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Colette Fellous, Quelques fleurs, Gallimard, 15/02/2024, 1 vol. (152 p.), 20€

Ni anthologie ni florilège, Quelques fleurs, de Colette Fellous, revisite de manière poétique quelques moments de sa vie, associés à des saisons ou des périodes de floraison.

 

La fragilité de l’intime est semblable à celle des fleurs

La citation d’un haiku de Basho, mise en exergue du texte, éclaire dès l’origine le propos de l’autrice. Le poète japonais oppose les fleurs à la barbarie. Celui qui ne sait pas les contempler s’apparente aux barbares, et le texte se clôt sur une invitation à retourner à la nature. Si florilège il y a, c’est un recueil d’images, un herbier libre de photographies et de tableaux, qui n’obéit pas aux prescriptions des botanistes, mais vient en accompagnement du texte. Leur insertion dans le récit confronte des images personnelles à des œuvres de photographes ou d’artistes. La mise en page aérée et irrégulière permet un dialogue subtil entre texte et image. La fragilité des fleurs renvoie à celle de l’intime, et Colette Fellous, habilement, les met en correspondance. Une branche d’érable rouge, un couple de danseurs en céramique, qui lui évoquent un petit bal de Mexico, un intérieur de Matisse, un délicat bouquet de mimosas sur une table jaune qui côtoie, de façon très picturale, une coupe d’oranges, des tableaux de bouquets de fleurs ou un arbre de jade posé sur le fond turquoise de la Méditerranée, en Tunisie, s’opposent au montage photographique d’une photo en noir et blanc de l’autrice, encore adolescente, au front dissimulé par une épaisse frange noire. Il y a aussi la Maison fleurie, dont le nom s’étale sur la façade, où elle a vécu. Comme avec Le petit foulard de Marguerite D, Colette Fellous part d’un objet apparemment futile, un foulard à imprimé léopard dans un cas, des bouquets de fleurs dans l’autre, pour interroger le temps, les rencontres, la mémoire. Qu’il s’agisse de fleurs réelles, de fleurs peintes ou de fleurs décrites dans la littérature, “elles ne meurent jamais” pour Colette Fellous.

Beau, doux, violent : voilà pourquoi je dois avant tout convoquer des fleurs, car elles contiennent la beauté, la douceur et la violence. L’éphémère aussi.

Fleurs de la mémoire et mémoire des fleurs

Car c’est aussi d’elle que parle l’écrivaine, des lieux où elle a vécu, des sensations fugitives. Une veste en coton bleu de Kyoto suscite l’évocation du chemin qui mène au Pavillon d’argent de la même ville, mais convoque pour le lecteur, sans qu’elle l’exprime, le souvenir de Kyoto Song, un autre de ses récits, dont le titre aussi fait écho à Duras. Kyoto Song, India Song… Couleur et musique interviennent aussi souvent dans le texte. Des titres de chanson, ou des “taches de rouge et de noir qui désignaient tantôt l’Asie tantôt l’Afrique tantôt l’Italie tantôt Paris.” Danse et musique suscitent la réminiscence, convoquent la mémoire affective, créent “comme une fresque de la mémoire” qui fait ressurgir le passé. Les fleurs présentent un lien fort avec l’écriture, qu’elles en soient le sujet, le support ou la motivation :

Oui, comme je voudrais rejoindre Mexico et cette salle de bal d’un beau jaune pour écrire dans les fleurs de ces robes mais aussi dans les yeux de toutes les fleurs éparpillées, soulevant la mémoire et le cœur de celles qui m’ont accompagnée dans tous les âges de ma vie…

Le désir se fait plus ample et se porte sur toutes les fleurs de son existence qu’elle aimerait faire revivre, et visualise, de manière très picturale, comme celles d’un tableau, certaines dont elle ignore le nom, d’une couleur indéfinissable ou celles au parfum mystérieux, comme les immortelles à l’odeur “d’épices, curry, réglisse ?“, dans ce livre qu’elle se voit en train d’écrire, et qu’elle met de ce fait en abyme. Son vœu consiste à écrire et chercher dans les fleurs, qu’elle considère comme les grands témoins de son existence. Est-ce hasard ou prémonition si à l’époque, elle note la cote de bibliothèque du Temps retrouvé de Marcel Proust ?

Les fleurs jalonnent son récit de manière affective, comme le montre ce passage où, évoquant les pétales qui jonchent son piano, “près d’un petit vase gris pâle de Kyoto qui ne pouvait contenir qu’un brin de muguet ou une tige d’érable“, ces fleurs, “qui ont remplacé la vie dehors“, ont assisté à de multiples instants de sa vie, en particulier ceux qui consistaient à ranger lettres, papiers ou cartes postales, actes liés à la mémoire.

Juvénile exil

Parmi ses souvenirs de jeunesse émerge son premier départ de Tunis pour faire des études à la Sorbonne, le festival d’Avignon avec l’avant-première de La Chinoise de Godard où les débats du Verger avec Jean Vilar, Roger Planchon, Maria Casarès, Jorge Lavelli, grandes figures du théâtre de l’époque, que l’autrice fait revivre au fil des pages. A Cannes, elle rencontre aussi Denis Huisman. Toute cette époque, peuplée de personnages emblématiques, constitue un moment de fête et de joie, pourtant troublé par un traumatisme de jeunesse. La question de la “vraie vie affleure“. S’agit-il de la vie confrontée au théâtre ? Ou de la vie “comme un livre d’images” ? Les études à la Sorbonne, en 1967, les cinémas parisiens et leur programmation cinéphilique, la dépaysent, quand les chansons de l’époque, celles de Jacques Dutronc à Paris, de Procol Harum en Tunisie, les concerts à Bobino, le souvenir des nuits de juin à Sidi Bou Saïd, avec l’odeur des petits bouquets de fleurs d’oranger et le parfum des figues fraîches se juxtaposent. Paris n’est pas seulement une fête, mais un éblouissement, peuplé des fantômes d’artistes morts, et d’itinéraires rituels où les librairies aussi jouent un rôle pour la lectrice passionnée.

Car la nostalgie de la Tunisie lui revient par bouffées. La Marsa, avec le salon de beauté de Soraya, a la couleur d’un vernis à ongles coquelicot, le souffle du sirocco et le bruit des klaxons. Les sensations visuelles, gustatives, olfactives, reviennent en force dans le récit. La maison d’amis se confond avec l’image des fleurs, bougainvillée, jasmin, olivier “dans une jarre ancienne de Guellala”. Les fleurs ont, pour l’autrice, une valeur métonymique : “Une seule fleur et déjà ma terre de naissance qui revient, inlassable, toute de rouge ancien.” La mémoire du pays natal s’incarne dans la “Maison fleurie” construite par son grand-père, qui ne conserve de son passé que les lettres de son nom, comme un “bouquet témoin.” Elle lui consacre plusieurs pages qui lui permettent aussi d’évoquer les siens, ses années de lycée, l’exil familial qui succède au sien, et enfin, la douleur de perdre sa mère, les obsèques de son frère, ou le surgissement d’Alexandre, son neveu inconnu.

Pudique, émouvant, original, le livre de Colette Fellous charme par sa sensibilité. Son écriture poétique excelle dans les évocations de paysages, et fait surgir des lieux comme Kyoto, Paris ou Tunis. Un parfum de fleurs d’oranger semble traverser ces pages pleines de délicatesse. Un beau livre, d’une profondeur insoupçonnée, si l’on ne s’attache pas seulement au titre. Les fleurs, présentes à chaque page, jouent ici un rôle tant symbolique que mémoriel, mais masquent parfois les chagrins ou des blessures qu’elles tendent à adoucir.

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Chroniqueuse : Marion Poirson-Dechonne

marion.poirson@gmail.com

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