L’évocation de quelques héros anonymes au pays d’un Islam dévoyé.
En 2014, Daech acronyme arabe de ce que l’on désigne alors en France par “État Islamique”, instaure dans les régions d’Irak et de Syrie qu’il contrôle ce “califat” dont le programme politique tient en une phrase : instauration de la charia et éradication de tout ce qui n’est pas strictement conforme à la conception qu’ont son chef Abu Bakr Al-Baghdadi et ses séides, de l’Islam des origines.
Aussitôt, l’horreur, la terreur et une extrême violence s’abattent sur toutes les populations dont les traditions, les mœurs ou la religion sont jugées incompatibles avec les valeurs et le fonctionnement de l’EI. Kurdes, Turkmènes, chiites, chrétiens, juifs vont dès lors être systématiquement persécutés. Et parmi ces “ennemis de l’Islam”, il y a les Yazidis, disciples d’une religion préislamique vomie avec une particulière virulence par les Daech car ils voient les adeptes de cette très ancienne religion monothéiste, dite “des sept anges”, comme des sectateurs de Satan.
Cela suffira à justifier les pires exactions dirigées contre eux : massacres, enlèvements – avec une prédilection particulière pour les femmes, destinées à devenir les esclaves, notamment sexuelles, des seigneurs de la guerre djihadistes et pour les enfants, appelés pour leur part, après avoir subi un lavage de cerveau en règle, à être utilisés comme des armes de guerre, kamikazes, et éventuellement même contre leur propre communauté.
Sans emphase, de manière presque clinique, le livre décrit ces innombrables crimes : lapidations, exécutions par le feu, membres écrasés par des véhicules, massacres en tous genres, parfois individuels, parfois collectifs, jusqu’à en donner la nausée. On en vient à penser que celles et ceux qui ont “seulement” été réduits en esclavage ont presque eu de la chance !
Mais dans ce chaos organisé par des monstres qui n’ont plus d’humain que l’apparence, quelques personnes révoltées par ces événements se lèvent et risquent leur propre vie pour sauver les Yazidis du génocide ethnoculturel qu’ils subissent. Ces personnes sont souvent elles-mêmes Yazidis, bien sûr, mais aussi kurdes, turkmènes, arabes et même parfois ex-Daesh écœurés par le spectacle de cette violence indicible.
Des réseaux de passeurs se mettent en place. Agissent. Sauvent des vies. Perdent parfois la leur. On croise dans le livre de nombreux personnages qui vont à l’extrême de ce que l’on peut imaginer de risquer pour sauver la vie d’autrui. Parfois, les motivations ne sont pas purement humanistes : l’argent entre aussi en ligne de compte. Mais peu importe, car pour celui qui contribue à l’exfiltration d’esclaves yazidis, les conséquences sont les mêmes en cas d’échec : la mort immédiate.
Grâce à l’intervention de ces réseaux et grâce aussi bien sûr à la destruction progressive par les armées coalisées de cet État-enfer islamique, des milliers de Yazidis seront sauvés, jusqu’en 2019 et la chute des derniers bastions de Daesh.
C’est le grand mérite de ce livre, admirablement servi par une préface de Beate et Serge Klarsfeld, de rappeler ces funestes événements. Comme le disait très justement Gunter Grass dans son hommage au grand écrivain turc d’origine kurde Yasar Kemal, “nous sommes tous les témoins passifs d’une barbarie sans cesse renouvelée”, tout doit être mis en œuvre pour garder la mémoire de cette barbarie, dans l’espoir qu’elle ne se renouvelle plus.
Guillaume Sanchez
contact@marenostrum.pm
“Les larmes du passeur : au cœur des missions pour sauver les esclaves yazidis”, sous la direction de Patrick Desbois, avec la collaboration de Costel Nastasie, préface de Beate et Serge Klarsfeld, Rocher, 14/10/2020, Disponible, 1 vol. (185 p.-10 pl.), 17,90€.
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L’auteur
Spécialisé dans l’étude de la “Shoah par balles”, le père Patrick Desbois a documenté le génocide yazidi par Daech dès 2015. Il a interrogé, avec son organisation “Yahad in Unum”, plus de 380 témoins yazidis récemment libérés et a créé quatre centres de réintégration dans les camps de réfugiés. Docteur honoris causa de plusieurs universités, professeur à l’université de Georgetown (Washington D.C.), il est l’auteur de Porteur de mémoires. “ ” (Michel Lafon, 2007 ; Champs Histoire Flammarion, 2009), “ ”(avec Costel Nastasie, Fayard, 2016) et “ ” (Plon, 2019).
Costel Nastasie, descendant de déportés roms, président de l’association Roma Dignity, dirige les recherches sur le génocide des Roms pendant la Seconde Guerre mondiale et coordonne, avec 18 Yazidis, l’ensemble des activités de Yahad in Unum au Moyen-Orient.
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