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Vincent Brault, Le fantôme de Suzuko, Éditions Héliotrope, 05/01/2024, 204 p.

Suzuko a disparu il y a quelques mois et Vincent ne s’en remet pas. Ce Québécois d’origine est d’abord retourné à Montréal pour soigner sa peine mais il a finalement décidé de revenir à Tokyo, sur les traces de Suzuko, dans l’appartement qu’ils ont ensemble occupé, au plus près des souvenirs du couple qu’ils formaient depuis quelques mois à peine. Tokyo devient alors le pays du souvenir, les larmes de Vincent se mêlent à la pluie qui semble noyer la capitale nippone dans un flot ininterrompu et, dans les rues qu’ils ont autrefois arpentées ensemble, le fantôme de Suzuko est partout. Il prend la forme d’une silhouette aperçue à un coin de rue, sur un passage piéton ou dans l’un des innombrables bars fréquentés par notre héros. Les amis qui, comme le faisait Suzuko, évoluent tous dans le milieu de l’art contemporain, s’inquiètent de l’état dépressif de Vincent, se relaient pour le soutenir, l’inviter à des fêtes ou des vernissages, faciliter sa réinstallation à Tokyo. En s’appuyant sur ce soutien précieux puis en croisant la mystérieuse Kana, sensuelle jeune femme aux paupières incandescentes, Vincent va peu à peu revenir à la vie à moins que cette résilience ne soit, au fond, qu’un trompe-l’œil au royaume des fantômes.

Le fantôme de Suzuko est un roman troublant qui oscille sans cesse entre passé et présent, entre morts et vivants, entre songe et réalité. Vincent Brault, son auteur, excelle à mêler les époques, les personnages et les mondes réels ou imaginaires. Lui le québécois déjà auteur de deux romans, trouve en Tokyo le décor idéal pour ce roman d’atmosphère que l’on dévore en quelques heures. Dans les avenues sans fin que son héros arpente à vélo, au sommet des buildings qui nimbent la ville grise d’une lueur de néons, au fond de tous les rades minuscules dans lesquels les corps s’enivrent de saké et de bière, les destins se mêlent pour quelques heures ou plus longtemps, pour des rapports tout en superficialité ou plus profonds. Le milieu interlope de l’art contemporain est propice à ces échanges qui sont autant d’occasions de croiser des trajectoires que rien ne prédisposait à cohabiter, au gré de performances iconoclastes comme celles que réalisait Suzuko de son vivant et qui mêlaient taxidermie et sensualité. Le Japon du XXIe siècle, confluent de toutes les traditions et de toutes les modernités, de toutes les civilités et de toutes les débauches, le Japon post Fukushima, toujours en sursis entre deux tremblements de terre, est un personnage à part entière du livre qui, déroulé dans un autre décor, aurait perdu en étrangeté et en force.

Vincent Brault réussit un étonnant roman d’amour où l’absence joue le rôle central, tantôt douce, tantôt cruelle et déchirante mais toujours magnifiée par les phrases brèves et poétiques d’un auteur tout en maîtrise comme quand il écrit :

Je roule lentement dans la rue et sur les trottoirs, j’observe, je regarde, je scrute, c’est plus fort que moi, je me dis que Suzuko finira bien par apparaître au coin d’une rue. Mais je ne vois que des formes vides. Son corps découpé çà et là dans la lumière. Formes noires. En creux. L’impression de ce qui manque. La présence de l’absence.

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Chroniqueur : Alain Llense

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