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Alexis Lacroix, La république assassinée : Weimar 1922, Éditions du Cerf, 19/05/2022, 15€.

À la dislocation de l’Empire Austro-Hongrois, après la défaite de 1918, « le Prater de Vienne est délaissé pour le Tiergarten de Berlin ». Car Berlin devient la plus vaste capitale du monde après l’absorption de nombreux villages alentour et par là même, le centre de gravité de « l’espace germanique ». Ce sont ici aussi « les Années folles », moments de vertiges en tous genres : scènes artistiques trépidantes, fêtes, théâtre, cinéma, créations tous azimuts… on assiste à « la ronde tournoyante des ambitions et des volitions ». Tout ce qui pense, tout ce qui innove se produit à Berlin d’une manière ininterrompue : Alban Berg (1885-1935), Richard Strauss (1864-1949), Erwin Piscator (1893-1966), Paul Hindemith (1893-1963), Igor Stravinski (1882-1971)… sont mis en vedettes. Sébastian Haffner (1907-1999) dans son Histoire d’un Allemand nous décrit cette  « Métropolis sans temps morts ni entractes » et la voit s’ériger en « centre nerveux de l’avant-gardisme expressionniste » avec sa grande prêtresse Elsa Lasker-Schüler(1869-1945). Les cubistes français, les futuristes italiens, les constructivistes russes s’y côtoient. Mais si Berlin est, à cette époque, un creuset à l’avant-garde de la vie intellectuelle et artistique, de nombreux nuages pointent à l’horizon et la marche vers l’abîme, vers le national-socialisme s’enclenche inexorablement.

L’assassinat pour méthode d’opposition

Le 29 octobre 1918 une insurrection éclate, suivie le 7 novembre de l’abdication de l’Empereur Guillaume II (1869-1941). La république est proclamée le 9 novembre 1918, soit 2 jours avant la fin de la guerre. Le commandement suprême de l’armée (Oberste Heeresleitung : OHL) dirigeait le pays depuis 1916. Le 11 novembre, il n’est plus au pouvoir, ce sont donc des civils avec Mathias Erzberger (1875-1921), représentant plénipotentiaire du gouvernement allemand, qui négocient l’armistice. Ce qui permet au maréchal Hindenburg de déjà alimenter la thèse du « coup de poignard dans le dos » porté aux militaires par les civils.
Les assassinats politiques se multiplient à partir de l’institution de la république le 9 novembre 1918. On peut citer ceux de Rosa Luxembourg (1871-1919) et Karl Liebknecht (1871-1919), tous deux fondateurs de la Ligue spartakiste en août 1914, puis du Parti communiste allemand (KPD) en décembre 1918. Ils sont arrêtés puis assassinés le 15 janvier 1919 par un groupe d’officiers soutenus par les corps francs d’extrême droite : les Freikorps. De même Kurt Eisner (1867-1919) chef du gouvernement provisoire assassiné 21 février 1919. Mathias Erzberger sera lui-même assassiné le 26 août 1921
Emil Julius Gumbel (1891-1966), mathématicien spécialiste des statistiques appliquées aux phénomènes naturels) recense, dans les trois années qui ont précédé l’assassinat de Walter Rathenau, 376 crimes politiques dont 95% sont d’origine d’extrême droite.

Le centenaire de l’assassinat de Walter Rathenau

C’est le 24 juin 1922 que Walter Rathenau est assassiné par un groupuscule d’extrême droite, l’Organisation Consul, pour qui il était insupportable qu’un juif puisse être ministre des Affaires étrangères. Outre le juif, ses assassins ont voulu éliminer celui qui, a leurs yeux, représentait « l’impuissance » et « la résignation » face à l’intransigeance du traité de Versailles.
Tout de suite Stefan Zweig (1881-1942) voit que « cette pestilence des pestilences, le nationalisme a empoisonné la fleur de notre culture européenne » et il parle de cet assassinat comme « l’épisode tragique qui marque le début du malheur de l’Allemagne, du malheur de l’Europe ».
C’est donc est à l’occasion du centenaire de cet assassinat, qu’Alexis Lacroix a publié aux éditions du Cerf un essai retraçant cet épisode historique et le cheminement qui a abouti, dix ans plus tard à la prise du pouvoir par Adolf Hitler.
Alexis Lacroix enseigne les Lettres Modernes à l’Université catholique de Lille, il est également journaliste, directeur de l’hebdo Actualités juives, directeur des rédactions des radios Judaïque FM et Radio J. Il a signé avec Pierre Nora et Benjamin Stora, Mémoires coloniales chez Bayard et avec Régis Debray et Benjamin Stora, Penser les frontières également chez Bayard. Il est en outre germaniste et historien des idées.
Son travail historique sur la République de Weimar nous raconte cet épisode vertigineux où la république est morte assassinée par manque de républicains, car l’Allemagne de l’époque préférait la dictature à la démocratie. Alexis Lacroix nous montre par quels cheminements violents, insensés, les dix années qui suivent l’assassinat de Walter Rathenau voient les Allemands « rejeter la liberté, mépriser l’État de droit, appeler de leurs vœux la dictature ».
Pour éclairer son discours, l’auteur s’appuie sur le regard et le sentiment des écrivains et philosophes de l’époque. Nous retrouvons Thomas Man (1875-1955), Raymond Aron (1905-1983), Joseph Roth (1894-1939), Ernst Cassirer (1874-1945), Stefan Zweig (1881-1942)… L’esprit éclairé de ces grands hommes a vu et pressenti très tôt la descente au fond de l’abîme et l’effondrement de la civilisation européenne dans la barbarie.

Cet essai écrit de très belle manière, où l’on apprend beaucoup au sujet de cet épisode déterminant de notre histoire contemporaine, est aussi une mise en garde : les mêmes causes pourraient bien produire les mêmes effets. Merci à Alexis Lacroix pour son livre très synthétique. Il est indispensable par les temps qui courent.

Chroniqueur : Dominique Verron

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