La menace terroriste d’inspiration djihadiste met en lumière la pluralité et la complexité des islamismes, desquels elle est indissociable. En effet, si le djihadisme est une idéologie fondée sur une “lecture de l’islam politisée mettant le combat armé au centre de son appréhension de la réalité”, il est possible d’avancer que “tout djihadisme est islamiste”.
Les islamismes recouvrent ainsi une multiplicité de mouvances fondamentalistes, aussi bien chiites que sunnites, qui font le lit des phénomènes de radicalisation. Appréhender la radicalisation islamiste ne se limite pas à la détection des signaux faibles conduisant un individu à adopter “une forme violente d’action, directement liée à une idéologie extrémiste” (Farhad Khosrokhavar). Comprendre ce processus implique aussi une connaissance fine des mécanismes et des ressorts idéologiques, sociologiques, religieux ou culturels poussant un individu à basculer.
Dans son “Dictionnaire des islamismes”, Amélie Myriam Chelly, docteur en sociologie, spécialiste des idéologies islamistes, analyse avec érudition et une extrême rigueur – tant scientifique qu’intellectuelle – les différents mouvements qui composent cette nébuleuse piétinant l’islam pour mieux imposer sa domination. Avec un incontestable talent narratif, l’auteure propose de “couvrir la compréhension de la réalité géopolitique, sociologique et idéologique contemporaine des phénomènes islamistes”. À cette fin, elle propose d’appréhender trois catégories de mots appartenant à la terminologie des islamismes :
- Les “termes initialement issus de la sphère religieuse tel qu’ils sont lus par les islamismes”.
- Les “concepts directement construits dans le cadre des islams idéologiques”.
- Et “l’histoire et les contours doctrinaux des grandes mouvances et réseaux comme ceux des Frères musulmans, du khomeynisme, du madkhalisme, mais aussi d’Al Qaïda, de Daech ou encore du talibanisme”.
Il en ressort un ouvrage d’une richesse exceptionnelle, un authentique rempart contre l’obscurantisme. Car le “Dictionnaire des islamismes” que nous propose Amélie Chelly n’est pas un simple essai appréhendant des notions qui pourraient paraître absconses ou inaccessibles ; il est avant tout un document lumineux, une œuvre majeure d’une utilité sociale inégalée dans le combat contre cette nébuleuse se réclamant de l’islam “tout en gangrenant ses fondements”.
En prenant le soin de toujours préciser le contexte d’une définition, l’auteure affûte ses arguments et offre au lecteur des clés essentielles pour bien comprendre les enjeux. “Tous les substantifs et syntagmes de ce dictionnaire (…) font l’objet d’une définition originelle avant d’être présentés par le prisme de leurs acceptions islamistes”. Cette approche méthodologique permet de parfaitement cerner le propos, définir ce dont il est question. Il faut préciser qu’Amélie Myriam Chelly est avant tout une éminente spécialiste des islamismes, qui a soutenu sa thèse à “l’École des Hautes Études en Sciences Sociales” (EHESS) sous la direction de Farhad Khosrokhavar – autre figure intellectuelle majeure – dont la définition de la radicalisation a été retenue par le Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR) et l’ensemble de pouvoirs publics chargés de la lutte contre le terrorisme et la radicalisation.
La façon dont le “Dictionnaire des islamismes” est construit, permet de bien saisir la terminologie et le vocabulaire employés par les mouvances islamistes. Le lecteur néophyte y apprendra, par exemple, qu’au sein du groupe État islamique, la “bay’a” (à savoir l’allégeance à l’émir, ou au calife dans le cas de Daech) “du combattant sur zone a quasiment valeur de crime rituel initiatique à la façon des gangs, puisqu’en lui prêtant allégeance, l’émir exige pour première preuve de fidélité la commission d’une exaction criminelle. Ce point aura été (…) pris en considération par certains pays européens dans le cadre de la judiciarisation des dossiers des revenants”. Il découvrira encore que l’exhortation coranique “Al Amr bil Ma’rouf wan Nahyi anil Mounkar” (généralement traduite “ordonnez le Bien et interdisez le Mal”) est lue par les islamistes comme un appel à la lutte guerrière.” Les postures fréristes et plus largement salafistes djihadistes donnent une lecture éminemment politique de ce verset qui peut être guerrière (lutter physiquement contre ceux qui instillent le Mal)”. Dans le chiisme duodécimain, cette exhortation a également une importance, comme en Iran où “ce verset constitue la justification théologique de l’existence et de l’action de la police des mœurs”. L’ensemble de l’œuvre regorge d’exemples, de précisions, d’anecdotes, de références scientifiques qui rendent la lecture aussi agréable que fascinante.
Amélie Myriam Chelly signe, avec son “Dictionnaire des islamismes”, une œuvre magistrale qui transcende le seul champ des sciences sociales. Plus qu’une grille de lecture des islamismes, elle propose un outil de détection des signaux faibles de radicalisation qui sera aussi précieux pour les universitaires que pour les services de police ou de renseignement spécialisés dans la lutte contre le terrorisme, les magistrats, les journalistes, les professionnels de l’action sociale ou les lecteurs avides de comprendre. Nous lui devons un “merci ” pour cette œuvre éclairée qui aveuglera les obscurantistes.
Florian BENOIT
articles@marenostrum.pm
Chelly, Amélie-Myriam, “Dictionnaire des islamismes : pour une compréhension de la terminologie et de la rhétorique employées par les mouvances des islams idéologiques”, Le Cerf, 18/11/2021, 1 vol. (596 p.), 30€
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