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Christine Pellistrandi, Moi, Procla, femme de Ponce Pilate, Le Cerf, 15/02/2024, 1 vol. (170 p.), 20€.

Comment une femme à peine esquissée par un verset de l’Évangile – Mathieu 27-19 – est-elle devenue l’objet d’un questionnement dans la tradition chrétienne et vénérée même comme sainte dans plusieurs Eglises, notamment chez les Coptes et les Orthodoxes ?
C’est la raison d’être de l’ouvrage de Christine Pellistrandi qui, tout en retraçant son parcours, nous familiarise concomitamment avec les principaux personnages, les femmes surtout, ayant côtoyé les pas de Jésus-Christ.
Professeur d’Écriture sainte et spécialiste de la Bible, l’autrice avait toutes les qualités requises pour aborder un tel sujet. Mais c’est davantage par son cursus d’historienne que Moi, Procla, femme de Ponce Pilate suscite l’intérêt. D’historienne et de romancière devrait-on ajouter, tant la forme fictionnelle de l’ouvrage contribue à mieux faire découvrir son héroïne. Un peu à la manière dont David Clair nous rend proche de Jean de la Croix dans un même genre de récit, également publié aux éditions du Cerf.
Dès les premières pages de l’entrée en lice de Procla, le lecteur est appâté : 

Là, à Jérusalem, elle découvrait une ville dont la vie semblait suspendue aux cérémonies qui se déroulaient toutes dans ce Temple grandiose… Elle avait été surprise en voyant une petite servante qui récitait en cachette sa prière, juste à mi-voix, pour ne pas se faire entendre. Procla s’était doucement approchée d’elle et lui avait demandé : Dis, Yaël, explique-moi ce que tu murmures ? À qui t’adresses-tu ?

Le contexte précisé, dans cette ambiance pesante où son mari, procurateur romain, doit statuer sur le jugement d’un certain Jésus se proclamant Fils de Dieu, l’autrice va progressivement nous immiscer dans le cheminement de son épouse. Une réflexion vivace qui, à l’image du message jadis reçu par les Rois Mages, commencera d’abord par un songe. Ce songe commun à maints événements de l’Ecriture, qui constituera l’élément charnière de la vie de Procla.

Dans les pas des disciples

Face à l’enchevêtrement spirituel et politique dans lequel se trouvait Ponce Pilate pour juger un homme dont il ne percevait, a priori, aucun motif de condamnation, le message de son épouse accentua son désarroi.

Pendant qu'il était assis sur le tribunal, sa femme lui fit dire : Qu'il n'y ait rien entre toi et ce juste ; car aujourd'hui j'ai beaucoup souffert en songe à cause de lui.

Un temps désarmé par cette injonction, son époux s’efforça de relativiser la culpabilité de cet agitateur, mais lorsque les grands prêtres et leurs assesseurs lui reprochèrent de ne pas réagir en ami de César, celui-ci finit par obtempérer en se lavant les mains. Ce sera le faux pas de trop pour Procla, qui révoltée par l’injustice du verdict condamnant un innocent, entamera aussitôt sa rébellion, souligne l’autrice.

Non, dit-elle, je ne suis plus la femme du procurateur, je me dépouille de tout pouvoir, je jette loin de moi la folie violente, je hais la criminelle justice. Je veux mettre mes pas dans ceux du condamné pour dire au monde que le Bien peut exister.

De sorte que suivre le procès du crucifié en ce jour du Vendredi saint, sera pour elle l’occasion de se rapprocher de celles et ceux qui l’avaient côtoyé lorsqu’Il était au milieu d’eux. Toutes ces femmes en premier lieu rencontrées au long de la Via Dolorosa qui vont à tour de rôle lui conter les bienfaits que cet homme Dieu leur a prodigués. Véronique d’abord, puis une mère et sa fille ainsi que la mère de Pierre, chacune d’elles un jour guéries par ce Maître venu davantage au secours des malades que des bien portants.

Un récit aux allures de catéchèse

Un rapprochement de Procla auprès de ces converties de l’Evangile qui permettra à l’autrice d’effectuer une véritable catéchèse de ces divers épisodes du Nouveau Testament. Ainsi Souffrantes mais vivantes ou Les endeuillées de Sion, constitueront deux chapitres où Procla, immiscée dans les souffrances de la foule pleurant le Crucifié, recueillera le témoignage de celles et ceux qui devaient salut et guérison à l’enfant de Nazareth.
Un commentaire évangélique que Christine Pellistrandi rendra plus prégnant encore lorsqu’elle évoquera les temps forts de la vie de Salomé, de Zilpa domestique du grand prêtre, et surtout d’Eliya, la femme accusée d’adultère.
Partant de l’épopée de Tamar, l’autrice retrace éloquemment la portée de l’intervention du Christ quand, mis en porta faux par l’accusation des notables, il lance la célèbre phrase : “Que celui qui d’entre vous n’a jamais pêché lui jette la première pierre.” L’exégèse faite par l’autrice à cet égard est des plus pertinents.

Ensevelie sous le poids de l’humiliation, je me retrouvais seule avec Jésus dans un cercle invisible : mais, voilà, ce n’était plus l’arène de la condamnation, c’était devenu la chambre de mon intimité, le lieu du tête-à-tête… Pour Jésus, j’existe en tant que femme, dans la dignité de ce que je suis, l’héritière d’Eve la vivante, celle qui doit être le secours de l’homme est créée pour transmettre la vie. Jésus me parle et il attend ma réponse. Il me redonne vie en me disant : Va…

Une analyse qui n’aura d’égal que celle consacrée à Marie-Madeleine et du dernier chapitre dévolu à Joseph d’Arimathie et de Nicodème. Tout en narrant sous forme romanesque l’aventure de Procla, convertie progressivement au message de la Bonne Nouvelle, Christine Pellistrandi rend ainsi son contenu aussi suggestif qu’accessible au plus grand nombre.
Une vraie réussite.

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Chroniqueur : Michel Bolasell

michel.bolasell@gmail.com

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