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Hubert Sagnières, Routes nouvelles, côtes inconnues : 16 explorations françaises autour du monde, 1714-1854, préface Olivier Poivre d’Arvor, Flammarion, 18/10/2023, 1 vol. (400 p.), 75€.

Ils s’appelaient Lapérouse, Bougainville, Dumont d’Urville ou Dupetit-Thouars… Derrière ces noms aujourd’hui peu connus du grand public se cachent pourtant quelques-uns des plus célèbres explorateurs français des XVIIIe et XIXe siècles. Pendant près de 150 ans, de 1714 à 1854, ces marins intrépides ont sillonné les mers à bord de frégates, corvettes ou bricks, au péril de leur vie, et dans un seul but : repousser les frontières du monde connu.
Leurs incroyables périples autour du globe, riches en rebondissements et en découvertes, nous sont parvenus à travers leurs écrits : journaux de bord, correspondances ou récits publiés à leur retour en France. Ces documents passionnants sont une mine d’informations sur leurs explorations, mais aussi sur l’état d’esprit de ces grands aventuriers, leurs motivations, leurs questionnements. Certains y décrivent leur soif d’aventure, leur curiosité scientifique ou leur quête de gloire. D’autres les épreuves traversées : tempêtes, avaries, épidémies meurtrières, ou contacts avec des tribus hostiles.
Si quelques-uns sont rentrés auréolés de gloire, la plupart sont aujourd’hui largement méconnus. Pourtant, leurs exploits ont richement contribué à la connaissance du monde, et ils ont nourri l’imaginaire de générations d’enfants rêvant de contrées lointaines. À travers leurs écrits, et grâce à l’extraordinaire ouvrage d’Hubert Sagnières, nous vous proposons de partir sur les traces de ces explorateurs d’un autre temps, de revivre et de rêver l’âge d’or des grandes expéditions maritimes françaises. Bienvenue à bord !

Le Gentil de La Barbinais (1714-1718)

En 1714, le marin malouin Julien Gentil de La Barbinais s’embarque clandestinement vers le Pérou, bravant l’interdiction faite aux Français de commercer en Amérique du Sud. Son navire, le Vainqueur, entend bien profiter des richesses rapportées d’outre-Atlantique par les flibustiers. C’est le début d’un périple de plusieurs années qui mènera le jeune homme aux quatre coins du monde. Endurant maintes épreuves durant ce voyage illégal, La Barbinais et son équipage traversent l’Atlantique puis franchissent le redouté cap Horn pour remonter les côtes du Pacifique. Au Chili et au Pérou, notre globe-trotter déchante : le commerce est morose, et la violence de la colonisation espagnole, choquante.
Il reprend la mer vers la Chine sur le Jupiter. Nouvelles péripéties avec les douaniers locaux et naufrage à l’arrivée ! La Barbinais observe néanmoins avec fascination les us et coutumes de l’Empire du Milieu. Son odyssée se poursuit en Asie du Sud-Est, faisant escale à Java et La Réunion avant de regagner la France après de multiples détours.
S’ensuivront pour lui fortune aux Antilles, puis retraite nantaise. Mais ses récits, riches en anecdotes sur les contrées visitées, nous sont parvenus. Précurseur parmi les globe-trotters, La Barbinais inaugure deux siècles d’explorations françaises des océans. Il est le premier français à avoir réalisé un tour du monde !

Louis-Antoine de Bougainville (1766-1769)

Né à Paris en 1729, Louis-Antoine de Bougainville mène de front des carrières scientifique et diplomatique prometteuses. Mais au déclenchement de la Guerre de Sept Ans, il part combattre au Canada pour défendre les possessions françaises. Sur place, il se bat aux côtés de Montcalm, mais ne peut empêcher la prise de Québec par les Britanniques en 1759.
De retour en France, amer après cet échec, De Bougainville monte en 1764 une expédition privée pour s’emparer des îles Malouines, qu’il baptise « Malouines » (elles deviendront les Falkland). Mais Louis XV le force à les rendre à l’Espagne un an plus tard. C’est alors que De Bougainville convainc le roi de financer la première circumnavigation française à but d’exploration.
Il appareille de Brest en 1766 à bord de la Boudeuse et de l’Étoile. Franchissant le détroit de Magellan, il explore les côtes du Pacifique sud, prend possession de plusieurs archipels au nom de la France, et découvre Tahiti et la Nouvelle-Guinée. Même une femme, travestie, a réussi à s’embarquer clandestinement !  De retour après 3 ans d’absence, il publie en 1771 le récit de son voyage qui connaît un immense succès public.
De Bougainville poursuit ensuite une carrière militaire et politique en servant la royauté puis l’Empire. Botaniste amateur, membre de l’Académie des sciences et du Sénat, il meurt à Paris en 1811. Son tour du monde aura beaucoup fait pour la renommée de la marine française.

Pierre Marie François de Pagès (1767-1771)

Ennuyé par une carrière militaire monotone, Pierre-Marie François de Pagès décide en 1766 de tout plaquer pour réaliser l’impossible : rejoindre la Chine par la route de l’Ouest, en traversant les Amériques. Sans le sou mais animé d’un optimisme à toute épreuve, notre globe-trotter entame une épopée de plusieurs années au plus près des populations locales.
Remontant le Mississippi en pirogue, il est émerveillé par la beauté sauvage de la nature américaine. Son regard bienveillant sur les tribus indiennes tranche avec l’attitude des colons. Après avoir traversé le continent, le voilà embarqué pour les Philippines sur un coup de tête ! Menuisier amateur, il paye son voyage en services, et poursuit sa route vers la Chine… qui lui refuse l’entrée.
Qu’importe, notre navigateur rebondit et part à la découverte de l’Inde, vêtu en brahmane. Puis direction le Moyen-Orient par caravane de dromadaires ! Détroussé par des bandits, il doit la vie aux Bédouins. En Terre sainte, épuisé, il décide enfin de rentrer en France après maintes péripéties.
Reconnu par la Marine en dépit de sa désertion, il deviendra explorateur officiel de l’Arctique et du Grand Sud. Mais gare aux récits de Pierre-Marie François de Pagès, son optimisme pourrait donner des envies d’évasion !

Jean-François de Galaup de Lapérouse (1785-1788)

Né en 1741, Jean-François de Galaup de Lapérouse entre dans la marine à 15 ans. Il combat durant la Guerre de Sept Ans puis, pendant 14 ans, croise sur tous les océans au service du roi. En 1782, il mène victorieusement au Canada une expédition qui affaiblit les positions anglaises. Cet exploit lui vaut d’être choisi par Louis XVI pour diriger un ambitieux tour du monde d’exploration, devant surpasser celui de James Cook.
Lapérouse appareille de Brest en 1785 avec deux frégates et 126 hommes. Après avoir doublé le cap Horn et fait escale au Chili, les navires traversent le Pacifique. Ils atteignent les côtes nord-américaines où 21 marins se noient tragiquement. Puis direction la Chine et la Sibérie, que Lapérouse cartographie méticuleusement avant de se rendre, sur ordre secret du roi, en Australie pour espionner la colonisation anglaise.
Sur le chemin du retour, nouveau drame : 10 hommes sont tués aux Samoa. Lapérouse remet ensuite des documents aux Anglais à Botany Bay pour qu’ils les rapportent en France. Fin février 1788, les frégates quittent la Nouvelle-Calédonie pour les Salomon où, prises dans une tempête, elles s’abîment sur des récifs.
S’ensuit une série infructueuse d’expéditions de recherche. Les épaves ne seront retrouvées qu’en 1828 par Dumont D’Urville. Au XXIe siècle, de nouvelles fouilles ont mis au jour un campement de rescapés, prouvant l’existence de survivants… et laissant entrouverte la porte du mystère Lapérouse.

Étienne Marchand (1790-1792)

Né aux Antilles, Étienne Marchand grandit en Provence avant de sillonner les mers sur des navires marchands et militaires. Lors d’une escale à Sainte-Hélène, il croise la route de l’ancien officier Portlock qui, revenant d’un tour du monde fructueux, lui parle commerce de fourrures avec la Chine. L’idée fait son chemin…
De retour à Marseille, Marchand lève des fonds et affrète le Solide, un petit trois-mâts rapide aux cales généreuses. Cap ensuite sur le Pacifique et ses fabuleux trésors de pelages ! Escale imprévue aux Marquises pour cause de scorbut, où Marchand en profite pour prendre possession de quelques îles au nom de la France. Puis direction les côtes américaines et canadiennes : la chasse aux loutres, castors et ours est miraculeuse !
Hélas, à son arrivée à Canton avec sa lucrative cargaison, les Chinois ont changé les règles du jeu. Retour à la case départ avec plusieurs milliers de peaux désormais invendables ! Heureusement, Marchand réussit à rentrer en France où l’attendent… la Révolution et la ruine. Disparu dans des conditions mystérieuses, le navigateur intrépide n’aura pas eu le succès escompté. Mais quelle odyssée !

Camille de Roquefeuil (1816-1819)

Né en 1781 dans le Sud-Ouest de la France au sein d’une famille de marins, Camille de Roquefeuil s’engage dans la marine alors que la Révolution française vient d’éclater. Grièvement blessé à plusieurs reprises lors de combats navals, il est promu lieutenant de vaisseau à l’âge de 23 ans, en récompense de ses talents militaires.
Mais en 1816, alors en disgrâce auprès de sa hiérarchie, Roquefeuil décide de monter sa propre expédition maritime à but commercial, en dépit d’un refus ministériel. Son objectif : rallier la Chine au départ de Bordeaux à bord d’un petit trois-mâts nommé le Bordelais, dans l’espoir de ramener en France des marchandises exotiques.
Après avoir franchi le redoutable cap Horn en janvier 1817, Roquefeuil remonte la côte ouest de l’Amérique du Sud. Mouvementées, les escales au Chili et au Pérou lui permettent néanmoins d’effectuer du troc et de charger son navire avant de mettre le cap plein nord. Dans l’optique d’échanges fructueux, Roquefeuil atteint l’Alaska, explore et cartographie au passage les îles Marquises.
Mais à son arrivée à Canton au printemps 1819, là encore la désillusion est totale : les cours ont chuté et les échanges tournent court. Contraint de rebrousser chemin les cales presque vides après trois ans d’absence, Roquefeuil rentre aussitôt en France où ses découvertes géographiques sont saluées, mais sans que le ministère accepte de le réintégrer.
Qu’importe, l’infatigable marin repart voguer comme capitaine au long cours avant de s’éteindre, nostalgique en 1831, sur l’île de La Réunion. Son fabuleux périple restera comme l’un des derniers tours du monde d’un aventurier français en solitaire.

Louis Claude de Saulces de Freycinet (1817-1820)

Né en 1779, Louis Claude de Freycinet entre dans la marine à 14 ans, en pleine Révolution française. Endurci par les tourments politiques et militaires, il participe en 1800 à l’expédition du capitaine Baudin vers les Terres australes. Malgré les épreuves, Freycinet en revient avec une passion intarissable des voyages d’exploration.  Promu capitaine de frégate en 1811, il propose en 1816 à Louis XVIII de monter une ambitieuse circumnavigation à but scientifique, proposition qui est acceptée. Le navire L’Uranie est spécialement aménagé et embarque botanistes, astronomes et dessinateurs. Parmi eux, Rose, l’épouse de Freycinet, passagère clandestine. C’est le début de trois années d’incroyables aventures.
Après maintes péripéties, l’Uranie atteint en 1818 les côtes australiennes où Freycinet installe un camp d’observation. Puis cap vers les îles du Pacifique : Timor, Moluques, Carolines… Les travaux scientifiques s’enchaînent, mais la dysenterie frappe l’équipage, contraint de s’approvisionner au gré des escales hasardeuses. Un an plus tard, retour en Australie où les colons britanniques reçoivent les Français en grandes pompes.
Mais au retour, L’Uranie s’échoue sur des rochers des Malouines. Miraculés, Freycinet et ses hommes sont secourus par des baleiniers et rentrent tant bien que mal au Havre à bord d’un nouveau navire. Acquitté par le conseil de guerre, le navigateur est finalement célébré pour le succès scientifique de son odyssée pacifique.

Louis-Isidore Duperrey (1822-1825)

Né en 1786, Louis Isidore Duperrey s’engage adolescent dans la marine impériale. Réintégré dans la Royale après 1815, il propose au Roi, avec Dumont d’Urville, de prolonger les travaux de Freycinet lors d’un tour du monde scientifique. Accepté moyennant peu de frais, le voyage de la corvette la Coquille s’annonce ambitieux : couvrir hydrographie, botanique, zoologie, géologie…
S’entourant des meilleurs scientifiques, dont le pharmacien Lesson, Duperrey embarque également des aliments appertisés, technologie récente permettant d’éviter le scorbut. En 1822, cap au sud : Horn, Brésil, Chili où Duperrey observe une insurrection indépendantiste. Puis direction les Tuamotu avant de déchanter à Tahiti, dévastée par l’influence des missionnaires anglais.
Reprenant sa route vers les Tonga, Duperrey essuie une tempête qui le contraint à remonter vers les Salomon et la Nouvelle Guinée. Ses naturalistes en profitent pour collecter coquillages et spécimens. Au large de l’Australie, le port de Sydney lui apparaît comme un carrefour stratégique majeur. Puis cap vers les Carolines et l’Indonésie avant de revenir en France.
Triomphant à Marseille en 1825, Duperrey est célébré pour ses découvertes cartographiques et scientifiques. Ses nombreux échantillons témoignent de son ambition encyclopédique. Privilégiant observation à sensationnalisme, ce voyage des Lumières fait de lui l’un des derniers grands navigateurs français.

Hyacinthe de Bougainville (1824-1826)

Né en 1781 d’un père marin célèbre ô combien célèbre, Louis Antoine de Bougainville, Hyacinthe choisit lui aussi très tôt la mer plutôt que les mathématiques. À 19 ans, il s’embarque comme novice lors de l’expédition de Nicolas Baudin aux Terres Australes aux côtés de Freycinet. Un baptême du feu qui lui laisse le goût des voyages d’exploration, à l’inverse de son père parti vers l’ouest. S’ensuit pour Hyacinthe une vie d’officier sous Napoléon, faite de combats en Atlantique et en mer de Chine. Capturé par les Anglais puis libéré, il sert ensuite Louis XVIII avec la même loyauté. En 1824, le roi lui confie le commandement d’une mission diplomatique et d’exploration vers l’Asie, à bord des frégates la Thétis et l’Espérance.
De La Réunion à la Chine en passant par l’Inde, Java ou la péninsule indochinoise, Bougainville multiplie les escales riches en découvertes et en rebondissements. Mais en Australie, la désillusion est totale face à la mainmise anglaise. Abattu, nostalgique de l’époque de Baudin, il rentre en France comprenant que la partie est perdue dans le Pacifique pour les ambitions françaises.
Son odyssée de deux ans aux Amériques, en Asie et en Océanie aura certes permis de grandes avancées géographiques. Mais aux yeux du patriote Bougainville, seul l’intérêt national prime. Son récit de voyage paraîtra tardivement, éclipsé par son glorieux père, et par de nouveaux explorateurs.

Auguste Bernard Duhaut-Cilly (1826-1829)

Né en 1790, Auguste Duhaut-Cilly entre adolescent dans la marine impériale et s’illustre lors de combats contre les Anglais, notamment à l’Île Maurice. En 1815, attiré par le commerce maritime, il sillonne les Amériques et les colonies françaises. Onze ans plus tard, séduit par les récits d’un obscur aventurier, de riches financiers havrais lui confient le trois-mâts le Héros pour une mission aux îles Sandwich. Officiellement pour y faire du commerce et y récupérer la dépouille d’un souverain local. En réalité, Duhaut-Cilly doit évaluer secrètement s’il est possible de prendre pied sur cet archipel stratégique. C’est le début d’un fabuleux tour du monde de trois ans, semé d’embûches.
Cabotant de la Californie au Mexique, faisant affaire à Lima ou Valparaiso, Duhaut-Cilly constate à chaque escale avec effarement la mainmise étrangère qui se met en place, notamment américaine. À Honolulu, ce sont les missionnaires protestants qui tiennent le pouvoir. Partout les autochtones sont maltraités, les forêts saccagées.
Marin aguerri au verbe haut, Duhaut-Cilly dresse dans son récit le constat amer d’un monde en mutation accéléré dont la France est la grande absente, faute de vision géopolitique. Admiratif des peuples indigènes, révolté par les exactions des colons, il fait figure de lanceur d’alerte avant l’heure.

Cyrille Pierre Théodore Laplace (1830-1832) – (1837-1840)

Né en 1793 sur un navire en pleine Révolution française, Cyrille Laplace s’engage à 16 ans dans la marine impériale et gravit rapidement les échelons. Capitaine de corvette sous la Restauration, Charles X lui confie en 1830 une mission secrète à bord de la frégate la Favorite : évaluer l’influence française de l’océan Indien à la Chine, espionner ports, comptoirs et diplomates.
Dès la première escale à l’île Maurice, Laplace constate avec effarement la mainmise grandissante des Britanniques dans les anciennes colonies. Mêmes scènes à Pondichéry, Singapour, Sydney ou Canton : les Français sont absents quand les Anglais prospèrent. Ce premier tour du monde de deux ans sera un long constat d’échec amer pour Laplace. Mais ses notes et analyses géostratégiques témoignent déjà d’une grande clairvoyance.
Rentré en France, Laplace repart immédiatement pour le Pacifique à la tête de l’Artémise, avec pour mission de défendre les intérêts français. Escale mouvementée à Tahiti où il réaffirme par la force l’autorité de la France et de l’Église catholique face aux protestants anglais. Puis direction Hawaii où il obtient la liberté de culte pour les catholiques, par un coup de force retentissant. Suivent de nouvelles escales d’espionnage en Chine et en Asie du Sud-Est.
En 1840, de retour de ce second tour du monde exténuant de trois ans, rythmé par la maladie, Laplace est promu amiral. Ses carnets débordent d’informations capitales sur le déclin français en Asie et dans le Pacifique. Grand stratège, il n’aura de cesse de lutter pour une marine nationale française forte et respectée, à la hauteur de la Royal Navy. Un combat qu’il mènera jusqu’à sa mort en 1875.

Auguste Nicolas Vaillant (1836-1837)

Entré adolescent dans la marine impériale en 1808, Auguste-Nicolas Vaillant combat lors des guerres napoléoniennes avant de servir la Restauration puis la Monarchie de Juillet avec zèle. Remarqué pour ses talents de navigateur, il est choisi en 1836 par le ministre de la Marine de Rigny pour conduire une ambitieuse mission à bord de la corvette la Bonite. Objectif : défendre les intérêts français du Pacifique à l’océan Indien. Avec des marins novices et trois scientifiques à bord, Vaillant appareille de Toulon et met le cap sur Rio, puis le redoutable cap Horn. Première mission à Valparaiso : secourir des baleiniers français en perdition, abandonnés par leurs équipages. Puis direction les Sandwich, où Vaillant constate la mainmise américaine naissante sur l’archipel.
Suivent escales à Manille, Canton et Tourane. Partout, même constat amer : défiance des autochtones envers les Occidentaux, influence grandissante des Anglais en mer de Chine, présence française aux abonnés absents. Seul motif de satisfaction : la réussite de sa mission secrète : rapporter en France des millions de vers à soie.
Avant de rentrer à Brest, Vaillant arpente encore les comptoirs de l’Inde, faisant escale au Siam, à Pondichéry ou Calcutta. Son odyssée de deux ans, rondement menée, est un succès total. Nommé contre-amiral, il servira la France jusqu’à sa mort, en 1858, bataillant toujours pour offrir à la Royale une marine de guerre à la hauteur de la Royal Navy.

Abel Aubert du Petit-Thouars (1836-1839)

Né en 1793 dans une famille de marins héroïques, Abel du Petit-Thouars sert avec zèle la France tout au long de sa carrière. Remarqué lors de la conquête d’Alger, il est envoyé en 1836 par Louis-Philippe défendre les intérêts français dans le Pacifique à la tête de la frégate la Vénus. Commence alors un fabuleux périple de trois ans rythmé par la diplomatie musclée.
Escales mouvementées au Pérou, en Californie ou aux Marquises : partout Du Petit-Thouars constate avec effarement la mainmise étrangère et le déclin de l’influence française. À Hawaï puis Tahiti, il arrache par la menace des traités garantissant la protection des ressortissants français face aux visées anglaises et américaines.
Admiratif du dynamisme britannique, Du Petit-Thouars rentre en France avec la ferme intention d’accélérer l’expansion coloniale française dans le Pacifique. Promu amiral, il annexe les Marquises en 1842, avant de débarquer ses troupes à Tahiti l’année suivante, et d’en chasser Union Jack et pasteurs anglicans. Un coup d’éclat retentissant ! Mais désavoué par Louis-Philippe, Du Petit-Thouars rentre bredouille. Il n’aura de cesse de regretter l’incurie française face à la suprématie navale anglaise.

Jules Sébastien César Dumont d’Urville (1837-1840)

Né en Normandie en 1790, le jeune Jules intègre l’armée navale alors que la flotte française est paralysée par le blocus britannique. Brillant, il gravit les échelons et embarque en 1820 pour une campagne en Méditerranée. Lors d’une escale à Milo, il participe à l’exhumation de la Vénus de Milo, découverte qui lui vaudra gloire et avancement. Affecté au Dépôt des cartes et plans à Paris, Dumont d’Urville y croise Louis Isidore Duperrey. Ensemble, ils convainquent Charles X de financer une exploration des côtes du Pacifique sud. Duperrey prend le commandement pendant que Dumont d’Urville officie comme second à bord de la Coquille de 1822 à 1825.
De retour en France, Duperrey rafle tous les honneurs quand Dumont d’Urville doit se contenter d’une médaille. Ultime camouflet : il n’est pas élu à l’Académie des sciences, malgré le succès scientifique de l’expédition. Amer, Dumont d’Urville obtient le commandement de la Coquille rebaptisée Astrolabe pour explorer de 1826 à 1829 la Nouvelle-Guinée, la Nouvelle-Zélande et localiser les épaves du naufrage de Lapérouse à Vanikoro.
Nommé capitaine de vaisseau à son retour, Dumont d’Urville publie en 1834 son Voyage pittoresque autour du monde en trois volumes, récit grand public de ses tribulations exotiques. En 1837, il accepte de conduire une périlleuse circumnavigation dans les mers antarctiques avec l’Astrolabe et la Zélée. C’est le début d’une odyssée cauchemardesque. Bravant pendant trois ans tempêtes meurtrières, désertions, épidémies décimant ses équipages, Dumont d’Urville atteint en 1840 un continent de glace qu’il baptise Terre Adélie. Un exploit héroïque salué à son retour triomphal en France par une promotion au grade de contre-amiral.
Mais en 1842, au sommet de la gloire, Dumont d’Urville et sa famille trouvent la mort dans la première grande catastrophe ferroviaire française, entourée d’une étrange omerta politique. La thèse officielle d’un banal accident est rapidement battue en brèche par des rumeurs de complot, renforcées par la saisie immédiate des archives du navigateur par la Marine. Cent-soixante-dix ans après le drame, le mystère entourant la fin tragique de ce grand explorateur n’a toujours pas été percé.

Gaston de Roquemaurel (1850-1854)

Né en 1804 d’un père aristocrate, Gaston de Roquemaurel intègre comme son idole Bougainville la prestigieuse École polytechnique avant d’entrer dans la marine en 1825. Ses douze premières années de navigation se cantonnent à la Méditerranée. Fasciné par les récits des grands explorateurs du Pacifique, il saisit sa chance en 1837 : devenir second de Dumont d’Urville pour sa périlleuse expédition en Antarctique.
Pendant trois ans, De Roquemaurel se révèle indispensable en sauvant à multiples reprises les équipages et navires des catastrophes. Mais ce marin effacé et modeste restera éclipsé par le charismatique Dumont d’Urville. Médaillé au retour mais snobé pour un commandement, il démissionne en 1849 avant d’être rappelé pour conduire la corvette La Capricieuse dans un fabuleux tour du monde de quatre ans.
Sillonnant les mers du globe de 1850 à 1854, De Roquemaurel brille par ses talents de navigateur et la qualité de ses relevés hydrographiques des côtes de Corée et du Japon. Mais à son retour en France, la société a changé, l’ère des grandes découvertes est à jamais révolue. Aigri, l’amiral démissionne après ce voyage aux allures de chant du cygne pour une marine à voile déjà obsolète. Retiré dans sa Toulouse natale, ce grand marin modeste mais visionnaire sombre dans un oubli injuste, que répare enfin Hubert Sagnières.

Quinze récits, quinze destins, pour seize explorations hors du commun, et qui s’étalent de 1714 à 1854. En redonnant vie aux parcours fabuleux de La Barbinais, Bougainville, Dumont d’Urville et bien d’autres navigateurs intrépides, Hubert Sagnières signe le plus vibrant des hommages à ces pionniers qui ont écrit certaines des plus belles pages de la marine française. Grâce à un exceptionnel travail de collecte, l’auteur a exhumé journaux de bord, correspondances inédites, gravures d’époque. Autant de trésors nous plongeant au cœur du quotidien de ces globe-trotteurs animés par la passion des découvertes et le goût de l’aventure. Car derrière le récit de leurs exploits se dessinent aussi des personnalités singulières que l’Histoire a parfois oubliées.
Sous la belle plume d’Hubert Sagnières, c’est toute une fresque du Siècle des Lumières à la Révolution Industrielle qui reprend vie. Une épopée maritime dont on suit, escale après escale, les avancées scientifiques autant que les drames humains. Une ode vibrante à ces intrépides capitaines ayant hissé si haut les couleurs du pavillon tricolore aux quatre coins des océans.
Préfacé par Olivier Poivre d’Arvor, enrichi de centaines de visuels et cartes, ce somptueux ouvrage constitue sans nul doute l’une des plus belles célébrations du patrimoine maritime français. Cet ouvrage d’exception est le cadeau de Noël idéal pour embarquer petits et grands à la suite de ces explorateurs d’autrefois. L’ultime escale avant de lever l’ancre pour un extraordinaire voyage dans leur sillage !

Image de Chroniqueur : Jean-Jacques Bedu

Chroniqueur : Jean-Jacques Bedu

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