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Reem Yasmina Laghrari, Les prophètes à la lumière du Coran et de la Bible, préface de Éric de Kermel, Le Relié, 14/03/2024, 1 vol. (596 p.), 23,90€

La messagerie entre Dieu et les hommes est constamment saturée. Ça n’arrête pas de parler, de s’envoyer des signes et des signaux, de fumée et de mots, de communiquer. Tous les canaux sont empruntés, les fréquences, les vents et courants et rumeurs de l’air. C’est un dialogue parfois de sourds mais continue depuis que Dieu a eu l’idée de peupler la terre de créatures dotées d’un cœur pour l’aimer, “même mal” comme dit Jacques Brel. Ces échanges entre le Ciel et la Terre sont régis par des sortes de “techniciens spirituels”, capables d’établir ou restaurer une communication, capables aussi de traduire un langage dans un autre puisqu’on peut légitimement penser que la langue du Père est inaccessible à ses enfants, quels que fussent leurs efforts déployés pour l’entendre. Et peut-être la langue de ses enfants est-elle incompréhensible aussi au Père ? ! Ces pourvoyeurs d’échanges entre Dieu et les hommes travaillent pour les deux parties avec un zèle inégalable, conscients que de la qualité de ce dialogue dépend la paix et la béatitude de l’Un et la prospérité et la croissance spirituelle des autres.

Dieu dispose de son côté des anges, créatures de lumière, en arabe nùr.

Dépourvus de désirs ou de pulsions, nous dit l’auteure, les anges obéissent exclusivement à Dieu. Ils célèbrent Ses louanges, et remplissent des rôles bien définis comme porter le Trône du Seigneur, transmettre des messages aux hommes, venir à leurs secours, intercéder en leur faveur ou encore les accompagner durant toute leur vie afin de les protéger, de les garder et de noter leurs bonnes actions avec un coefficient dix fois supérieur à celui des mauvaises.

À côté des anges viennent les génies (nâr), créatures de feu.

Ils peuvent être bons ou maléfiques, comme les démons. En arabe, le mot djinn désignant les génies a la même racine que le verbe janna qui veut dire à la fois couvrir et cacher, ce qui a donné le mot utilisé pour désigner un jardin, couvert de verdure, et par extension le Paradis mais aussi la folie, jinna, lorsque la raison s’obscurcit telle une nuit sans étoiles, plongeant le majnoûn, celui qui est possédé, dans un délire incompréhensible.

Anges, génies et démons évoluent donc dans un monde caché, invisible, dit ‘alam al-ghayb, au service de Dieu.

Dans le monde visible, monde appelé ‘alam al-shahada, les hommes disposent de leur côté des prophètes (nabî). Pour guider ses enfants, Dieu a mandaté en effet certains d’entre eux afin qu’ils transmettent parmi les hommes quelque chose de lui. Parmi ces prophètes, certains sont chargés de communiquer à leur peuple une forme réactualisée de la révélation divine sous la forme d’une nouvelle législation. Ces prophètes sont appelés les messagers (rasûl). Prophètes ou messagers, ils :

bénéficient du privilège d’avoir été choisi par Dieu pour accomplir des actes inspirés par Sa volonté. En écoutant leurs avertissements, en appliquant leurs recommandations, en méditant sur leurs vies, en suivant leurs modèles, les hommes pourront réussir à connaître leur Seigneur, ou plus exactement à le re-connaître, et tout en se rapprochant de Lui ils feront de leur mieux pour L’adorer comme il se doit. Le premier de ces prophètes est Adam, le dernier est Muhammad. Lui-même aurait affirmé que cent vingt-quatre mille prophètes ont été envoyés à l’humanité, dont trois cent trente messagers.

Ce qui signale bien une communication de part et d’autre difficile.
Seuls vingt-cinq sont cités dans le Coran. 

On comprend bien l’intérêt de se mettre à l’écoute de ceux qui ont l’oreille du Père, sa ligne directe. Sur ces prémices, la démarche de Reem Yasmina Laghrari visant à interroger ces figures que se partagent le Coran et la Bible, paraît fonder, indiscutable. Elle n’en est pas moins remarquable, saisissante d’authenticité. Qu’est-ce qui a motivé cette femme, docteur en pharmacie et pharmacienne à Rabat à entreprendre une telle enquête ? Elle le dit avec une gravité particulière à l’entrée de son livre :

Ce livre est né d’un désir de partage. Il est le fruit d’années de recherches durant lesquelles mon cœur et mon esprit se sont épanouis. En tant que musulmane, je suis souvent attristée de constater à quel point, de nos jours, l’islam peut être stigmatisé, rejeté ou au contraire encensé par des personnes prônant un dogmatisme rigoureux, en totale opposition avec l’ouverture d’esprit à laquelle invite le texte sacré. La voie du milieu est un concept bouddhiste consistant à éviter les extrêmes, c’est-à-dire aussi bien la quête incessante des plaisirs matériels que l’ascétisme, afin d’atteindre l’illumination. Or le Coran qualifie justement les musulmans de "communauté médiane", ou "communauté du juste milieu" selon les traductions du verset 2, 143. Les traditions spirituelles ont donc toujours considéré la modération comme une qualité.

La motivation et maintenant la méthode :

Une partie importante du Coran est constituée des histoires des prophètes. J’ai tenté de les raconter, par ordre chronologique, en relatant leur existence tout en fournissant un maximum de références historiques, scientifiques, archéologiques, mais également symboliques ou encore mystiques.

Une suite de vingt-cinq portraits fouillés, commençant par Adam et s’achevant par Muhammad. Le travail d’exégèse mené par Reem Yasmina Laghrari est remarquable dans la mesure où il essaie constamment de compléter l’approche et la lecture théologique du texte sacré par une lecture éclairée par les sciences humaines et les découvertes scientifiques, de les unir comme elle tente par là même de réconcilier les familles de lecteurs, comme elle espère aussi attirer vers le texte des lecteurs écartés par la stigmatisation de l’islam. Pour accéder à la dimension océanique d’un texte révélé, nous dit-elle, aucun outil ne peut être considéré comme obsolète ou superflu. Peut-être la vocation du texte remis entre les mains des hommes est d’en appeler chez eux à toutes les fonctions de réception et d’entendement, de marier en eux le cœur, la foi et la raison. Un dialogue avec authentique Dieu ne peut être qu’à cette condition.

Rejeter les données scientifiques, écrit-elle, va à l’encontre des recommandations divines. Pourquoi Dieu nous inciterait-Il à faire des recherches si c’est pour, ensuite, les renier ?

Et de citer l’exemple du généticien américain Francis S. Collins, à la tête du projet de séquençage du génome humain, qualifiant le code héréditaire dans sa complexité et sa précision, de “langage de Dieu”. Chercheur athée, Francis S. Collins, devenu croyant, raconte cette épopée à la fois scientifique et mystique dans De la génétique à Dieu (Presses de la Renaissance, 2010). Je cite ce long passage du livre de Reem Yasmina Laghrari parce qu’il donne une idée assez précise de sa méthode et de l’honnêteté intellectuelle et spirituelle qui l’anime :

Il est fascinant de lire et relire le Coran à la lumière des découvertes scientifiques les plus récentes! En effet, le Coran ne se limite pas uniquement à un ensemble de lois morales, à des directives rigoureuses, à de belles liturgies ou aux récits des prophètes, il est également une invitation à développer sa curiosité scientifique, à se tourner vers l’Espace, à considérer le mouvement des planètes, à admirer les étoiles, à explorer les mystères du corps humain et à étudier le monde animal et végétal. Autrement dit, il incite à la recherche scientifique, tous domaines confondus. Car, en décryptant les innombrables messages inscrits dans la Nature, on se rapproche de la Vérité. Or, la Vérité est une et une seule. Pour tenter de l’appréhender, on peut choisir d’emprunter la voie scientifique ou la voie spirituelle. Chaque quête conduit à la découverte de certaines vérités, mais la Vérité absolue se trouve là où tous les chemins se rejoignent, là où toutes les vérités fusionnent, là où brille la Lumière. Le premier mot révélé au prophète Muhammad fut Iqra, traduit tout à la fois par "lis, récite et transmets". Étudier, telle est donc la première recommandation de l’Islam. La croyance s’enrichit par la connaissance, non par l’ignorance, et vice-versa. En effet, que serait la science sans morale ni éthique et que serait la spiritualité sans curiosité ni émerveillement ? La science garderait-elle toute sa noblesse entre les mains de personnes dénuées de conscience et la religion gagnerait-elle plus d’adeptes si elle était confiée à des ignorants ?

Les prophètes s’avèrent être des guides éclairés pour affronter les épreuves, nos épreuves au quotidien comme les épreuves où tombent si souvent les peuples, mais encore pour nous enseigner à nous aimer les uns les autres par-delà nos identités, nos langues et nos croyances. Dans ce monde déchiré, ils sont ces ponts que nos peurs et nos cœurs trop étroits nous interdisent de franchir, comme ils ont été pour nos pères et nos mères les “messagers” du Très-Haut, ses porte-parole, ses porte-amour.

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Chroniqueur : Jean-Philippe de Tonnac

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