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Paloma-Hermina Hidalgo, Matériau maman, Editions de Corlevour, 28/02/2024, 1 vol. 18€.

Paloma Hermina Hidalgo est l’une des nouvelles perles rares de la poésie contemporaine. Après plusieurs recueils salués par la SGDL et encensés par la critique littéraire, elle revient sur le devant de la scène avec un roman intime et singulier, Matériau Maman, publié aux éditions de Corlevour. L’auteure explore ses thématiques de prédilection, dévoilant son rapport à la folie, sa relation dysfonctionnelle avec sa mère, qu’elle honnit aussi bien qu’elle adule, et son amour pour la langue française, qu’elle façonne avec virtuosité tout en rendant hommage à ses origines latines.

Sous la neige, les cendres

Dans son premier roman, Matériau Maman, Paloma Hermina Hidalgo nous plonge au cœur de l’hôpital psychiatrique de Sainte-Anne, où est internée la narratrice. Le portrait qu’elle dresse de ce lieu est résolument négatif : tout n’y est que souffrance et déshumanisation. Aux prises avec un profond mal-être, elle sombre peu à peu dans les abysses de la dépression, jusqu’à frôler la folie :

Dans les jardins de Sainte-Anne, sur la neige, un rose chimique : l'aurore qui éclate. Pour d'autres. Mes matins, moi, je les passe stores baissés, dans une torpeur que n'inquiète plus le ciel.

Pourtant, au milieu de cet univers carcéral, elle tente de redonner dignité et humanité aux personnages qu’elle croise. C’est grâce à ces interactions avec les autres patients de l’hôpital psychiatrique, ainsi qu’à sa soif de connaissance et à l’amour qu’elle porte à la littérature, qu’elle va peu à peu se reconstruire et retrouver goût à la vie. L’auteure met en avant leur sensibilité, leur intelligence, leur amour de la littérature et des arts, loin du cliché du « légume » que l’on pourrait attendre dans un tel contexte.

Un retour d’expérience proche de celui d’autres auteurs contemporains comme Laurent Pépin et Emmanuel Carpentier, qui s’emparent eux aussi de l’hôpital psychiatrique comme topos littéraires. Ce lieu, qui pourrait sembler a priori anxiogène et étouffant, devient alors le théâtre d’une quête identitaire. C’est en effet dans cet environnement clos et oppressant que la narratrice va peu à peu se reconstruire et apprivoiser sa folie. Plusieurs personnages du roman trouvent dans l’écriture un moyen de s’évader, de se reconstruire et de donner un sens à leur existence. L’hôpital psychiatrique, en les privant de tout, leur permet paradoxalement de trouver leur voix.

Paloma Hermina Hidalgo explore avec acuité le rapport au corps de ses personnages, marqué par la souffrance et l’autodestruction. Les scarifications, la boulimie et la consommation de drogues sont autant de manifestations de cette torture physique et psychologique. Pourtant, l’hôpital psychiatrique, censé être un lieu de guérison et de protection, se révèle être un lieu de maltraitance et de profanation du corps. Les patients y sont drogués, maltraités et livrés à eux-mêmes, ce qui ne fait qu’aggraver leur mal-être. Le personnage de Téhora en est un exemple frappant :

On l'a encore trouvée, il y a peu, visage écorché, rictus de triomphe aux lèvres ; elle s'était arraché des croûtes imaginaires sur le front, arborant ces stigmates comme un démenti à tout le reste : la fausse sécurité de l'hôpital, son existence végétative.

La mère et la putain

L’écrivaine rend hommage à ses origines espagnoles et à son héritage catholique en évoquant l’image de ces femmes martyres, ces Esmeraldas brûlées vives. Le corps sanctifié et profané est un thème récurrent dans son œuvre, qui dépeint des personnages féminins complexes et tourmentés. La mère de la narratrice, présentée tour à tour comme une prostituée et une nymphomane, profane son corps en l’offrant à tous, tout comme elle profane le corps de sa fille. Ce rapport carnassier à la chair est un élément central du récit, que Paloma tente de dématérialiser à travers le fantasme du corps sanctifié, évanescent, pour échapper à la bestialité de sa mère. Paloma Hermina Hidalgo propose une vision subversive et poétique de la féminité :

Ma plaie : crue, comme ces saintes dont les stigmates, des siècles après, saignent toujours.

Elle y explore notamment les thèmes de la culpabilité et de la honte à travers le personnage de la narratrice et sa relation complexe avec sa mère. La mort précoce cette dernière laisse une empreinte indélébile sur la conscience de la narratrice, qui se retrouve dans une situation d’inversion des rôles où elle doit protéger sa mère, devenue l’enfant à préserver. Elle est rongée par la culpabilité de ne pas pouvoir la protéger des hommes qui envahissent son corps, et de nourrir une haine envers elle pour cela. Cette culpabilité est d’autant plus forte que la narratrice est tiraillée entre l’amour et la haine qu’elle voue à sa mère, ce qui la plonge dans une profonde confusion émotionnelle. Cette responsabilité s’avère d’autant plus difficile à assumer que la narratrice est elle-même une femme désirable, ce qui la fait se sentir coupable de voler la place de sa mère dans le regard des hommes.

L’écriture devient alors pour l’héroïne, Nieve, un moyen de recentrer son intériorité et de ne pas sombrer dans la folie. En couchant sur le papier ses émotions les plus profondes et les plus contradictoires, elle parvient à trouver un équilibre précaire et à se libérer du poids de sa culpabilité. Le roman se conclut sur une question rhétorique bouleversante, qui résume parfaitement bien le poids de la culpabilité qui l’écrase : « Mais qu’avais-je à expier, Maman, sinon le crime de te survivre ?« . Cette culpabilité insidieuse continue d’habiter la narratrice, qui se sent coupable d’avoir survécu à sa mère, comme si sa propre survie était une transgression impardonnable. Cette émotion, qui imprègne l’ensemble du récit, résonne avec force dans cette question rhétorique finale, laissant le lecteur face à l’immensité de la douleur et de la honte qui habitent les victimes de traumatismes.

Image de Chroniqueuse : Marion Bauer

Chroniqueuse : Marion Bauer

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