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Si seulement la femme du voisin et toutes les autres femmes pouvaient se dépouiller de leurs vêtements noirs et de leurs foulards blancs et se parer de jaune, de vert, de bleu, d’orange, de mauve et de pourpre ! Si seulement un jour arrivait, où ce seraient les fleurs de leurs jardins qu’elles arroseraient avec leur seau d’eau et de jolis oiseaux qu’elles attireraient à elles pour les nourrir… Ce qu’elle serait belle, cette ville ! Et les autres villes aussi, et le monde entier ! Si un jour… Si seulement…

Les femmes à qui Spojmaî Zariab donne la parole sont ces femmes voilées de noir, portant le foulard blanc du deuil et qui n’ont eau à verser et graines à semer que sur les tombes de ceux qui leur ont été arrachés. Comme l’autrice, elles sont afghanes et leur monde est viscéralement marqué du sceau de la guerre, bouleversé par les fous de Dieu et le carcan liberticide qu’ils posent autour d’elles, meurtri aussi bien par les bombes, que par les règles coercitives qui étouffent tout de la vie et de l’espoir des Afghans. Elles marchent dans les ruines, sont des cibles et des proies faciles, corps et voix réduits au silence et à l’invisibilité. Pourtant, toutes portent au cœur un étrange espoir que les jours meilleurs reviendront. Elles se font les vestales des souvenirs heureux et des contes qu’elles transmettent. Elles sont profondément salies par la mort et tout à la fois porteuses d’un incommensurable souffle de vie. Alors elles disent, content, dansent, transmettent, marchent, soignent, restent debout, simplement existent face à ceux qui remettent en cause jusqu’à leur existence même.

En une vingtaine de nouvelles où la fable côtoie magnifiquement la poésie, le fantastique et le spirituel, Spojmaî Zariab dit son pays déchiré, la souffrance de celles et ceux qui le peuplent. Sous sa plume, elle poétise le laid en lui faisant prendre la forme récurrente de murs qui semblent se refermer sur leurs personnages, de regards qui peu à peu enserrent, de mots répétés qui se muent en une litanie étouffante. À la lire, on ressent cette pression invisible, innommable, indicible, elle étreint les lecteurs que nous sommes, et qui finissent par ressentir physiquement les tensions qui balaient cette terre lointaine.

Elle dit aussi le passé heureux, les histoires qui ont voyagé de génération en génération, le respect des morts et leur souvenir précieux, les chevaux de bois colorés d’un manège abandonné, le petit puits blanc fabriqué par une mère aimante, toutes ces minuscules tâches de couleur posées sur le gris des ruines et l’ocre de la terre ingrate comme autant de défis au malheur et à la mort, comme autant d’infimes victoires.

Spojmaî Zariab se dit enfin, elle l’Afghane exilée en France depuis les années 1990, elle l’enfant heureuse dans les rues de son pays pas encore soumis par la folie des Talibans, elle la femme devenue autrice, épouse et mère loin d’une terre natale qui, malgré tout, ne la quitte jamais vraiment, qui la constitue et la parcourt. L’on croise tour à tour l’une et l’autre des identités de cette autrice majeure dans nombre de ses nouvelles et, si le sol, les villes, les habitants qu’elle décrit ont de fortes chances de nous rester à jamais inconnus, l’universalité des sentiments et des émotions qu’elle sait transmettre nous parlent au cœur et aux tripes.

Zariâb, Spôjmaï, Les demeures sans nom : et autres nouvelles, traduit du persan (Afghanistan) et postface par Didier Leroy, Ed. de l’Aube, 03/02/2022,1 vol. (320 p.), 13,90€

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