Temps de lecture approximatif : 6 minutes

Ahmad Massoud, Notre liberté, préface d’Olivier Weber, Bouquins, 28/09/2023, 1 vol. 352p, 22€.

Le commandant Massoud, avec son fils unique, Ahmad. Il a 12 ans quand son père est assassiné. © DR

L'émir Abdelkader et le commandant Massoud : deux étoiles jumelles

Le livre d’Ahmad Massoud est un témoignage poignant sur le combat du peuple afghan pour la liberté et la démocratie face à l’obscurantisme taliban. Fils du légendaire commandant Massoud assassiné en 2001, Ahmad Massoud – qui avait 12 ans à l’époque des faits – reprend le flambeau de la résistance avec un immense courage. À la lecture de l’ouvrage – au sein duquel le fils rend un hommage émouvant à son père – on ne peut s’empêcher de faire un parallèle avec la figure de l’émir Abdelkader, icône de la résistance contre l’invasion française en Algérie. Comme ce dernier, le commandant Massoud a mené pendant près de deux décennies une guérilla victorieuse contre l’Armée rouge. Animé par la foi et une indomptable détermination, il a infligé défaite sur défaite à la puissante machine de guerre soviétique. Massoud et Abdelkader avaient en commun leur génie stratégique et leur sens inné du commandement. Ils dirigeaient la lutte avec habileté, usant de tactiques de harcèlement qui déroutèrent l’ennemi. Leurs troupes leur vouèrent un culte qui confine à la dévotion. Tous deux profondément croyants, ils puisaient leur force dans une lecture éclairée du Coran qui prône la tolérance. Abdelkader était un grand maître Soufi, Ahmad Shah Massoud manifestait un goût prononcé pour la littérature française ; les idéaux des Lumières l’inspiraient. L’un comme l’autre savait allier fermeté et clémence, n’hésitant pas à épargner leurs opposants quand l’honneur l’exigeait. Hommes de paix dans l’âme, Massoud et Abdelkader ne prenaient les armes qu’accablés par la nécessité. Ils tentaient jusqu’au bout la voie des négociations avant de recourir à la violence. Véritables phares pour leur peuple, Massoud et Abdelkader ont marqué leur époque par leur aura de noblesse et de grandeur. Mais face aux Talibans, la grandeur d’âme de ces deux combattants est-elle encore possible ? La nouvelle génération incarnée par Ahmad Massoud prouve que l’on peut combiner héroïsme, sagesse et vertu.

La corruption a ramené les Talibans au pouvoir

Dès les premières pages, le ton est donné. Ahmad Massoud décrit les errements tragiques des présidences Karzaï et Ghani, gangrenées par la corruption et les fraudes électorales à répétition. Même avec le déploiement massif des forces étrangères et l’afflux continu d’aide internationale, l’Afghanistan n’a pas pu empêcher le retour des talibans. La raison principale est la corruption endémique des élites afghanes, qui a miné le pays de l’intérieur. Ces dérives sapèrent les bases de la démocratie naissante. Comme le déplore amèrement Ahmad Massoud, “quand les États-Unis ont commencé à discuter avec les talibans durant l’été 2018“, le président Trump a commis “une grave erreur” en choisissant de “négocier directement avec les extrémistes islamistes, sans le gouvernement d’Afghanistan“. Lorsque les Américains sont partis dans les conditions que l’on sait, tout s’est effondré. Comme un fruit trop mûr tombant de l’arbre, le régime a chuté en quelques jours. La lucidité du constat n’a d’égale que la pertinence de l’analyse. Comme le rappelle Ahmad Massoud, “la fraude massive en faveur d’Ashraf Ghani en 2014 a été catastrophique. Cette année-là, la majeure partie du territoire était sécurisée, l’économie était florissante, la population soutenait la démocratie et la République. Mais l’élection et la victoire revendiquée de Ghani l’ont renvoyé dans la spirale du chaos“. Rien n’a pu empêcher le retour en force des talibans. En dépit des efforts militaires étrangers, l’avidité criminelle des élites afghanes aura donc précipité le pays dans le gouffre obscurantiste.
Mais ce livre vibre surtout de l’ardeur du résistant, habité par le sens du devoir et la quête de justice. Ahmad Massoud honore la mémoire de son père tout en imprimant sa marque. Son projet politique pour un Afghanistan démocratique, décentralisé et pluriel est certes ambitieux, mais résolument ancré dans le réel. Comme il l’écrit, “le programme politique ne peut s’appliquer qu’avec une vision tolérante du fait religieux, dans une approche de respect de l’autre, quel qu’il soit, et dans un rejet de toute forme d’extrémisme“.

Contre l’obscurantisme des Talibans, le rationalisme

Avec son interprétation novatrice du Coran, Ahmad Massoud défend un islam humaniste, rationnel et tolérant, fidèle à l’héritage de l’école hanafite. À ce titre, les pages du livre consacrées aux droits des femmes révèlent un féminisme éclairé. Ahmad Massoud rappelle que son père fut l’un des premiers défenseurs de ces droits en Afghanistan. À mille lieues de l’obscurantisme taliban, il plaide pour leur émancipation, clef de voûte de toute société démocratique. “Vous, les femmes, vous êtes la lumière d’un pays, et je veux vivre dans la lumière“, citait son père. Dans ce domaine, Ahmad Massoud suit les traces de son père, l’ouvrage est un puissant plaidoyer en faveur de la résistance des femmes afghanes. Au péril de leur vie, elles osent braver l’interdit taliban pour revendiquer leurs droits élémentaires. Leur lutte courageuse transcende les clivages et porte un message universel d’émancipation.
Dans cette même veine, l’auteur nous offre un vibrant plaidoyer pour un islam des Lumières, ouvert et tolérant. Loin des lectures rigoristes, Ahmad Massoud propose une interprétation humaniste et rationnelle du Livre saint. Fidèle à l’héritage de l’école hanafite, il prône un retour aux sources éclairé, dans un esprit de discernement. Selon lui, point n’est besoin de lire le Coran au pied de la lettre. L’essentiel est d’en saisir l’esprit universel de justice, de tolérance et d’amour du prochain. Les versets sont porteurs d’un sens caché qu’il s’agit de décrypter sans œillères.
Cette exégèse ouverte autorise toutes les adaptations nécessaires à la modernité. Elle ménage une place de choix à l’ijtihad, l’effort personnel d’interprétation. Loin du dogmatisme stérile, Ahmad Massoud invite chacun à user de raison pour tirer du Coran un sens conforme à son temps. Porteuse d’émancipation, cette lecture novatrice fait souffler un vent de liberté sur des sociétés figées. Elle ouvre la voie à un islam en phase avec les valeurs démocratiques et le respect des droits humains. Comme il l’écrit, il faut revenir à un islam tolérant et rationnel, seul antidote à l’extrémisme religieux qui menace le monde.

Sauver l'Afghanistan, urgence vitale

Le récit palpitant de la défense héroïque du Panshir révèle les talents de stratège d’Ahmad Massoud. Il décrit l’âpreté des combats face à un ennemi supérieur en nombre. L’abnégation et le courage de ses combattants forcent l’admiration. Ces nouveaux moudjahidines sont la fine fleur d’une jeunesse avide de liberté. “Nos hommes se sont battus comme des lions, il n’y a pas d’autres mots“, témoigne-t-il.
Ahmad Massoud dresse un réquisitoire implacable contre la barbarie talibane. Il décrit la déliquescence d’un pays tombé aux mains d’une poignée de fanatiques. Son analyse géopolitique est redoutable d’efficacité. Elle met en lumière la menace que représente un Afghanistan redevenu le sanctuaire du terrorisme international. Le retour au pouvoir des talibans n’est pas qu’une tragédie pour le peuple afghan. C’est aussi une menace pour le monde entier si l’on n’y prend garde. Un vent mauvais se lève, qui pourrait bien finir par souffler la mort et le chaos jusque dans nos villes. Il est encore temps d’éviter ce funeste destin. Mais pour cela, la communauté internationale doit aider de toute urgence le peuple afghan à renverser la barbarie talibane.
Au fil des pages se dévoile donc l’âme du résistant, habité par le sens du sacrifice et la quête d’absolu. Notre liberté porte un message d’espoir et d’unité. Il est un hymne à la liberté des peuples opprimés : “l’esprit de Massoud existe toujours. Car le Lion du Panshir est éternel“.
Ahmad Massoud mène le combat de son peuple. Il lance un vibrant appel à la communauté internationale afin qu’elle vienne en aide à l’Afghanistan. Le temps presse. Des négociations incluant toutes les parties doivent s’engager d’urgence pour sauver ce pays meurtri et épargner la région du péril terroriste. L’enjeu est planétaire. Il y a urgence à ne pas renouveler nos erreurs du passé. Il y a urgence à aider le peuple d’Afghanistan dans son combat et sa résistance pour la liberté“, plaide-t-il avec force.

Chems-eddine Hafiz, Recteur de la Grande Mosquée de Paris et Ahmad Massoud, lauréat du Prix Littéraire de la Grande Mosquée de Paris 2023 - section essai - DR

Lauréat du Prix littéraire de la Grande Mosquée de Paris 2023, Notre liberté porte en lui le souffle de l’espoir et les ferments de la renaissance. Animé par la quête de justice et le sens du devoir, Ahmad Massoud honore avec panache l’héritage paternel. La gloire est le soleil des morts dans leur splendeur ; la nouvelle aurore du fils du commandant Massoud fait renaître l’espoir. Cet être merveilleux, qui cite Roumi dans presque chacun de ses propos, nous invite à regarder l’avenir avec confiance. Car, ainsi qu’il l’écrit : “la nuit sera certes longue, mais il y a toujours une aube“.

Picture of Chroniqueur : Jean-Jacques Bedu

Chroniqueur : Jean-Jacques Bedu

NOS PARTENAIRES

Faire un don

Vos dons nous permettent de faire vivre les libraires indépendants ! Tous les livres financés par l’association seront offerts, en retour, à des associations ou aux médiathèques de nos villages. Les sommes récoltées permettent en plus de garantir l’indépendance de nos chroniques et un site sans publicité.

Vous aimerez aussi

Voir plus d'articles dans la catégorie : Biographie

Comments are closed.