Dacia Maraini a tout juste vingt ans lorsqu’elle participe à la création de la revue littéraire « Tempo de letteratura »… Des années 1960 jusqu’à nos jours, elle ne cessera d’écrire. Celle qui fut la compagne d’Alberto Moravia et l’épouse de l’artiste Lucio Pozzi, a donné à la littérature italienne une œuvre importante. Romancière, poétesse, dramaturge, elle a été récompensée par de nombreux prix dont le Prix Strega, l’un des plus prestigieux du pays en 1999 pour Buio. Ce recueil de nouvelles a été traduit en français en 2018. Certains de ses romans ont été adaptés au cinéma, et elle a participé à la rédaction de plusieurs scenarii, le plus célèbre étant « Les mille et une nuits », coécrit avec son ami Pier-Paolo Pasolini, en 1974.
Dans le bref roman, Trois femmes. Une histoire d’amour et de désamour, l’ardente féministe qu’elle est, aborde les facettes de l’amour et de la sensualité, vus à travers le prisme de l’âge. Un même toit abrite trois générations d’une même lignée : trois femmes, trois âges, trois modes différents de communication. Lori, la benjamine a la fraîcheur et les impatiences de ses dix-sept ans. Impulsive, rebelle, elle se confie sans le moindre formaliste, bousculant les styles et la syntaxe, à un journal intime dont nul dans la maison n’ignore la cachette secrète. Elle lui livre ses états d’âme du jour, ses ébats lycéens avec le très conventionnel Tulù. Mais aussi ses rencontres avec Donata, la clocharde aux yeux limpides et vides qui collectionne les livres jetés. Lori, au cœur tendre, lui apporte, parfois, un cappuccino et des croissants dans la cabane sordide qu’elle occupe « dans le square devenu décharge à ciel ouvert. »
Les livres sont aussi l’univers dans un tout autre cadre, de Maria, mère de Lori, la quarantaine, traductrice de profession qui s’apparente à une héroïne flaubertienne.
Sensible et passionnée, elle adresse à son lointain amant, le si beau François, des missives denses, élégantes, émaillées de multiples références littéraires. Ne pouvant vivre avec lui que de courts épisodes de rencontre au parfum d’exotisme, elle l’abreuve de déclarations passionnées et se nourrit des souvenirs de leur commun vécu.
Sa propre mère la voit « aussi fragile qu’un œuf tout juste pondu… Elle a la perfection de l’œuf qui est lisse, hermétique, parfait. Le problème, c’est que si on le pose sur la table, il roule et se fracasse en tombant. »
Gesuina, l’aïeule mais encore séduisante sexagénaire, ancienne comédienne, chuchote ses émotions et ses inquiétudes à son petit dictaphone. Elle, qui avait voulu médecin, a dû renoncer à la scène en raison de son âge. Elle fait des piqûres à domicile pour améliorer le petit budget familial.
Elle se trouble sous les baisers sensuels de son boulanger impuissant, regarde avec convoitise les beaux corps masculins et entretient des relations sagement virtuelles sur WhatsApp avec des inconnus.
Ses appétits ne lui ont rien fait perdre d’un solide réalisme. Aussi, lorsque débarque François à la beauté du diable, dont les intentions ne sont peut-être pas si claires, elle est la seule à percevoir le danger…
Car le feu est là, ce feu que Prométhée vola à Zeus pour faire le bonheur des hommes.
Il éclate sur la colline derrière la ville anonyme, ne laissant que cendres et désolation… Mais n’est-ce pas aussi celui qui embrase les cœurs et les corps des femmes pour ne laisser que cruelles morsures ?
Dacia Maraini reste une narratrice externe aux marges de ces points de vue qui se croisent et se complètent. Elle ne manifeste guère d’indulgence pour ses personnages masculins : Tulù, tout jeune et déjà pétri de conformisme, François aussi lâche et veule que le fut jadis le père de Maria, Angélo, le bel infirmier tatoué aux pulsions adultères, tous prêts à se servir du corps des femmes sans donner, grand-chose en retour…
Mais elle pose un regard tendre sur son trio de femmes, si différentes, si attachantes, aux liens si forts malgré les chamailleries familiales.
Et tout particulièrement sans doute, sur la plus âgée, Gesuina, riche de ses expériences et de sa sagesse, capable de tenir d’une main celle d’une belle au bois dormant. Et de l’autre, un recueil de poésies, à la recherche des mots thaumaturges. Même si certaines pages ont pu en faire douter, quels que soient les choix de ses personnages et le prix qu’elles ont, ou auront encore à payer, même si certaines pages ont pu en faire douter, les dernières lignes témoignent combien Dacia Maraini, dans l’affirmation de leur nature et de leur sexualité, les place résolument du côté de la vie et du bonheur.
Maraini, Dacia, Trois femmes : une histoire d’amour et de désamour, traduit de l’italien par Lucie Comparini, Éditions Grenelle, 24/03/2022, 1 vol. (169 p.), 18€
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