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Doit-on “payer pour le péché de nos ancêtres” ? C’est à cette invitation herméneutique que Robert Mazziotta nous convie dans son premier essai très réussi : “Les Mémoires réconciliées”.
D’entrée, le ton est donné. L’auteur nous fait part de ses doutes. “Mémoires” – “réconciliées” : dans le contexte de l’exil, presque un oxymore. Robert Mazziotta a eu très vite conscience que le titre de son livre pouvait choquer toutes celles et ceux qui ont subi l’immense traumatisme du départ d’Algérie durant quatre mois de l’année 1962. Lorsqu’il a parlé de son projet, il a soulevé l’enthousiasme et puis – à l’énoncé du titre – les visages se sont fermés, puis les portes. On peut comprendre toutes celles et tous ceux qui – aujourd’hui encore – sont incapables, pour des raisons légitimes, de pardonner. Toutes celles et tous ceux qui ont vu leur famille fauchée par une rafale de mitraillette, une grenade lancée dans un bar ; un proche, un ami, égorgé devant leurs yeux alors qu’ils étaient innocents ; des familles massacrées alors qu’elles n’étaient que de modestes propriétaires terriens, quand ce ne fut pas l’OAS commettant d’inacceptables exactions envers des Français. Des relents nauséabonds d’extrême droite et de la France de Vichy. On comprend pourquoi Robert Mazziotta les a en détestation. Ces femmes et ces hommes que l’on persiste à appeler les “pieds-noirs”, l’horreur, ils l’ont vécue et, comme dans toutes guerres, elle est indicible, impardonnable, ou alors il faut s’appeler Etty Hillesum. Souvenons-nous de la “Terreur Rouge” précédant la “Terreur blanche” durant la guerre civile espagnole, et qui avait jeté près de 450 000 républicains espagnols dans un exode qui les avait conduits dans le département des Pyrénées-Orientales, comptant alors 240 000 âmes. Ils n’étaient pas les bienvenus. On les a parqués dans des camps. Parmi les 650 000 Français d’Algérie, qui ont dû tout abandonner en quelques jours, Robert Mazziotta avait 13 ans et – lui aussi – n’a jamais pu oublier : “Lors de l’appareillage du paquebot, les passagers se rassemblent à l’arrière, ils fixent tous, le regard perdu, cette ville qu’ils ne reverront plus. On entend seulement le bruit des machines, aucun cri, aucune parole, parfois quelques murmures : ‘Adieu Oran, adieu l’Algérie, adieu mon pays’.”
Eux non plus, ces “pieds-noirs” n’étaient pas les bienvenus en France, un pays dont c’était la patrie et pour laquelle Français “de souche”, Français musulmans, Kabyles, Juifs, ont donné leur sang durant deux guerres mondiales. L’ouvrage est si émouvant, qu’à chaque page on aurait le désir d’en extraire une citation et il devrait être lu par tous les professeurs d’Histoire. C’est un essai didactique écrit par un témoin, mais qui a la particularité de se mettre à la place de “l’autre”, d’essayer de le comprendre et peut-être de lui pardonner. On pourrait presque imaginer un dialogue entre l’auteur et Albert Camus, tant leurs opinions convergent. Robert Mazziotta est la hauteur de la tâche qu’il s’est assignée : “une inimaginable relation fraternelle pour remplacer les rancœurs, c’est à nous de le vouloir. Nous avons trop de points communs pour nous opposer encore, nous pouvons au contraire les utiliser pour nous réunir. Il suffit de presque rien…”
Ce “presque rien” s’appelle la fraternité et c’est pourquoi Robert Mazziotta fait montre d’humanisme. Ce n’est pas un hasard s’il cite l’Émir Abdelkader, ce grand chef de guerre musulman qui combattit avec force l’envahisseur français et qui déclara un jour : “Si les musulmans et les chrétiens me prêtaient attention, je ferais cesser leurs divergences et ils deviendraient frères à l’intérieur et à l’extérieur ; mais ils ne m’écouteront pas, parce qu’il est préétabli dans la science de Dieu, qu’ils ne se réuniront pas dans une même pensée…”

Jean-Jacques BEDU
contact@marenostrum.pm

Robert Mazziotta ; « Les Mémoires réconciliées » ; L’Harmattan ; Juillet 2019 ; 156p. 17.00€

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