Temps de lecture approximatif : 4 minutes

Jadd Hilal, Le caprice de vivre. Elyzad, 22/08/2023, 224 pages, 21 €

Nous connaissons bien ce jeune écrivain aux cultures méditerranéennes croisées.
Jadd Hilal est né en 1987 non loin de Genève. Après avoir étudié en France des études de lettres et de littérature anglophone, il continue son chemin en Écosse et en Suisse. Désormais, c’est à Paris, que nous avons la joie de le rencontrer, et où est professeur de Lettres et de Philosophie. Il a été finaliste du Prix de la littérature arabe de l’Institut du Monde arabe et de la Fondation Jean-Luc Lagardère. Il fut également finaliste du Prix Senghor du premier roman, il est lauréat en 2018 du Festival du Premier Roman de Chambéry, du Grand Prix du Roman Métis, du Prix Métis des Lycéens et du Prix de la première Œuvre Littéraire francophone pour son premier roman Des ailes au loin. Avec Karim Kattan, il est un des jeunes auteurs le plus couru des Éditions Elyzad, et du microcosme littéraire parisien. C’est un jeune écrivain, simple, délicat, et engagé…

Le Caprice de vivre, troisième roman de Jadd Hilal, est un livre intense et ancré dans les tensions existentielles, identitaires et générationnelles contemporaines. Le roman s’inscrit dans la continuité de son œuvre, après Des ailes au loin et Une baignoire dans le désert, en explorant des personnages en quête d’eux-mêmes, souvent tiraillés entre passé et présent, racines et avenir. Une histoire qui se lit en miroir comme si l’auteur voulait faire anamnèse de ce qu’il vit et, est profondément à l’intérieur. Une vie, la sienne, et celle de sa famille et de tant d’autres en Palestine et au Liban… Une vie qui nous rejoint nous-aussi sur l’autre rive de la Méditerranée. Ce roman nous parle pour de multiples et simples raisons. Il se déroule presque entièrement dans un appartement parisien où vivent Houmam, Warda et Souleymane, trois anciens camarades de Khâgne devenus trentenaires, piégés dans une colocation qui vacille. Houmam, écrivain raté, est le narrateur. Il est amoureux fou de Warda, journaliste flamboyante et intransigeante. Souleymane, ostéopathe et militant animaliste, est plus en retrait. Le trio vit une relation explosive, tendue, faite de non-dits, de désirs contrariés et d’engagements divergents à l’image du Proche-Orient aujourd’hui. Qui se fait proche de l’autre, et qui est le plus sincère, le moins “cabossé” par ce désir de vie qui n’arrive pas à maturité ? Un huis clos un peu sartrien devient le théâtre d’une implosion lente, sur fond de désirs frustrés, de joutes verbales féroces et d’un questionnement permanent sur la place à occuper dans une société occidentale vue depuis les marges arabes, racisées et trop souvent stigmatisées. On parle si souvent de ce que l’on ne connaît pas…, ou mal !

Trois thèmes principaux rythment ce troisième roman autour de l’identité, la sexualité, et la politique. Au cœur de la narration proche-orientale et de la culture méditerranéenne la quête identitaire est le premier de ces marqueurs. Houmam refuse d’être réduit à son “arabité”. Il défend une littérature universelle tout en se heurtant à la violence symbolique d’un monde qui exige des écrivains situés par leur milieu qu’ils parlent “de leur communauté”. Ce refus de l’assignation, de diluer ses origines dans l’universel soulève des difficultés d’être, et entraîne également des complexités pour se situer. La sexualité est le deuxième marqueur. La relation entre Houmam et Warda est l’un des moteurs du roman mêlant à la fois le désir nu, le rejet, la provocation et le silence parfois à la limite de l’acceptable. Il peut y avoir une part de « cruauté », de sentiments négatifs aux contours cruels. L’érotisme est présent sans excès, mais toujours avec une sincérité dérangeante. Houmam est complètement obsédé par Warda. Paralysé par Warda, « la Rose » (en Arabe) une dynamique de frustration confère à la relation à la fois un côté comique et tragique. Enfin, l’engagement politique et éthique (NDLR : l’auteur est lui-même engagé. Il y a là une proximité d’intention). La forte personnalité de Warda incarne un combat acharné pour la vérité, quitte à tout perdre. Elle enquête sur le Farhoud – massacre des Juifs de Bagdad en 1941 – provoque une rupture avec ses colocataires, révélant les tensions entre fidélité à la mémoire, peur des amalgames et désir d’émancipation.

Le style de Jadd est brut, vif, sarcastique au service d’une réflexion dense. Les chapitres courts, les dialogues rapides et l’alternance entre introspection et confrontation donnent au récit un rythme soutenu. Le langage y est parfois cru et sans filtre. Warda est le personnage le plus coloré brut de décoffrage qui exerce une certaine forme de crudité. On en a pour son argent, pourrions-nous dire !!! La langue est celle de la génération des Printemps arabes qui parle, crie, blesse et rêve toujours à un Proche-Orient plus stable, sans corruption, sans guerre, sans crise économique et financière endémique. Un monde où tout le monde est égal de l’autre parce que citoyen à part entière sans contrainte confessionnelle ou clanique. Le Pays du Cèdre en est l’exemple le plus manifeste. Un Liban, une Palestine…, d’autres pays qui espèrent quand plus rien ou presque est à espérer. Génération de la résilience qui succède à d’autres générations résilientes.

Le Caprice de vivre est un roman générationnel, personnel et politique. Il parle d’une jeunesse urbaine, éduquée, engagée, mais profondément désillusionnée, tiraillée entre intégration et affirmation identitaire. Un livre qui dérange, questionne, parfois agace, mais qui ne laisse jamais le lecteur indifférent. L’auteur ne cherche pas à donner des réponses mais à poser des questions essentielles : peut-on aimer sans se trahir ? Peut-on vivre sans choisir un camp ? Peut-on survivre à ses illusions ? La Libanaise, Nadine Labaki nous l’avait soufflé dans un beau et grand film fin et féroce à la fois, plein d’humour et de vérité cinglante. “Et maintenant où on va ?”

Jadd Hilal signe ici une œuvre dense et généreuse mêlant le corps et la pensée, la mémoire et le présent, le dérisoire et le tragique. Le Caprice de vivre est un roman de tensions, de désirs et de ruptures, porté par une écriture incarnée. Un livre qui parle à nos tripes, à notre vie, à l’espérance des Libanais, des Palestiniens, des Méditerranéens, et de tous ceux qui cherchent un chemin, des réponses, une identité, une raison d’espérer sans que vivre soit en définitive le dernier des caprices ! Un roman audacieux, qui s’autorise des passages serrés et ose beaucoup…, y compris le caprice – de vivre, d’aimer, de créer. Nous attendons en cette Rentrée littéraire 2025 son nouvel opus avec grand intérêt…, et déjà avec une joie vive. À lire !!!

Image de Chroniqueur : Patrice Sabater

Chroniqueur : Patrice Sabater

Faire un don

Vos dons nous permettent de faire vivre les libraires indépendants ! Tous les livres financés par l’association seront offerts, en retour, à des associations ou aux médiathèques de nos villages. Les sommes récoltées permettent en plus de garantir l’indépendance de nos chroniques et un site sans publicité.

Vous aimerez aussi

Voir plus d'articles dans la catégorie : Actualités littéraires

Comments are closed.