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“Géopolitique et cinéma” de Maxime Didat, sujet original et d’actualité, montre que le grand écran, d’apparence ludique, délivre un message politique sur la grandeur et la culture d’un pays, essentiellement les E.-U. qui, comme le précise Serge Sur dans sa préface, étendent leur domination mondiale par le cinéma. Hollywood, melting-pot du cinéma, est une industrie qui a converti ses dollars en valeurs morales et a transformé la machine à rêve en outil de propagande. La Mecque du cinéma, tout au long de son Histoire, justifie la défense et l’extension de son territoire par la violence guerrière – les armes faisant partie de ses traditions et identités – qui symbolise la lutte du Bien contre le Mal. Tous les hommes politiques le savent et ce n’est pas un hasard si l’auteur débute son introduction par la censure du cinéma et de l’information. Dès 1922, Lénine proclame que le cinéma est l’art le plus important et en fait un média de propagande des foules qui, majoritairement illettrées, peuvent comprendre les idées politiques des images. 90 ans plus tard, l’acteur Sacha Baron Cohen voit le film “The Dictator” (2012) interdit dans des ex-républiques soviétiques et des pays autoritaires se pensant visés (“Le dictateur” (C. Chaplin, 1940) fut aussi interdit en Allemagne, Italie et Espagne). L’ouvrage est divisé en deux parties : la première, généraliste, décrit le cinéma comme outil économique et culturel et instrument politique ; la deuxième, typologique, définit différents domaines de la géopolitique américaine.

La géopolitique est la vision du monde par une Nation. Au cinéma, elle rend compte des enjeux du pouvoir sur les territoires et les images. Dans “Jamais, plus jamais” (I. Kershner, 1983), James Bond affronte Largo dans un jeu vidéo dont le but est d’accumuler des territoires pour dominer le monde ; dans “L’improbable président” (O. Stone, 2008), les membres du cabinet présidentiel débattent de l’opportunité d’attaquer Saddam Hussein. La “pop culture” – née des livres, de la bande dessinée, des films, de la musique, des médias – imprègne chaque citoyen qui, Monsieur Jourdain contemporain, fait tous les jours de la géopolitique sans le savoir. Le cinéma, par son pouvoir économique et idéologique, est une arme redoutable. La Chine restreint les blockbusters américains avec des quotas de films étrangers (38 en 2019). Les nombreuses coproductions sino-américaines, facilitant la distribution en Chine, ne doivent pas froisser le gouvernement. “Kundu” (1977) des studios Disney, qui rendait hommage au Dalaï-Lama, faillit faire interdire en Chine l’ensemble du catalogue filmique et le parc à thèmes de Shanghai. “Skyfall” (S. Mendes, 2012) est remanié pour la Chine quand un agent de sécurité chinois est abattu par un tueur à gage. Dans “Docteur Strange” (S. Derrickson, 2016), l’Ancien, un Tibétain dans le “comic” original, devient une Britannique. Dans “Iron Man 3” (S. Black, 2013), une scène, spécialement ajoutée, vante une boisson chinoise et montre que les médecins chinois réparent Tony Stark. Cette stratégie d’accommodements permet aux films américains d’être plus diffusés en Chine. La mondialisation du cinéma étasunien s’explique aussi par le fait que les E.-U., Etat-Continent, sont un Monde miniature et une Nation universelle multipliant leurs stratégies pour imposer leur “leadership”. Les stratégies sont d’abord économiques. Les cinq principales “Majors” (Disney, Paramount, Sony, Universal et Warner Bros), réunies en Motion Picture Export Association (MPEA, rebaptisée MPA ou Motion Picture Association), se sont lancées dans la conquête des marchés extérieurs. Elles forment un redoutable Front financier, qui, par son importance, est à la fois une agence quasi gouvernementale, un lobby et le bras politique des studios. Les stratégies sont ensuite culturelles. Les E.-U. sont la démocratie contre l’adversaire communiste et terroriste. La Chine montre la grandeur de son histoire et de sa culture, suggérant que les valeurs occidentales ne sont pas universelles. Ses films rivalisent avec les productions “mainstream US” mais ne visent pas encore le marché mondial. L’Inde, aux valeurs nationales non compatibles avec toutes les cultures, est populaire en Asie, au Maghreb et en Afrique, pour son absence de sexe et de violence. Pour conquérir les marchés extérieurs, le cinéma US s’est initié au “soft power” qui, évitant coercition et guerre onéreuse, rend une culture attrayante à l’étranger. C’est un “american way of life” qui exporte un modèle de société qui devient un facteur de légitimation politique. Certains Etats contestent cet impérialisme “yankee”, y voyant un “hard power” qui attaque leur identité : l’Algérie et l’Egypte interdirent des films aux acteurs pro-israéliens. Retour de bâton, le post-colonialisme et la “cancel culture” multiplient les reproches. Hollywood est accusé d’approximations culturelles et de représentations simplistes, sexistes et caricaturales, et d’être une “industrie de Blancs” : “Vaiana” (R. Clements et J. Musker, 2016), “Mulan” (N. Caro, 2020).

La seconde partie, exclusivement américaine, montre comment le cinéma US exhibe sa puissance nationale, écrase ses ennemis et adversaires, glorifie ses hauts faits de gloire sans cacher ses déboires. Pour montrer leur puissance, les E.-U. défendent d’abord leurs grands mythes fondateurs : la Frontière, inhérente à la construction du pays, est un espace inconnu et hostile, peuplé d’ennemis : “Rambo 2, la mission”, G. P. Cosmatos, 1985 ; “Avatar”, J. Cameron, 2009 ; “Seul sur Mars”, R. Scott, 2015. La Cité sur la colline ou la Nouvelle Jérusalem et la Destinée manifeste font des E.-U. la Nation élue qui doit guider le Monde (“Le jour d’après”, R. Emmerich, 2004) ; “World War Z”, M. Forster, 2013) et qui ne peut être attaquée sans un châtiment divin et une réponse adéquate (“L’enfer du devoir”, W. Friedkin, 2000 ; “Pearl Harbour”, M. Bay, 2001). Ensuite, l’Autre, combattu, ne peut être que le méchant : l’Indien (“La chevauchée fantastique”, J. Ford, 1939), le Japonais (“Pearl Harbour” précité), l’Allemand (“Les enfants d’Hitler”, E. Dmytryk, 1943), le Communiste rouge (“Docteur folamour”, S. Kubrick, 1964), le Musulman terroriste (“Retour vers le futur”, R. Zemeckis, 1985), le narcotrafiquant (“La mule”, C. Eastwood, 2018). Enfin, toute l’histoire des E.-U. au cinéma est un catalogue de guerres incarnant le Bien contre le Mal : guerres de Corée, du Vietnam, du Golfe, de Bosnie, d’Afghanistan, d’Irak… La liste, tant des pays que des films, est longue.

Une bibliographie bilingue conséquente (en anglais et en français), une filmographie sélective (dans un utile tableau synoptique précisant les thématiques) et une table des matières ferment l’ensemble. Pour conclure, il faut avouer que la couverture est assez laide mais, cependant, hautement symbolique : la statue de la Liberté dissimule un Rambo rageur et impitoyable qui défend, sur un sol juché de drapeaux nationaux, le cinéma américain à innombrables coups de fusil-mitrailleur, et qui ne laisse aucune chance à l’ennemi. Ce “Géopolitique et cinéma” est un passionnant ouvrage à charge et décharge d’un omnipotent 7° Art étasunien ne reculant devant rien pour s’imposer mondialement.

Albert MONTAGNE
articles@marenostrum.pm

Didat, Maxime, “Géopolitique et cinéma : image(s) de la puissance, puissance des images”, L’Harmattan, “Champs visuels”, 02/09/2021, 1 vol. (212 p.), 22,50€

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