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Depuis 2006, les éditions Gallmeister nous font voyager à travers les États-Unis avec des ouvrages mettant en scène les multiples facettes de son immense territoire, entre nature sauvage et civilisation. À l’occasion de son quinzième anniversaire, la maison au logo en forme de « patte de loup » s’ouvre sur le reste du monde en traduisant le second roman d’une talentueuse autrice de 33 ans qui prend pour cadre la région des Marches, en Italie.
Comme Fransesca Manfredi dont j’avais chroniqué « L’Empire de la Poussière« , Giulia Caminito fait partie d’une prometteuse génération d’autrices italiennes, à la plume aussi singulière qu’affirmée. « Un jour viendra » entraîne le lecteur à Serra de’ Conti, village isolé de la province d’Ancône, au début du XXe siècle. Les protagonistes sont des individus à la personnalité rugueuse dont on ne pénètre pas facilement l’intimité. Les informations ne sont divulguées que par bribes, les zones d’ombre et les non-dits perdurent et il faudra attendre les derniers chapitres pour que la lumière se fasse sur les secrets les plus profondément enfouis.
Dans la famille Ceresa « qui avait toujours cumulé autant de problèmes que tous les habitants des Marches réunis », il y a le grand-père anarchiste, Giuseppe, avec sa réputation sulfureuse de poseur de bombes. S’il n’a pas transmis ses convictions politiques à son fils, Luigi, le boulanger du village, il a en revanche trouvé en Lupo, son petit-fils, un digne héritier. Ce dernier, sans cesse escorté par Chien, un loup apprivoisé, ne rêve que de renverser l’ordre établi et d’abattre la royauté. L’autrice révèle que l’anarchisme s’inscrit dans sa propre histoire familiale. Pour écrire le roman, elle s’est longuement documentée sur le climat social en Italie au début du siècle, revenant sur la résistance à l’intervention militaire en Libye, la Semaine Rouge d’Ancône et les combats de la Première Guerre mondiale.
En contrepoint de Lupo le révolté, il y a Nicola, le plus jeune frère : « on l’appelait l’enfant mie de pain parce qu’il était le fils du boulanger et qu’il était faible, il n’avait pas de croûte, laissé à l’air libre il moisirait ». D’un tempérament rêveur et continuellement perdu dans ses lectures, sa fragilité peureuse détonne dans le rude univers familial : « inutile à la maison, inutile à la boutique, on l’avait découvert en train de se livrer à des activités bizarres, comme apprendre les lettres et les mots ». L’histoire développe la relation asymétrique mais fusionnelle entre ces deux frères, l’agitateur et l’intellectuel, à la charnière entre adolescence et âge adulte.
Le roman offre aussi de très beaux portraits de femmes : Nella, l’aînée de la famille envoyée au couvent pour des raisons mystérieuses et dont le nom est devenu presque tabou chez les Ceresa, mais surtout, Sœur Clara, l’abbesse de la communauté des religieuses de Serra de’ Conti. Celle-ci, surnommée la Moretta, en raison de sa peau noire, est originaire d’Afrique et a été enlevée à sa famille puis vendue comme esclave avant de trouver le salut en devenant l’épouse du Christ. Cette femme de caractère, passionnée par la musique, et ne craignant pas d’imposer ses vues au curé de la paroisse, Don Agostino, s’inspire de la vie bien réelle de Maria Giuseppina Benvenuti, née Zeinab Alif au Soudan. Déclarée vénérable par le pape Benoît XVI en 2011 en raison de ses vertus exemplaires, son culte perdure encore aujourd’hui dans la région des Marches. C’est à l’occasion d’un voyage à Serra de’ Conti, sur les terres de ses ancêtres, que Giulia Caminito a découvert sa statue devant le couvent et a décidé d’en faire un personnage central de son roman.

Entre les destinées a priori irréconciliables de Lupo l’anarchiste athée et de la pieuse Sœur Clara, on retrouve pourtant bien des similitudes. Chacun à leur manière, ils incarnent une forme de combativité et de rébellion contre l’ordre établi, l’abbesse n’hésitant pas à s’opposer frontalement à sa hiérarchie épiscopale. Comme l’écrit l’autrice dans la postface de son roman ce sont « deux voix si éloignées l’une de l’autre qu’elles en deviennent proches, deux parfaits opposés, deux mondes perdus, deux nostalgies ».

Jean-Philippe GUIRADO
contact@marenostrum.pm

Caminito, Giulia, « Un jour viendra », traduit de l’italien par Laura Brignon, Gallmeister, 04/03/2021, 1 vol. (288 p.), 22,60€

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