De ce petit traité de consolation comme y invite le sous-titre du livre, on aurait pu s’attendre à tout un lot de questions métaphysiques que des générations de théologiens n’ont cessé de ruminer. Du genre, comment faire cesser l’angoisse radicale du néant ? Voire, tenter d’abolir la mort, n’était-ce pas la manière la plus démonstrative de la conjurer ? Ou encore, vouloir parler aux morts ne signifie-t-il pas que les disparus ne le sont pas tout à fait ?
Ces interrogations-là, Delphine Horvilleur ne les occulte pas davantage qu’elle s’efforce de les approfondir. Mais avec une acuité et un regard intimiste qui en décuple l’intérêt.
Femme tout autant que rabbin, croyante et en même temps profondément attachée à la laïcité, la directrice de la revue « Tenou’a » est un personnage rafraîchissant dans le paysage spirituel contemporain. Un être empathique et sensible comme en témoigne ce remarquable essai, où, à travers onze histoires d’endeuillés, proches et anonymes, l’auteure invite à transmuer le concept de mort en une véritable leçon de vie.
Raconter ainsi les deuils pour mieux comprendre les vivants à l’heure où le plus grand nombre prend ses distances avec « l’Ange noir » relève un peu de la gageure. C’est néanmoins, le pari brillamment réussi de Delphine Horvilleur.
Pour étayer cette réflexion accélérée par l’actualité de la pandémie, mais à laquelle elle cogitait depuis des années, la jeune Rabbin du « Judaïsme en Mouvement » ne se perd guère en conjectures. Rien de morbide ni d’excentrique dans son propos. Simplement des mots justes extraits de sa pensée humaniste et de son quotidien d’apostolat lui faisant célébrer des funérailles.
« Dans ces instants-là, hommes et femmes en détresse aux moments charnières de leurs vies, ont besoin de récits », explique-t-elle pour camper sa fonction. Et ces mots pour vaincre les maux, la rabbin de la synagogue de Beaugrenelle, les manie à merveille.
Elle ne croit d’ailleurs qu’à ça, avoue-t-elle : aux histoires. À la puissance de la narration et à la capacité qu’ont certaines paroles à pouvoir changer les vies. Qu’il s’agisse du décès d’un enfant, de celui d’une mère célèbre ou inconnue, Delphine Horvilleur a le ton adéquat pour apaiser autant que libérer des fantômes de l’angoisse.
Un ton délicat, semé d’humour parfois et connoté souvent de références à l’Écriture comme à l’origine de certains termes. Ainsi le cimetière Beit haH’ayim, se traduit-il paradoxalement en hébreu par la maison des vivants. Et le parent qui perd un enfant est appelé Shakoul, image d’une grappe de la vigne dont on a arraché le fruit.
Ainsi perçue, « la tradition religieuse a un atout », souligne-t-elle. « Le filtre qui opère est celui d’une mémoire ancestrale, du lien intergénérationnel qui nous connecte à une histoire beaucoup plus grande que la nôtre. »
Un livre fort assurément, empreint de sincérité et porteur d’une sagesse toute entière résumée par l’Éternel dans le verset du Deutéronome : « J’ai placé devant toi la vie et la mort, tu choisiras la vie. »
Horvilleur, Delphine, « Vivre avec nos morts : petit traité de consolation », Grasset, « Document », 03/03/2021, 1 vol. (222 p.), 19,50€
Michel BOLASSELL
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