« Plus tard on voit les choses d’une façon plus pratique, en pleine conformité avec le reste de la société, mais l’adolescence est le seul temps où l’on ait appris quelque chose » écrit Marcel Proust dans « À l’ombre des jeunes filles en fleurs ». C’est à cet âge si particulier de l’existence, celui de la découverte des passions et des premières trahisons, que s’est intéressé Gilles Paris. Dans « Autobiographie d’une courgette » (Plon, 2002), adapté avec succès au cinéma en 2016, l’auteur s’était glissé dans la peau d’un jeune orphelin de neuf ans, livrant un récit tendre et drôle à la fois sur le quotidien d’un foyer pour enfants. Cette fois, il donne vie à une bande de lycéens, dans un roman choral au rythme enlevé et dont le titre est emprunté à un poème d’Arthur Rimbaud qui commence par le fameux vers : « On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans. »
Tout commence par un drame : le suicide d’Iris, une adolescente harcelée par ses camarades, et qui décide de mettre fin à ses jours. Violée par son beau-père, elle essaie de laver la souillure en s’offrant à des garçons plus jeunes qu’elle. Au lycée, elle devient alors la « tchoin », la fille facile, celle qui satisfait dans les toilettes les fantasmes d’une génération biberonnée au porno. Une vidéo de ses ébats se met à circuler sur les téléphones. Désormais, sa réputation la suit partout, aussi infamante qu’une marque au fer rouge : les garçons la méprisent après avoir profité d’elle, les filles crachent à son passage, et même sa propre mère juge qu’elle a bien mérité ce qui lui arrive. Pour la jeune fille, la mort est la seule échappatoire.
Après un premier chapitre glaçant, Iris n’apparaîtra plus qu’indirectement dans le reste du roman. Mais son souvenir hante ceux qui l’ont connue, chacun portant une part de responsabilité dans son suicide : « On l’avait tuée, c’est tout. […] Avec notre indifférence et notre harcèlement. Chacune d’entre nous, chacun d’entre nous, avait fabriqué la corde qu’elle s’était passée au cou« . Cette culpabilité latente ne les empêche pourtant pas de continuer à vivre. Le lecteur découvre le quotidien de ces jeunes scolarisés en classe de seconde, qui s’émancipent progressivement de la tutelle familiale et se désinhibent de leurs complexes dans des soirées où l’alcool coule à flots. Chaque chapitre offre la parole à un personnage différent, avec ses questionnements, ses doutes et ses désirs. L’utilisation de mots empruntés au lexique adolescent – mélange d’anglicisme et de langue verte traditionnelle – donne de la crédibilité à ces prises de paroles successives. Au cœur de cette société en miniature que constitue la cour du lycée, on s’attache tout particulièrement aux jumeaux Tom et Emma.
Lui, fan de « L’Attrape-Cœur » s’interroge sur son identité à l’instar d’Holden Caulfiled, le héros de J.D. Salinger. Adulte, il sera peut-être écrivain : « Parce que je suis un solitaire. Parce que j’ai des choses à dire, enfin je crois ». En attendant, il fait le DJ en soirée, écoute Coldplay et les mélodies mélancoliques de Billy Ellish, boit plus que de raison et relève les défis de ses potes Gaspard et Timothée pour faire taire ses inquiétudes existentielles. Avec Aaron, originaire de Canet-en-Roussillon et fraîchement arrivé à la capitale, peut-être trouvera-t-il les réponses à ses questions ?
Emma, de son côté, ne boit que du jus de fruit et file le parfait amour dans les bras de Solal, « le keum le plus chaud du lycée ». Son bonheur, son assurance, aiguisent les jalousies, mettant à rude épreuve les amitiés qu’elle croyait indéfectibles. À cet âge où les corps changent aussi vite que les sentiments, où une rencontre peut ébranler en un instant toutes les certitudes, il ne faut jurer de rien. L’adolescence est le moment où les illusions se dissipent, où la violence du monde explose au grand jour : c’est l’entrée dans le « désert du réel » pour reprendre la jolie formule de Baudrillard.
Gilles Paris donne vie à ces jeunes pas encore adultes, ni tout à fait enfants, dans une chronique qui saisit admirablement les derniers feux de l’adolescence. Évitant les clichés, il donne vie à des personnages complexes, capables du pire comme du meilleur. « Un baiser qui palpite là, comme une petite bête » est une incursion très documentée dans l’univers de la génération Z, « terra incognita » pour tous ceux nés avant les années 2000. C’est également un beau roman d’apprentissage qui, par sa justesse, séduira aussi bien les adolescents que leurs parents.
Jean-Philippe GUIRADO
articles@marenostrum.pm
Paris, Gilles, « Un baiser qui palpite là, comme une petite bête », Gallimard-Jeunesse Giboulées, 09/09/2021, 1 vol. (219 p.), 13,50€
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