L’historien et académicien Fernand Braudel (1902-1985) a construit la majeure partie de son œuvre autour de l’espace méditerranéen. Ses thèses, qui méritent d’être redécouvertes, restent plus que jamais d’actualité.
En 1946, la Méditerranée est à l’honneur, puisqu’elle est, pour la première fois, le sujet principal d’une thèse d’histoire soutenue par Fernand Braudel. Pourtant, à l’origine, c’est le fils de l’empereur Charles Quint, Philippe II qui devait tenir la vedette de ce travail universitaire. Alors, comment la “mer Intérieure” a-t-elle détrôné un personnage aussi puissant que le roi d’Espagne ?
Fernand Braudel, originaire de la Meuse, commence à s’intéresser à la Méditerranée dans les années 1920, alors qu’il enseigne l’histoire en Algérie. Il commence ses travaux de recherche en 1923 et parcourt de longues distances pour consulter les archives. Mais en 1935, il décide d’inverser le sujet et de faire de l’espace géographique le “personnage” principal de son étude. Engagé dans le second conflit mondial, il est fait prisonnier quelques jours après l’armistice de juin 1940. C’est d’ailleurs lors de sa détention à Mayence puis à Lübeck, qu’il finit la rédaction de sa thèse, utilisant son incroyable mémoire.
Ce projet monumental prend racine dans un contexte de renouvellement de la discipline historique dans la première moitié du XXe siècle. Braudel se pose, en effet, à contre-courant de l’histoire académique événementielle à l’instar des fondateurs de la revue des Annales (1929) Marc Bloch et Lucien Febvre. Selon cette école, il faut cesser de dissocier les sciences humaines mais aussi envisager l’histoire à travers la “longue durée”, celle de la géologie, des évolutions climatiques et des civilisations.
En 1977, c’est dans une édition adaptée pour le grand public, qu’il exprime sa démarche et sa fascination pour la Méditerranée. L’historien présente, dans une fresque couvrant dix millénaires, les lentes évolutions et les permanences de l’espace méditerranéen. Dans un récit poétique, empruntant à diverses sciences humaines, la Méditerranée est présentée comme un système majeur, le premier centre du monde économique et culturel jusqu’au XVIe siècle. Mais pour accéder à cette suprématie, les sociétés méditerranéennes durent s’adapter et maîtriser progressivement un paysage maritime et terrestre hostile. Dès lors, la Méditerranée put devenir le berceau de grandes civilisations, cette “mosaïque de toutes les couleurs”, si proches, malgré leurs rivalités incessantes, au point de former une culture cosmopolite, un “extraordinaire pot-pourri”.
Car “La Méditerranée” relate avant tout l’histoire de nos origines et de notre présent. Nous comprenons mieux les enjeux contemporains de cet espace, à la lumière de plusieurs millénaires de circulations, d’échanges et de conflits. L’ouvrage répond, en effet, à des problématiques actuelles comme celle des sociétés traditionnelles qui doivent s’adapter à la mondialisation ou bien celle plus inquiétante, de la préservation des ressources naturelles menacées par la pollution et le réchauffement climatique. L’histoire de la longue durée permet à l’auteur de jouer avec le temps. Il fait à ce titre un audacieux parallèle entre l’instauration de la Pax Romana et la construction européenne.
Les lecteurs ne remercieront jamais assez Fernand Braudel de les avoir conduits sur les rivages de la Méditerranée car “la mer, telle qu’on peut la voir et l’aimer, est sur son passé le plus étonnant, le plus clair de tous les témoignages”.
Marine MOULINS
contact@marenostrum.pm
« La Méditerranée », sous la direction de Fernand Braudel, Flammarion, « Champs. Histoire », 04/10/2017, Disponible, 1 vol. (370 p.), 10,00€.
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