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Cyril Gely, Le dernier thé de maître Sohô, Arléa, 2024, 192 pages, 18,00 €.

“Colline de Shiroyama
l’été touche à sa fin
et je m’en vais
enfin
parmi les fleurs et les guerriers”.

1853 – Le Japon est immuable depuis 250 ans, période durant laquelle il a atteint le summum de sa propre perfection. Les règles draconiennes imposées par le Shogun ont forgé une société où tout grain de sable peut faire basculer l’ordre établi. Au large de la mer de l’est apparaissent les bateaux noirs du commodore Perry, les « Kurofune » venant obliger les Nippons à s’ouvrir au monde.

Dans le sud du pays vivent des clans farouches à la susceptibilité exacerbée. Ces familles millénaires devinent que leur civilisation va s’écrouler. Il s’agit d’échapper à ce chaos prévisible en commettant le rituel « seppuku », geste d’une violence sanguinaire mais surtout d’une beauté tragique. Akira Sohô, samouraï, fils et petit-fils de samouraï, revêtu de sa rutilante armure, ulcère ses frères d’arme en refusant de s’ouvrir le ventre. Ayant décliné les préceptes de la Voie du guerrier, il s’enfonce dans la montagne pour subsister en quasi-ermite et vivre en symbiose avec le souvenir de sa compagne tendrement aimée et trop tôt décédée.
Cette même année, au nord de l’archipel, les habitants du port de Niigata ont l’espoir de se donner à d’autres civilisations et de faire des affaires fructueuses. Ozu sama est de ces commerçants qui voient dans ce bouleversement le moyen de vivre autrement. Il est producteur et vendeur de saké. Son épouse, au seuil de la mort, vient de mettre au monde une petite fille à la santé déjà fragile. Elle s’appelle Ibuki.

1874 – Après une guerre civile aussi courte que brutale, l’empereur ouvre au forceps son pays à l’occident. Ibuki n’a qu’un rêve depuis son enfance : devenir samouraï. Elle s’entraîne sans relâche avec son “boken”, sabre en bois qui fend l’air avec des gestes retenus. Son père, devenu riche commerçant veut qu’elle prenne sa suite. Impossible pour cette jeune fille dont le seul souhait est de rejoindre un certain maître Sohô qui vivrait dans l’ascèse dans un petit village. Personne ne peut la raisonner ! Elle a choisi la Voie du guerrier, le “Bushido”. Son baluchon sur les épaules, elle quitte son monde douillet pour se réunir avec son idole. Imagine-t-elle que ce monde se meurt ?
Maître Sohô s’adonne depuis plus de vingt ans à l’art subtil de la cérémonie du thé. Avec la même discipline qu’il employait lorsqu’il faisait partie du clan des Satsuma, il parfait sa culture en répétant sans cesse des gestes gracieux et compassés. Pas de sabre, pas de poignard pour ce perfectionniste, ceux-ci ont été remplacés par des ustensiles simples mais uniques. Ses papilles se sont exercées à saisir la différence entre chaque thé, aussi nombreux qu’ils puissent être.

Assis sur le perron de sa petite maison de bois, isolée au bord d’un petit village de montagne, Akira aperçoit une frêle silhouette avancer vers lui. C’est une jeune fille, au bord de l’épuisement, qui se présente à lui. Ibuki, car il s’agit bien d’elle ! demande sans ambages au maître de lui enseigner le “Kendo”, la Voie du sabre. Sans se départir de son calme, le vieux samouraï réfute cette idée et propose à la jeune fille de l’initier à la Voie du thé, combat intérieur bien plus initiatique que le tranchant d’un katana.
Peu à peu, avec une patience infinie, les deux protagonistes apprennent à se connaître et à respecter le choix de chacun. Cependant, Maître Sohôo est intraitable : si la petite Ibuki veut fendre l’air de son sabre mille fois par jour, qu’elle le fasse, lui ne lui enseignera que les finesses de la cérémonie du thé et les infinies variations gustatives qui en découlent. Bientôt la jeune apprentie, sous la férule du samouraï, excelle dans sa connaissance du monde du thé tout en s’avérant devenir une spécialiste du “boken”. Dans le même temps, dans l’archipel, une révolution inimaginable se met en marche.

1876 – L’empereur Meiji abolit les castes et interdit le port du sabre dans l’espace public. Par cette brutale réforme, il veut rompre avec le passé archaïque de sa jeune nation internationale et lancer délibérément le Japon vers un avenir moderne. Pour ce faire, il n’hésite pas à sacrifier ceux qui lui ont permis de s’asseoir sur le trône du Chrysanthème. Vivant loin des remous de la société, Akira et Ibuki apprennent tardivement la nouvelle. Elle arrive par le biais d’un courrier que Takamori Saïgo, devenu chef des rebelles à cette loi inique, adresse à son ancien camarade. La lettre ne contient qu’un mot : “Viens“.
Ulcéré par la disparition des samouraïs, le vieux maître n’en garde pas moins son sang-froid, surtout lorsque sa jeune élève le conjure de se rendre à la colline de Shiroyama pour accomplir leur mutuel destin. Elle veut combattre et mourir comme un guerrier. Elle sait qu’elle le peut car, grâce à son apprentissage, elle a réussi à marier la voie du thé et celle des “Bushis”. Pour Maître Sohô, il est temps de réparer sa faute vieille de vingt ans car on peut transiger pour tout, sauf pour l’honneur.

Dans son dernier livre, Cyril Gély nous transporte dans un univers qui nous est inconnu mais qui nous fascine, entre beauté délicate et violence consommée. Il sait, avec justesse et honnêteté, employer le langage d’un monde qui se meurt mais qui veut le faire avec panache et discipline. Dans ces lignes, il veut nous faire connaître un épisode de l’histoire du Soleil Levant, méconnu des Occidentaux mais tellement prégnant au Japon. Il réussit avec brio à nous ensorceler dans ce récit, fait de lenteur assumée et de splendeur indicible.

À quand, le prochain ?

Image de Chroniqueur : Renaud Martinez

Chroniqueur : Renaud Martinez

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