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Perrine Le Querrec, Les pistes : fictions, Art & fiction, 05/01/2024, 1 vol. (128 p.), 13€

Entrée par effraction l’écriture au ras de l’humanité s’acharne à révéler.

Cette phrase seule tirée de Les Pistes (édité par Art&fiction) définit très bien la démarche littéraire de son auteure Perrine Le Querrec. L’écriture révèle, à coups de plumes, d’émotions, de sensations, des scénarios multiples portés par une imagination infinie. Le titre en lui-même évoque un monde aux diverses directions, voire les pistes de montage qui superposent le son et les images au cinéma. À travers son écriture expérimentale, Perrine Le Querrec teste les limites d’un art qui n’en a pas.

Le laboratoire de l’écriture : un terrain d’expérimentations

Trois personnages – dont l’écriture qui semble en devenir un à part entière.
42 pistes – ou situations, émotions, scénarios.
Perrine Le Querrec invite l’écriture à affronter ses limites dans l’arène de son œuvre, démultipliant ainsi les styles, les histoires, s’attaquant même à la ponctuation, au squelette de l’art littéraire. Les Pistes aurait pu être écrit des décennies plus tôt par les auteurs de l’OuLiPo.
L’Ouvroir de littérature potentielle, généralement désigné par son acronyme OuLiPo, est un groupe de recherche littéraire fondé en 1960 par le mathématicien François Le Lionnais et l’écrivain et poète Raymond Queneau. L’idée était de découvrir de nouvelles façons de jouer avec le langage, de réfléchir les potentialités de l’écriture notamment à travers les exercices de style (les plus connus restent ceux de Raymond Queneau) qui visaient à mettre au défi l’écrivain en le ramenant davantage à la technique qu’à l’histoire. Cette inspiration se ressent : ce n’est pas l’histoire qui compte chez Perrine Le Querrec, mais bien les jeux de style qui s’émancipent même de l’art littéraire. Les références au montage, aux scènes qui s’enchaînent avec une ponctuation peu rythmée, les descriptions de décors et d’actions semblables aux didascalies sont clairement un clin d’œil au cinéma :

Trois personnages prennent position, des images prennent position, s’entraînent, s’emparent de l’écriture en tous sens, une multitude de points de vue, de visions. Des tentatives de montage et remontage du temps, montage et remontage d’un monde qui se démonte. Une seule limite, l’imagination.

L’écriture : le jeu des "Je"

L’écriture construit beaucoup, quel jeu.

L’écriture construit, crée, et aussi, déconstruit. Dans une ère qui s’attache davantage à la narration, Perrine Le Querrec opère un retour à cet écrivain artisan, et non plus artiste, qui s’attache au style. Comment bâtir un style ? Déjà, en questionnant son propre style. L’écriture ouvre un champ de possible grandiose où la page n’est plus un cadre référentiel. Ainsi, l’auteure ajoute notamment deux pages entières de hashtags, des phrases en anglais, des symboles graphiques. Un stream of consciousness de l’écrivain dans sa “fabrique des mots”. Au cinéma, au lieu de “piste”, nous pourrions même évoquer les “rushs”. La caméra-mots de Perrine Le Querrec capture des instants, des expressions, et remodèle les rushs dans une infinité de micro-histoires qui ont pour fondement trois “acteurs” :

Clandestine l’écriture, signes d’autres langues, mots étrangers, mots sentences, lois et ordres parsèment le paysage de pièges. Elle s’adapte se délie, elle délivre, suit les pistes de cailloux semés par tous les enfants perdus.

L’écrivain-artisan

Les Pistes est une lecture surprenante, presque l’enfant d’André Breton et de Raymond Queneau, puisqu’on ne retient peu l’histoire par rapport aux défis stylistiques de l’auteure qui se joue de nos attentes de lecteurs. Ce parallélisme, quasiment constant, avec le cinéma en est d’ailleurs une belle illustration : les effets spéciaux s’insèrent dans le style, nous privent de nos repères narratifs pour mieux nous étonner, créer un sentiment d’étrangeté car il est rare de choisir un livre pour lire ce genre d’histoires. Mais, c’est là où Perrine Le Querrec se démarque : est-ce que l’écriture est seulement un art ? Doit-elle seulement provoquer des émotions, ou peut-elle aussi inspirer l’auteur à sculpter son style, voire à le détruire et en repousser ses limites ? Après tout :

Une histoire qui n’a plus rien d’une histoire, mais une masse compacte de paysages, de terres immergées – une géographie mutante.

Récit étonnant, certes, par certains aspects, bouleversant notre vision de la littérature, Les Pistes de Perrine Le Querrec superpose nos idées de ce qu’est l’écriture et nous en offre un tout autre imaginaire à découvrir, davantage archéologique, voire scientifique dans cette démarche de recherche poussée du style, mais nous interroge aussi sur les éléments qui font une belle histoire. Après tout, le travail de la langue n’est-il pas une superbe histoire digne d’intérêt aussi ?

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Chroniqueuse : Manon Lopez

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