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En août 2021, les Talibans reprenaient le contrôle de l’Afghanistan, suscitant nombre d’inquiétudes pour l’avenir de la population, en particulier celui des femmes et des minorités religieuses. Mais le retour au pouvoir de ces fondamentalistes professant une idéologie aussi intolérante que l’islamisme radical ne représente pas seulement un danger pour les droits de l’homme. C’est aussi un péril pour le patrimoine historique et archéologique qui constitue la mémoire et le bien commun de l’humanité. On se souvient de l’émoi suscité par le dynamitage des bouddhas géants de Bâmiyân par ces mêmes Talibans, il y a vingt ans, en mars 2001, à la faveur d’une fatwa iconoclaste lancée par le mollah Omar. C’est par la perte irremplaçable de ces chefs-d’œuvre sculptés entre les IVe et VIIIe siècle que débute le beau livre de Peter Eeckhout.

L’auteur, docteur en histoire de l’art et archéologie à l’Université libre de Bruxelles tire la sonnette d’alarme sur les menaces qui pèsent sur bon nombre de sites archéologiques à travers le monde. Les vestiges des siècles passés sont des biens d’autant plus précieux qu’ils sont uniques et en nombre limité : « il s’agit de ressources non renouvelables, au même titre que les énergies fossiles ou les gisements de métaux ». Leur étude et leur préservation sont pourtant essentielles afin de comprendre le passé et partant, de mieux saisir les mécanismes qui ont abouti à la formation de nos cultures et civilisations actuelles. Comme le dit l’historien Alain Schnapp « De même qu’il n’existe pas d’humanité sans mémoire, il ne peut y avoir de sociétés sans ruines. » Les destructions volontaires comme celle des bouddhas de Bâmiyân ou plus récemment des vestiges antiques de Palmyre par les troupes de Daech, frappent l’opinion par leur dimension soudaine et spectaculaire. Cependant, elles sont loin d’être le seul danger. Peter Eeckhout liste au total « sept plaies » aussi dramatiques les unes que les autres et qui ont le plus souvent tendance à se combiner. Les chapitres du livre classent une vingtaine de sites majeurs en fonction des principaux périls qui menacent leur préservation.

Illustré de nombreuses photographies, plans et reconstitutions 3d de grande qualité, l’ouvrage permet de se replonger dans l’histoire de certains lieux emblématiques du patrimoine mondial comme Angkor, Pompéi, ainsi que d’autres moins connus tels que la ville de Pachacamac au Pérou ou la citadelle du roi Christophe à Haïti. Les explications, claires et concises, permettent au lecteur de retracer l’histoire de ces sites et de prendre conscience des enjeux qui entourent leur préservation.
On apprendra ainsi que les fouilles clandestines constituent la troisième source de revenus illégale dans le monde, après le trafic de drogue et celui des armes. Ce sont souvent des collectionneurs privés qui commanditent ces pillages. En prélevant sans précaution les artefacts les plus susceptibles d’être monnayés, les pillards détruisent de précieux indices de contextualisation, compromettant irréversiblement leur étude future : « sans cette documentation, l’objet archéologique devient un témoin muet, que l’on ne peut apprécier que sous l’angle esthétique ou éventuellement technique ».

L’auteur pose aussi la question de la difficile conciliation des intérêts de conservation du patrimoine et ceux du développement économique. Au Pérou, des vestiges précolombiens millénaires sont détruits pour être transformés en terres agricoles. Ailleurs, c’est la croissance urbaine qui est incriminée : au Caire, par exemple, le périmètre archéologique de la célèbre nécropole de Giza se voit insidieusement grignoté par l’extension des faubourgs et la construction de nouvelles infrastructures touristiques. Le tourisme de masse est une menace particulièrement inquiétante. Les visiteurs – consommateurs de patrimoine davantage qu’esthètes respectueux de ces fragiles témoins du passé « se muent par la force des choses en une sorte de troupeau lâché au milieu d’un parc d’attraction où les pyramides, temples et ruines antiques tiendraient lieu de montagnes russes ou de grande roue ». C’est le désir d’attirer plus de touristes, qui conduit également la restauration abusive de certains sites afin de les rendre toujours plus spectaculaires. Ainsi la vieille ville de Boukhara en Ouzbékistan a-t-elle été largement reconstruite pour devenir une vraie carte postale digne des « Mille et Une Nuits ». Les restaurateurs peu scrupuleux, dans la lignée de Viollet-le-Duc, ont davantage fait appel à leur imagination qu’aux sources historiques tant et si bien qu’il est aujourd’hui impossible de distinguer les vestiges authentiques des ajouts contemporains qui ne respectent bien souvent ni les matériaux, ni les plans d’origine.

Le dernier péril qui pèse sur de nombreux monuments de la planète est enfin la pollution et le réchauffement climatique. Les sites situés sur des littoraux et les îles sont les premiers exposés – on pense bien évidemment à Venise – mais le bouleversement des équilibres naturels peut aussi occasionner d’autres dommages comme des glissements de terrains ou des pluies acides qui érodent la surface des pierres.
L’ouvrage de Peter Eeckhout ravira tous les passionnés d’histoire et d’archéologie en leur faisant prendre conscience de la vulnérabilité de sites multiséculaires qui, par nos excès ou notre négligence, pourraient malheureusement disparaître à tout jamais.

Jean-Philippe GUIRADO
articles@marenostrum.pm

Eeckhout, Peter, « Patrimoine mondial en péril », Passés composés, 03/11/2021, 1 vol. (319 p.), illustrations en couleur, cartes ; 26 x 20 cm , 35€

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