Vendez tout ce que vous possédez, bradez tout, mais allez l’entendre. C’est le plus impressionnant, le plus surprenant, le plus merveilleux, le plus miraculeux […] Le plus inattendu des phénomènes jamais survenus. Cinq pieds, cinq pouces, taille de dragon, visage long et pâle, fortement caractérisé, bien avantagé au nez, œil d’aigle, cheveux noirs, longs et bouclés. Les prunelles, étincelantes de verve et de génie, voyagent dans l’orbite de ses yeux.
C’est ce qu’écrit François Castil-Blaze dans le « Journal des débats » du 13 mars 1831 à propos de Niccolò Paganini (1742-1840) qui était alors au sommet de son art. Paganini est bien la première « Rock Star » de la musique et de nombreux ouvrages ont déjà été écrits à propos du maestro. La biographie de Laure Dautriche, « Paganini le violoniste du diable » est parue cette année aux éditions Taillandier. L’autrice est journaliste, musicologue et violoniste. Laure Dautriche narre cette vie tumultueuse en puisant dans une imposante masse de documents et de sources, jusqu’au dernier descendant de Paganini. Elle fait monde d’érudition et de légèreté afin que son ouvrage ne soit pas réservé aux seuls universitaires, mais bien à la portée de tous les curieux et passionnés. Il s’impose donc avec évidence.
Antonio, son père jouait de la mandoline en amateur, et c’est tout naturellement qu’à cinq ans, Niccolò apprend la mandoline. À sept ans, son père lui achète son premier violon et sa mère fait un rêve où le Christ lui promet d’exaucer un de ses vœux : Teresa demande que son fils soit un grand violoniste. Niccolò passe sa jeunesse sous la férule d’un père tyrannique qui le contraint à travailler sans relâche, mais Niccolò est doué, trop doué. Très vite, les différents professeurs qui se succèdent atteignent leurs limites. C’est à huit ans qu’il compose sa première sonate pour violon. Le coup de pouce du destin arrive avec le marquis di Negro qui s’est entiché de l’enfant prodige et finance son premier concert alors qu’il a à peine onze ans. Le jeune génie n’a plus rien à faire à Gènes et, à treize ans, il se rend à Parme afin de rencontrer Alessandro Rolla grand pédagogue en matière de violon, qui – immédiatement – n’a aucun doute sur les capacités de Niccolò. Cette rencontre restera déterminante dans la vie du maestro. Rolla lui fait rencontrer d’autres maîtres qui lui apprennent la composition et l’harmonie. Sa soif de connaissance est inimaginable. Avec l’appui de ses professeurs, il interprète au Théâtre Royal de Parme deux concertos pour violons qu’il vient d’écrire. À son âge, c’est exceptionnel et si le violon est souvent source de supplices pour ceux qui apprennent à en jouer ; « pour lui c’est juste magique ». Les difficultés techniques le stimulent, et il étudie les plus grands maîtres italiens disparus : Tartini, Pugnani, Viotti, Geminiani, les Français Leclerc et Kreutzer et aussi l’Allemand Stamitz. Locatelli le fascine et devient son père spirituel. La découverte de son « Art du violon » le bouleverse et, à quinze ans il décide qu’il n’a plus besoin de professeur.
Outre la volonté et le travail, Niccolò Paganini est atteint du syndrome de Marfan. Il en a peu souffert, mais il en présente quelques caractéristiques : grand, très maigre (étisie), des doigts longs et élastiques (arachnodyctalie), grande pâleur, ce qui a sans aucun doute participé à sa légende. Son visage très pâle entouré de longs cheveux noirs, ses yeux noirs, et avec ses habits noirs sur son grand corps maigre, il effrayait les gens dans la rue. Conjugué à une virtuosité jamais connue, le public le croit habité pas le diable. Comme il prit soin toute sa vie de ne jamais être vu ni écouté en répétitions, les rumeurs les plus folles circulaient sur l’origine de son don. C’est ainsi que le personnage de Niccolò Paganini est devenu un mythe de son vivant. Tout ce qui sortait de l’ordinaire devint « à la Paganini ». Les articles dithyrambiques dans la presse de l’époque, comme celui qui débute cette chronique, ont participé à la construction de cette image. Nombreuses furent les femmes qui se pâmaient ou s’évanouissaient, comme la princesse de Lucques, Élisa, la sœur de Napoléon. C’est elle qui prit notre génie sous son aile et lui offrit son premier poste de directeur de la musique et, insigne honneur, le titre de capitaine de gendarmerie. Si tout commence avec la princesse Élisa, c’est à partir de 1809 que Niccolò prend son indépendance et parcourt toute l’Italie. Le succès est extraordinaire. C’est pour les médias de l’époque, ce que de nos jours on appellerait « un bon client ». Laure Dautriche puise dans les témoignages laissés dans les diverses correspondances du maestro, les comptes rendus de concerts donnés dans toute l’Europe et les « appréciations » laissées par ses collègues musiciens. Par exemple : Chopin (« Le jeu de Paganini ne peut s’expliquer par les seules forces humaines, son art n’est pas une simple merveille mais un prodige hors nature »), Meyerbeer (« Là où s’arrête la raison commence Paganini »), Schumann (« Jamais il ne me fut donné d’entendre un phénomène de ce genre »), Schubert (« J’ai entendu le chant d’un ange »)…
Outre ses capacités musicales et son succès inimaginable, ce qui frappe dans la vie de Paganini, c’est la permanence de la maladie. Elle a été sa compagne du début à la fin. En sus du syndrome de Marfan, Niccolò, enfant chétif et sensible, eut à quatre ans une rougeole le laissa dans le coma et d’où il sortit juste avant d’être mis en bière ! Puis vint la syphilis, dont les traitements de l’époque – à l’opium et aux sels de mercure – lui firent perdre ses dents ; la tuberculose et enfin, un cancer de la gorge le laissa muet durant les deux dernières années de sa vie. Bien que fait « Chevalier de l’Éperon d’or » par le pape Léon XIII, il fut déclaré impie par l’évêque de Nice qui lui refusa funérailles et sépulture ! Ce n’est que 35 ans plus tard que Pie IX réhabilita le maître qui put enfin être enterré après moult péripéties, muni des sacrements et reposer en paix. De sa postérité restera, outre ses œuvres, le plus beau compliment que l’on puisse faire à un musicien : « vous jouez comme un Paganini ». La biographie de Laure Dautriche, c’est incontestablement du Paganini…
Dominique VERRON
contact@marenostrum.pm
Dautriche, Laure, « Paganini : le violoniste du diable », Tallandier, « Biographie », 03/06/2021, 1 vol. (297 p.), 20,90€
Retrouvez cet ouvrage chez votre LIBRAIRE indépendant près de chez vous ou sur le site de L’EDITEUR
Faire un don
Vos dons nous permettent de faire vivre les libraires indépendants ! Tous les livres financés par l’association seront offerts, en retour, à des associations ou aux médiathèques de nos villages. Les sommes récoltées permettent en plus de garantir l’indépendance de nos chroniques et un site sans publicité.