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Les Amazones. C’est en référence à ces guerrières mythiques de l’Antiquité que Gérard A. Jaeger, journaliste et historien, a choisi le titre ce livre, consacré à des aventurières, venues de diverses époques et divers continents. Leur destin guerrier, leurs exploits maritimes, leur liberté sexuelle servent de dénominateur commun à ces femmes d’exception, relevant de statuts divers : pirates, corsaires, flibustières. Certaines nous semblent appartenir à la légende, tandis que d’autres s’inscrivent dans l’histoire. Le livre, qui d’un chapitre à l’autre, décline la biographie de chacune d’elles, s’attache à les replacer dans leur contexte spatio-temporel.

De la légende à l’histoire

Alwida, « la révoltée des âges farouches », a vécu vers l’an 400, dans le royaume de Norvège. Séquestrée dans un donjon par son père, sous la garde de deux dragons, elle avait suscité la venue de nombreux prétendants, dont aucun ne semblait digne d’elle. Les chroniques rapportent que le prince Alf du Danemark avait sollicité sa main. Il avait triomphé des épreuves imposées, lorsqu’on apprit que la princesse s’était enfuie, à l’instigation de sa mère, et qu’elle conduisait à présent une nef menée par un équipage féminin. Alwida erra sans but jusqu’à ce qu’elle rencontre un vaisseau étranger qu’elle rallia à sa cause, avant « d’attaquer, de piller et de couler tous les navires qui avaient la malchance de la croiser. » Son voyage s’acheva lorsqu’elle se trouva enfin en présence du prince qu’elle avait fui… Entre Game of thrones, saga nordique et conte de fées, l’histoire d’Alwida préfigure celle d’autres figures féminines comme Jeanne de Clisson, une Bretonne rebelle, désireuse de venger la mort de son époux, Olivier de Clisson, exécuté sur l’ordre du roi de France Philippe VI. Elle défia le roi sur mer, écumant les côtes françaises. La guerre sévissait dans la Manche, les Anglais menaçaient la France, tout en aidant la cause de Jeanne. Mais celle-ci devait connaître une destinée tragique, avec la mort d’un de ses fils, et, à la suite de sa défaite, l’éloignement du second.
Autre héroïne médiévale, Magdelaine de Sade, une jeune Avignonnaise ambitieuse, rêvait de dominer le monde pour s’enrichir à sa guise. Élevée dans le luxe, elle choisit pour s’illustrer un domaine étranger à son milieu d’origine, et devint « armateur, amiral et corsaire. » À la cour pontificale, la jeune épouse de Joachim de Sade rencontra Galeo Della Rovere, neveu du pape, mais sa liaison ne la détourna pas de l’esprit d’aventure qui l’animait. Elle s’installa à Marseille, contribua à étoffer la flotte du roi de France puis, âgée de quarante ans, combattit les Espagnols sur mer aux côtés du baron de Saint-Blancard. En Méditerranée, elle continua à se livrer à divers trafics et actes de piraterie qui accrurent considérablement sa fortune, et mourut à plus de soixante-dix ans.

Du XVIe au XVIIIe siècle

Elisabeth Killigrew était l’épouse de Sir John Killigrew, vice-amiral de Cornouailles, gouverneur royal et pirate notoire. Le laxisme de la Couronne à son égard s’explique par les bénéfices que le pouvoir royal tirait de ses activités illégales. Le 1er janvier 1582, profitant de ce qu’un navire hanséatique, au cours d’une tempête, avait trouvé refuge dans le port de Falmouth, elle ourdit un plan pour sa capture. Avec ses hommes, elle neutralisa l’équipage et prit possession de la cargaison. Les soupçons de ses hôtes hollandais se muèrent en accusations, mais ils ne purent rien prouver. Elle échappa au gibet et demeura légendaire, tant pour son audace que sa cupidité. Autre personnage fascinant, Judith-Armande Préjoly, filleule de Richelieu mais convertie avec son père au protestantisme, qui participa au siège de La Rochelle. Déçue par la défection de l’Angleterre, elle décida de se venger en se ralliant à la France, et, en 1630, à 21 ans, à bord du Goliath, devint armateur et corsaire du roi. C’est aux Antilles qu’elle lutta contre les Anglais et les Espagnols, avant de devenir baronne de Préjoly.
D’autres aventurières, comme Jacquotte Delahaye et Marie-Anne Dieuleveult, devaient aussi mener une vie périlleuse dans le Nouveau Monde, en partageant l’existence des boucaniers dans le secteur de l’île de la Tortue, Saint-Domingue et la Jamaïque. Jacquotte n’avait pas tout à fait 15 ans quand elle rejoignit Marie-Anne. Viols infligés par leurs ennemis, pillages, expéditions constituèrent leur quotidien, jusqu’à leur disparition. Louise-Marguerite de Bréville, issue de la noblesse, demeure à part. Bercée par les exploits de ses ancêtres et les récits de chevalerie, elle ambitionna d’être libre de sa vie et de ses actes et d’entrer dans l’histoire. Elle s’enrôla sous l’identité de Louis de Pléville et prit la mer en 1670 sous les ordres de Jean d’Estrées. Après être passée par tous les postes elle devint canonnier, étudia dans les écoles de guerre de Dunkerque et Toulon pour pouvoir accéder au grade d’officier. Membre de l’état-major du comte d’Estrées elle combattit les Barbaresques à ses côtés. Elle mourut le 26 juin 1973 au cours d’une bataille navale. Deux autres femmes, Julienne David et Louise Antonini devaient suivre ses traces en devenant corsaires sous la Révolution. Un autre visage de la flibuste prend les traits de la marquise Aliénor du Tillet, qui, après avoir refusé de se marier pour ne pas quitter Paris, avait fini par accepter, séduite par le charme physique de son prétendant. Mais ce dernier, surendetté, l’avait offerte à un corsaire, le capitaine Gendron. Il l’avait enivrée jusqu’à ce qu’elle perde conscience, et elle s’était réveillée sur un chebec voguant vers l’Afrique, un sort qui pouvait aisément rivaliser avec ceux que présente la fiction romanesque.
Mais la liste de ces aventurières s’avérerait incomplète sans les célèbres figures d’Anne Bonny et Mary Read. Anne Bonny prit la mer aux côtés de John Rackam, dont elle devint la maîtresse, avant de rencontrer Mary, avec laquelle elle entretint aussi une liaison. Tous trois furent jugés pour crimes de piraterie. Six mois après la pendaison de Rackam, Mary mourut en prison d’un mal mystérieux, tandis qu’Anny, bénéficiaire d’un sursis en raison de sa grossesse, disparaissait dans la nature.

Du monde occidental à l’Asie

Ching Yih-Saou, « l’impératrice des mers de Chine », s’attaquait aux riches marchands mais se montrait juste et équitable envers les populations déshéritées. Veuve d’un célèbre pirate possédant six escadres, elle succéda à son mari, en se plaçant sous la protection de la déesse de la mer. Après avoir défait l’amiral Kow Long, qui, ne pouvant supporter l’humiliation, se suicida, elle s’attaqua à l’amiral Tsuen sans pouvoir le vaincre. Mais il fallut encore de nombreux combats, de nombreux succès avant qu’elle consente à sa reddition.
Plus mystérieuse, l’apparition fantomatique qui guida le capitaine Benito de Soto. S’agit-il d’une personne réelle ou d’une légende ? Ceux qui tentèrent de percer son secret moururent de façon mystérieuse. Mais aussi Bethane Cormac, « l’héritière d’une lignée légendaire », Moïra, « La sorcière des Roches Noires », Patti Lee, la fiancée du contrebandier, côtoient dans le livre d’autres héroïnes sulfureuses, Lai Choi-San et Tran Li-hué. La première devait sévir au XXe siècle en mer de Chine, de Shanghai à Canton, dans les eaux mal famées de Hong Kong et de Macao, et les régions dangereuses de Bias Bay. Lai Choi-San signifie : « la montagne et la fortune réunies ». Fille d’un ancien pirate du Fleuve Bleu qui s’était enrichi, avec ses sept vaisseaux armés, elle fit trembler « le commerce de la Chine du Sud vers le milieu des années vingt. » Quant à la seconde, elle vit à l’âge de 15 ans son village incendié pendant la guerre du Vietnam et ne vécut que pour la vengeance, en se livrant à des actes de piraterie.

Le livre de Gérard A. Jaeger, au style clair et aisé, revisite le destin de plusieurs femmes d’exception. Certaines sont restées célèbres, d’autres ont été oubliées de l’histoire. Cette série de biographies, exaltant des personnages flamboyants, sauvages et cruels parfois, présente une indéniable dimension romanesque. Le destin hors du commun de ces femmes, leur liberté, y compris dans le domaine sexuel, leur courage surpassant souvent celui des hommes, permet à l’auteur de leur redonner une place dans l’Histoire, et au lecteur de vivre, par procuration, leurs aventures, dont certaines ont inspiré, ou pourraient le faire, le 7e art.

Jaeger, Gérard A., Les amazones des sept mers, Le Félin, « Histoire et sociétés », 17/03/2022, 1 vol. (214 p.), 19,90€.

Image de Marion Poirson-Dechonne

Marion Poirson-Dechonne

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