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Patrick Roegiers, Nouvelle Vague, roman, Grasset & Fasquelle, mai 2023, 432 p., 24€.

La Nouvelle Vague est un tsunami du cinéma français des années 1950 où de jeunes critiques des Cahiers du Cinéma éreintent les vieux cinéastes académiques pour enfanter a contrario un cinéma anticonformiste. Période de mutations étudiée par les historiens et universitaires du cinéma, c’est désormais un roman qui aborde de façon littéraire ce mouvement en apportant derechef un souffle nouveau. L’auteur, Patrick Roegiers, Belge de naissance et Français depuis 2017, a été directeur de théâtre, metteur en scène, comédien, critique littéraire et photographique. Auteur de plus d’une soixantaine d’essais et de romans, notamment de poèmes, de théâtre et d’ouvrages photographiques dont “Le visage regardé” ou “Lewis Carroll, dessinateur et photographe” (Créatis, 1982), il a publié, pour ne citer que les Éditions Grasset : “Le Bonheur des Belges” (2012), “La Traversée des plaisirs” (2014), “L’Autre Simenon” (2015), “Le Roi, Duck Donald et les vacances du dessinateur” (2018), “La Vie de famille” (2020), “Ma Vie d’écrivain” (2021).

Nouvelle Vague et Ciné Roman

Nouvelle Vague est, au sens propre et figuré, le Ciné Roman d’un passionné d’images, fixes et mouvantes, qui dévore les petits et grands écrans et les revues spécialisées du cinéma, qui couche sur le papier son amour du 7^(e) Art et qui dévoile les coulisses d’un regard oublié. On croyait connaître cette histoire, l’auteur la présente sous un jour nouveau, toujours divertissant et instructif, et la rend plus vraie que nature, mélangeant le réel et le fictif (dialogues imaginés) en un cocktail surprenant de (bons) mots et d’images (belles). L’ouvrage est découpé en 24 chapitres, 24 images/secondes, 24 heures dans une journée, multipliant les plans, les coupes, les travellings et les dialogues. Il fourmille de détails attestant un souci de précision et de perfection, des recherches incessantes et une soif des chiffres qui étonnent : Les Cahiers du Cinéma au 146, avenue des Champs Élysées ; l’IDHEC au 92 ; Curd Jürgens, 1 mètre 92 ; Maurice Ronet, 1 mètre 80 ; Jean-Paul Belmondo, 1 m 79 ; Jean-Louis Trintignant et JLG, 1 mètre 72 ; Louis Malle, 1 mètre 68 ; Agnès Varda, 1 mètre 50.

Les films de la Nouvelle Vague

L’auteur analyse de nombreux films, apportant moult anecdotes. Photo de la bande du livre oblige, “A bout de souffle” (1960) de JLG, dont le scénario tient en trois lignes : “Un type est amoureux d’une fille. Près de la gare Saint Lazare, il vole une voiture pour la retrouver et tue un flic. Et puis, …on verra bien”, offre un petit rôle au cinéaste Jean-Pierre Melville et un grand rôle à Jean Seberg, très photogénique et désirable – épaules : 40, taille : 61, poitrine : 85, 1 m 56 – et à J.-P. Belmondo, “affreusement beau”, qui improvise et interprète à merveille un médiocre petit gangster qui ne manque pas d’air mais qui est à bout de souffle. “La traversée de Paris” (1956) de Claude Autant-Lara (dont les rôles de Jean Gabin et de Bourvil étaient à l’origine destinés à Yves Montand et à Bernard Blier), où les “salauds de pauvres” sont lâches, moches et omniprésents, est un très bon film selon Claude Chabrol. Allusion codée aux rendez-vous galants fixés de “5 à 7”, “Cléo de 5 à 7” (1962) d’Agnès Varda (son vrai prénom est Arlette, car conçue à Arles) est à la fois un documentaire et une carte postale vivante sur Paris : Cléo, craignant un cancer, doit attendre deux heures pour obtenir les résultats d’examens et accompagne son amie Dorothée qui pose nue dans un atelier de sculpture, émouvant pléthore de jeunes spectateurs. “Et Dieu créa la femme” (1956) de Roger Vadim lance la bombe sensuelle BB qui a réponse à tout : “- Quel fut votre premier cachet ? – Un cachet d’aspirine ! – Quel fut le plus beau jour de votre vie ? – Une nuit”. “Baisers volés” (1968) de François Truffaut, film qui faillit ne jamais être tourné tant le script était faible, voit JP. Léaud, son sosie de fiction et son double de cinéma de moitié d’âge (14 ans contre 27), dans la fameuse scène de la réserve du magasin de chaussures : Antoine Doinel, du haut d’une échelle, a la vision magique d’une belle cliente – Delphine Seyrig au faîte de sa carrière – essayer des chaussures et rêve à une Cendrillon en quête d’un Prince charmant… Signalons que l’auteur étudie “Garçon !” (1983), “Les choses de la vie” (1970) de Claude Sautet, cinéaste qui n’appartient pas à la Nouvelle Vague mais qui fait partie de son top des réalisateurs.

Un Who’s Who’s du cinéma

De fait, Nouvelle Vague est un incroyable Who’s Who’s des célébrités du cinéma français avec ses réalisateurs : Jean-Luc Godard, François Truffaut, Claude Chabrol, Jacques Rivette, Éric Rohmer, Agnès Varda, Louis Malle, Alain Resnais…, ses acteurs : Fabrice Luchini, Yves Montand, Corinne Marchand, Stéphane Audran, Sabine Azéma, Agnès Jaoui, Jeanne Moreau, Jean-Pierre Bacri, André Dussollier, Jean-Claude Brialy, Michel Piccoli, Michel Londasle, Michel Bouquet…, ses producteurs, scénaristes et musiciens : Georges de Beauregard, Pierre Braunberger, Jean-Loup Dabadie, Michel Legrand.., mais aussi ses théoriciens, critiques, chroniqueurs et historiens du cinéma : Antoine de Baecque, Serge Toubiana, Michel Boujut, Alain Bergala, Serge Daney, Robert Benayoun, Jean-Luc Douin, Noël Herp, Jean-Louis Leutrat…
Patrick Roegiers, toujours en action avec ce Ciné Roman novateur, passionnant et documenté, à l’atmosphère particulière d’un film de Robert Altman, réalisateur étasunien qui a le talent unique de faire jouer des dizaines d’acteurs dans un même film tout en captivant le spectateur, arrive à séduire le lecteur, qu’il soit amateur de cinéma ou de littérature. Son livre érudit et cinéphile a sa place dans les chroniques des revues spécialisées du cinéma : “Positif”, “Jeune Cinéma”,… “Les Cahiers du Cinéma”. Pour conclure, je citerai tout simplement l’auteur : “Fondu enchaîné. Léger flou. FIN”.

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Chroniqueur : Albert Montagne

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