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Vous n’avez jamais lu un livre – sur l’histoire du livre – comme celui d’Irene Vallejo. Savant sans être pédant, fourmillant de milles détails et anecdotes mais captivant. De ce voyage à travers le temps et les confins de la Méditerranée, c’est Athènes, Alexandrie, Rome, tant d’autres lieux et tant d’autres époques, qui surgissent à la surface des pages, à travers quelques signes tracés. L’autrice nous fait nous émerveiller comme nous le devrions toujours devant le miracle de l’invention de l’écriture. Elle s’étonne et nous avec elle, de la fixation des mots par de l’encre sur du papyrus.

Le premier livre de l’Histoire est né quand les mots, à peine des bulles d’air, trouvèrent refuge dans la moelle d’une plante aquatique. Face à ses ancêtres inertes et rigides, le livre fut dès le départ un objet flexible, léger, prêt pour le voyage et l’aventure.

Le livre n’avait certes pas encore la forme qui fait sa fortune depuis deux millénaires, mais il est déjà là, objet tangible de convoitise, objet de collection, de connaissance, de beauté. Le récit d’Irene Vallejo – car il s’agit bien d’une histoire qu’elle nous raconte, mais certainement pas pour nous endormir – commence d’ailleurs avec la chevauchée, qu’elle imagine, des cavaliers de Ptolémée, le compagnon d’Alexandre et fondateur de la dernière dynastie égyptienne, qui parcourent les terres voisines à la recherche de livres. Pour la première fois, quelqu’un fait le rêve insensé de rassembler tous les savoirs, toute la littérature du monde ! Aujourd’hui disparue, la bibliothèque d’Alexandrie demeure comme un doux rêve, non seulement à cause du mystère qui l’entoure, mais encore inaccessible à la somme de connaissances et d’œuvres aujourd’hui accumulées. La dématérialisation numérique des savoirs qui, légitimement, peut nous enthousiasmer, ne saurait satisfaire ni le bibliophile ni le bibliomane, pour lesquels le contenant et au moins aussi important que le contenu.

Dans un style alerte et personnel, intime même parfois, Irene Vallejo fait au fil des chapitres des bonds de plusieurs siècles dans le temps, n’hésitant pas à recourir à l’anecdote, à la littérature contemporaine, au fait divers, tout en éclairant avec la distance de l’humour – non sans admiration – les œuvres qui constituent le patrimoine de l’humanité. Homère bien sûr, reste l’auteur qui hante ces pages, à la fois présent et absent, immortel parmi les illustres morts. “Qu’un auteur aussi important pour notre culture soit seulement un fantôme ne cessera jamais de me fasciner. […] L’ombre d’Homère disparaît sur les terres obscures. Et cela rend encore plus éblouissantes l’Illiade et L’Odyssée […]”

Le mirage d’une bibliothèque mondiale semblerait de plus en plus accessible grâce au numérique en même temps que s’éloigne l’horizon de la posséder, de la lire (même en se contentant modestement d’un seul domaine de lecture). “Disposer de tous est bon pour réfléchir et permet de choisir”, et peut-être d’ajouter à notre tour à la bibliothèque rêvée de l’humanité. D’aucuns peuvent prédire la disparition du livre, mais “du calme. Il ne subsiste plus tellement d’objets millénaires parmi nous. […] Ceux qui restent ont montré qu’ils étaient des survivants difficiles à déloger (la roue, la chaise, la cuillère, les ciseaux, le verre, le marteau, le livre…).”

Lettre d’amour pour le livre, jamais redondante, jamais ennuyeuse, dans une langue simple et élégante, “L’Infini dans un roseau” donne l’occasion à Irene Vallejo de faire d’emblée son entrée dans la cour de ces auteurs qui frappent de leur poésie la solennité du monde. Ces auteurs qu’on n’oubliera plus.

Marc DECOUDUN
articles@marenostrum.pm

Vallejo Irene, “L’infini dans un roseau : l’invention des livres dans l’Antiquité”, traduction de l’espagnol (Espagne) par Anne Plantagenet, Les Belles lettres, 10/09/2021, 1 vol. (558 p.), 23,50€

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