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Un homme et une femme se parlent longuement au téléphone alors même que la nuit approche.
Elle l’a entendu parler de résilience sur “France Culture”. Elle l’a appelé.

Sur la couverture des Éditions Elyzad, une sublime photo de Genessa Panainte : le visage anxieux d’une femme émerge d’un clair-obscur, un rayon lumineux se pose sur son front et sa joue, comme une caresse… Ou peut-être suit-il le sillon des larmes.
Paru en mars 2020, à la veille du confinement, “Cet amour”, le beau roman de Yasmine Khlat, n’a hélas pas reçu l’accueil qu’il méritait. Son sujet demeure pourtant d’une brûlante actualité en réalisant combien la solitude et le climat anxiogène ont aggravé – au cours des mois écoulés – les perturbations psychologiques de nombreux individus, toutes générations confondues.
Et il est bienvenu d’en reparler alors que la psychanalyse, elle-même, connaît un regain d’intérêt populaire ces ultimes semaines avec, depuis le 4 février 2021, la série “En thérapie” d’Éric Toledano et Olivier Nakache, adaptation française autour des attentats de Paris en novembre 2015, de la série israélienne “BeTipul” (en hébreu : בטיפול, littéralement “en thérapie”) de Hagai Levi, Nir Bergman et Ori Sivan.

Il porte le même nom que sa grand-mère et sa voix est si chaleureuse !
Il est psychiatre et israélien. Elle est écrivaine, libanaise exilée, française par résignation, en proie à une angoisse profonde.
Or, cette simple consultation téléphonique leur est interdite par l’article 285 du Code civil libanais.
Qu’importe ! L’interdit est transgressé. Elle a tant besoin de s’exprimer, elle qui vit en quasi recluse dans son appartement parisien, captive de ses craintes et surtout de ses troubles compulsifs obsessionnels.
La peur de l’eau et de l’inondation sont devenues une véritable névrose jusqu’à engendrer des pulsions suicidaires dont l’évocation resurgit dans le texte à plusieurs reprises, et sous des formes contradictoires, à la fois le désir d’en finir, et le refus de faire souffrir les siens.
S’amorce alors un très long dialogue. D’abord extrêmement professionnel. Le médecin résiste à sa pression, mais, réalisant la détresse d’Irène, il va lui apporter l’écoute nécessaire pour qu’elle puisse mettre des mots sur ses douleurs, et en particulier celle qui la mine : sa culpabilité dans la disparition de son frère Nino, bien des années auparavant.
Avec douceur mais fermeté, il va surtout la renvoyer avec une grande humanité aux points d’ancrage qui lui sont nécessaires pour sortir littéralement la tête de l’eau.
Et dans ce vaste maelstrom de souffrances issues d’un Liban déchiré et d’un pays d’exil dans lequel se sont perdues toutes les pulsions de vie, vont peu à peu apparaître des plages de lumière, des visages aimés, les souvenirs et les parfums colorés des premières années, puis la force salvatrice de la religion.
Irène est maronite. Si sa foi peut vaciller, elle continue d’accorder une dévotion passionnée à la Vierge que, dans ses délires mystiques, elle a vu de manière enfantine en image saint sulpicienne, les pieds couverts de roses. Enfin, peu à peu, il va l’amener à s’accorder une valeur au-delà de ses faiblesses et à retrouver une volonté de vie…
De cet accent d’Orient, que l’un reconnaît à l’autre, naît en même temps cette douce certitude qu’il pourrait se passer autre chose, bien au-delà de toutes les frontières, de tous les barbelés, de toutes les guerres qui déchirent des peuples-frères, pour elle qui porte un prénom qui, en grec, signifie “la paix”, et pour lui qu’on connaît sous le nom de Docteur Rossi, entre celle qui a perdu un frère et celui qui a perdu son fils.
Mais il est encore bien des obstacles sur les chemins de rencontres possibles…
Si le bonheur ne semble pas accessible, Irène va pourtant accéder à une forme de sérénité, comme lavée par un nouveau baptême, “l’eau s’écoulant avec le sang de la plaie du Christ” se substituant à l’idée de “désastre, d’inondation”.
Un très long dialogue, quelques pages de récit, quelques lettres dont le lecteur n’a pas la certitude qu’elles aient été vraiment envoyées à leur destinataire…

Yasmine Khlat dont on devine l’intimité avec son personnage féminin, juxtapose les genres, toujours avec la même délicatesse de plume et de sentiments qui lui ont valu en 2001 le “Prix des cinq continents de la francophonie” pour “Le désespoir est un péché”, et qui fait “d’Égypte 51” une petite merveille du roman épistolaire.
Avec “Cet amour”, elle nous offre une séance de thérapie partagée, où nous accompagnons Irène et le docteur Rossi dans un grand élan d’empathie et d’espérance partagée, sur une route salvatrice, car, selon les propos de Hetty Hillesum dans son journal intime (1941-1943) : “notre seule obligation est de déchiffrer en nous-mêmes de vastes clairières de paix, et de les étendre de proche en proche… Et plus il y aura de paix dans les êtres, plus il y en aura dans ce monde en ébullition”.

Christiane SISTAC
contact@marenostrum.pm

Khlat, Yasmine, “Cet amour”, Editions Elyzad, “Littérature”, 05/03/2020, 1 vol. (144 p.), 16,00€

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