït, en ex-Yougoslavie, au Rwanda ou en Afghanistan, nul n’est besoin de réfléchir pour savoir qui l’on va envoyer pour stabiliser la situation. Toujours sur la brèche, d’une rusticité à toute épreuve, habités par ce vrai sentiment d’appartenir à une Arme d’élite, les troupes de marine seront le fer de lance de la paix mondiale, même s’ils doivent pour cela refaire « Bazeilles ».
Un ouvrage qui résonne comme un chant d’honneur et de fidélité, gravant à jamais le courage des troupes de marine dans notre mémoire collective.

Image de Chroniqueur : Renaud Martinez

Chroniqueur : Renaud Martinez

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