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Tout sur Pasolini est un intitulé laconique et euphémique qui cache un Dictionnaire encyclopédique pasolinien (pp. 43-432) certes cinématographique mais aussi, littéraire, poétique, théâtral et pictural, à l’image, fixe et mobile, de Pasolini (1922-1975), génie léornardien, engagé et polémiste, homme des provocations et scandales. Tout est démesuré dans cet ouvrage qui décrypte cette totalité icebergienne, riche et insoupçonnée : le nombre de codirecteurs (4) (Jean Gili, historien spécialiste du cinéma italien ; Roberto Chiesi, responsable des Archives Pasolini de la Cinémathèque de Bologne ; Sylvana Cirillo, professeure de littérature italienne contemporaine ; Piero Spila, vice-président du Syndicat national des critiques cinématographiques italiens), le nombre de collaborateurs (50), le nombre d’entrées (150) (de Accattone à Zigaina), le nombre de photos (plus de 400), le nombre de pages (450), le poids (0,950 kg) (pour un ouvrage appelé à le devenir). Pour faciliter la lecture, certaines entrées sont précédées de symboles précisant d’un simple coup d’œil les principaux genres pasoliniens : Cinéma, Roman, Essai, Poésie. Dans sa préface, Philippe Vilain souligne combien, quarante-sept ans après sa mort, Pasolini est toujours moderne et l’un des écrivains et cinéastes phare du XXe siècle.

Un remarquable travail de traduction

La question qui se pose est comment parcourir ce dictionnaire ? Par entrées filmiques, auteurs et réalisateurs, pour les cinéphiles ? Par entrées poétiques et théâtrales pour les littéraires ? Par entrées artistiques pour les autres ? Par ordre numérique des pages pour les lecteurs plus classiques ? Par sujets suggestifs ? Par accointance avec des auteurs ? Vu le nombre d’entrées et d’auteurs, il est impossible de faire un compte rendu précis, prenons donc au hasard quelques intitulés. Acteur de Patrice Lajus. Pasolini est apparu dans trois de ses films (Œdipe roi (1967), Le Décaméron (1971), Les contes de Canterbury (1972), simplement pour n’avoir pas trouvé la personne adéquate et par envie d’interpréter un rôle, mais il a accepté de jouer deux fois avec Carlo Lizzani (né comme lui en 1922 mais mort en 2013), dans Il Gobbo (1960) et Requiescant (1967). Censures. Sous la coupe des bien-pensants de Alfredo Rossi. L’auteur, fort d’exemples, souligne bien les différentes vicissitudes judiciaires, les tracasseries administratives et politiques, les censures publiques et privées, religieuses et fascistes, qui s’accumulent les unes aux autres, s’acharnent contre un créateur brillant et dérangeant (homosexuel déclaré, communiste engagé et intello public) et frappent autant ses écrits (Les Ragazzi) que ses films (Accattone, Mamma Roma, La Ricotta, Théorème, Le Décameron, Les contes de Canterbury, Les Mille et une nuits, Salo ou les 120 jours de Sodome. Si Critique cinématographique a droit à une double approche, française (Jean Gili) et italienne (Piero Spila), Censures ne traite que les italiennes au détriment des censures françaises, ce qui pourrait faire penser que ce dictionnaire, à la fois français et italien, est plus italien que français (ce qui n’est pas un reproche). Il faut d’ailleurs saluer le travail de traduction en français des textes italiens de Fabien Gautheron (comme la remarquable et étonnante galerie de photos de Enrico Giacovelli). Dante de Guido Santato souligne l’œuvre dantesque de Pasolini, tant littéraire (Les Ragazzi), poétique (La divine mimesis) que filmique, l’enfer et les citations parcourant ses films (Accattone, Mamma Roma…). Football de Bertrand Levergeois dévoile le Pasolini supporter et sportif qui aime et défend un sport de guerriers et de marchandisation. C’est une religion avec ses temples, ses totems, ses fidèles et ses fanatiques.

Un artiste protéiforme

À un journaliste qu’il lui demandait quel métier il aurait choisi s’il n’avait pas fait de cinéma ou pas écrit, il répondit être un footballeur. Magnani Anna de Domenico Monetti évoque l’actrice qui marqua Pasolini dans Rome, ville ouverte (1945) de Roberto Rosselini, et qui devient Mamma Roma, actrice phare de la Nouvelle vague italienne. Sexe de Jean-Max Méjean soulève la problématique du sexe qui, que l’on soit poète, chrétien, marxiste ou freudien, habite l’œuvre de Pasolini. Dès 1964, Comizi de amore est un documentaire confidentiel sur la sexualité des Italiens. Théorème est un coup de massue asséné à l’Église, un ange séduit tout une famille : mère, père, bonne, fille, fils. Porcherie et Médée (1969) complètent la sexualité selon Pasolini. Et qui ne connaît la scène imagée des Mille et une nuits où un jeune homme bande un arc muni d’une flèche en forme de phallus vers le sexe de la jeune fille assise devant lui ? Théorème est consacré par deux textes complémentaires (de Piero Spila sur le film et de Paolo Lago sur le roman) qui attestent du bouillonnement intellectuel de Pasolini. Certains articles, conséquents, ont droit à des pages grises, formant de petits carnets à part : Cinéma de Piero Spila, Danse de Marinella Guatterini, Essais de Filippo La Porta, Musique de Roberto Calabretto, Peinture de Claudia Crescentini, Poésie de Roberto Gigliucci, Roman de Silvana Cirillo, Théâtre de Stefano Casi. Enfin, une Bibliographie bilingue (française et italienne) et un Index des noms (Betti Laura, Callas Maria, Davoli Ninetto, Moravia Alberto, Rimbaud Arthur et Toto Antonio de Curtis étant les plus cités) ferment le tout. Pour conclure, cet opus est rédigé par des critiques, écrivains, essayistes, universitaires. C’est un aréopage d’experts et de passionnés français et italiens qui réussit à traduire une œuvre foisonnante et révolutionnaire. Pour Hervé Joubert-Laurencin, Pasolini n’a cessé de mourir et pourtant il est né et n’a jamais cessé de vivre. Tel Oedipe-roi, il est celui que l’on ne voit ni mourir ni être enterré, un non-mort qui revit avec ce livre destiné aux spécialistes et amateurs du cinéma italien et pasolinien. Publié pour le centenaire de la naissance de Pasolini, cet impressionnant pavé dans l’amare est l’occasion unique de redécouvrir et d’aimer un artiste protéiforme. Fait rare et preuve du poids international cet ouvrage, Tout sur Pasolini, a aussi une édition dans la langue de Dante, Tutto Pasolini.

Chronique d’Albert Montagne

Tout sur Pasolini, sous la direction de Jean Gili, Roberto Chiesi, Silvana Cirillo, Piero Spila, avec les textes et les contributions de Gloria Albonetti, Nicolas Bauche, Pascal Binétruy et al. Préface de Philippe Vilain introductions de Hervé Joubert-Laurencin et Davide Luglio. Galerie photographique de Enrico Giacovelli, traduction en français des textes italiens Fabien Gautheron ; Editions Gremese,  03/02/2022, 1 vol. (447 p.-88 pl.), 39€.

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