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Si vous désirez, lorsque vous commencez un livre, vous caler confortablement dans votre fauteuil ou au fond de votre lit et entamer votre lecture afin de vous apaiser des tracasseries de la journée, alors cet ouvrage n’est pas pour vous. Par contre, si vous êtes assoiffé d’aventures, de héros anonymes, de balles qui sifflent autour de votre tête ou de situations inextricables, vous dévorerez le témoignage de David Martinon et vous n’aurez qu’un seul regret, celui de l’avoir terminé trop tôt.

David Martinon est ambassadeur, mais pas de la famille de ceux que vous voyez dans les films : élégant, nonchalant, ayant un sens acéré du compromis. Non, celui-ci, en plus des qualités requises pour un tel emploi, s’avère être également un homme de terrain, rompu aux négociations les plus retorses – et les plus dangereuses ! – lorsqu’il s’agit de maintenir haut le drapeau de la France. Alors que toutes les télévisions du monde nous rabâchaient l’avancée inexorable des Talibans, tandis que le chaos régnait dans ce non-pays qu’est l’Afghanistan, cet homme a fédéré toutes les forces présentes sur le terrain pour contribuer à l’évacuation de nos ressortissants et ceux de tous les autres pays qui nous demandaient de l’aide.
Dans un rythme effréné, sans langue de bois, ce qui est rare pour un homme occupant cette fonction, Martinon nous guide tambour battant dans les méandres complexes de la situation afghane jusqu’à son pénible dénouement. Pour cela, il ne rechigne pas à nous faire un petit cours sur l’histoire passée afin de nous rafraîchir la mémoire.

Ceci étant fait, il analyse la situation jour après jour, et bientôt heure après heure, tandis que les Français jouissent d’un été ensoleillé et d’une pause méritée dans la crise sanitaire, se gavant de fake news extravagantes. Nos compatriotes, nous le savons, sont prompts à se découvrir des notions d’actualité internationale et assènent leurs piteuses vérités avec aplomb, surtout lorsqu’ils sont à dix mille kilomètres du théâtre d’opérations ; certains journalistes aussi, d’ailleurs… Ceux-ci n’auront aucun scrupule à dévoiler au grand jour des opérations délicates en cours, mettant ainsi en danger des centaines de personnes.
Notre ambassadeur lui, est d’une autre trempe. Les Talibans approchent de Kaboul, tel un irréversible rouleau compresseur, essaimant leur passage par d’horribles atrocités. Des milliers de réfugiés affluent vers la capitale, et plus particulièrement là où flotte le drapeau tricolore. Les infos sont mauvaises : les villes tombent les unes après les autres, un black-out est imposé dans les régions conquises, l’armée afghane, que les Occidentaux ont formée à coups de milliards de dollars et de dizaines de tués, s’effondre lamentablement. Qu’à cela ne tienne, David Martinon va fédérer toutes les forces vives à sa disposition pour accueillir un maximum de personnes en danger. Pour cela, dans son récit, il va faire la part belle à ceux qui l’accompagnent : personnel d’ambassade loyal, diplomates ayant un sens aigu de l’initiative, gendarmes et policiers. Bientôt, il pourra également compter sur les forces spéciales françaises, les gardes népalais de la Résidence ainsi que des troupes françaises débarquant en urgence, dont des militaires féminines volontaires pour l’indispensable palpation des femmes. En effet, comment savoir si un réfugié aux yeux hagards n’est pas un « human bomb » ?

Au milieu de ce fatras, en pleine épidémie de COVID, dont les victimes s’amoncellent, il faut nourrir, soigner, reposer, filtrer les arrivants éperdus de terreur. Avec un calme olympien, tous se dévouent. Les rares ambassades encore ouvertes demandent de l’aide aux Français, qui tentent de déceler la présence de compatriotes un peu partout sur le territoire. Là, Martinon sait faire preuve de la discrimination nécessaire entre les gens d’une formidable générosité et d’un courage remarquable et ce que la France compte de plus exécrable : exigences folles de certaines ONG, critiques acerbes et conseils fallacieux.
Rapidement, les Talibans, que rien n’a freinés, s’infiltrent dans Kaboul, s’emparent de bâtiments officiels et amorcent une chasse à l’homme des plus terrifiantes. Le constat est bientôt imposé : le seul moyen d’évacuation est l’aéroport international. Entre lui et la Résidence de France patrouillent des centaines de Talibans. Pour faire parvenir à bon port les réfugiés, il va falloir faire preuve de la plus grande des fermetés, alliée à une diplomatie tout orientale. Les membres des missions françaises et de l’Union Européenne, dont le siège est acquis à bord des avions qui décollent les uns après les autres, cèdent sans sourciller leurs places aux Afghans trop compromis et à leurs familles.

Face aux tirs, alors que les communications deviennent aléatoires, les Français, en cela appuyés par des commandos norvégiens, belges, britanniques et allemands, réalisent plusieurs allers-retours dignes des meilleurs films de Hollywood, sauf que les balles sont réelles. L’ambassade reste dans la capitale l’épicentre du calme et de la bonne tenue. Martinon, au bout de plusieurs jours d’abnégation, sent à juste titre que cette position ne pourra bientôt plus tenir. Il faut, la rage au cœur, l’évacuer. Mais comment ? À force de persuasion lorsqu’on est stoppé face à des check-points aux Talibans hargneux, en montrant sa force tranquille et en négociant avec quelque soldat perdu chez les fous de Dieu.
En arrivant à l’aéroport, David Martinon s’aperçoit que la partie est loin d’être jouée. Le site, aux multiples annexes que dissout un soleil implacable, n’est pas sous commandement unique. Américains, Turcs et Azerbaïdjanais sécurisent les périmètres au-delà desquels une foule au comble de la panique se presse devant les passages obligés. Au milieu, des Talibans au regard de silex maintiennent une position agressive. L’ambassadeur installe les intérêts français dans un hangar surchauffé et, avec sa troupe de diplomates, tente de rapatrier toutes les personnes qu’il est nécessaire. Il pourra se targuer, lui et ses hommes, d’avoir pu évacuer six cents personnes.

La fin, on la connaît. Après quinze jours de dur labeur, les derniers étrangers quittent l’Afghanistan. La chape de plomb se referme sur ce pays martyr. Pour David Martinon, ambassadeur de France parti avec le dernier avion, il reste les nombreux comptes rendus à scribouiller, les fausses nouvelles à tabasser mais surtout transcrire avec une belle verve, l’ode au courage des militaires et des civils français qui se sont dévoués avec le plus grand des altruismes au cours de cette crise où rien n’était gagné.

Martinon, David, Les 15 jours qui ont fait basculer Kaboul, Éditions de l’Observatoire, 16/03/2022, 1 vol. (299 p.-8 pl.), 21€.

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