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Joachim Daniel Dupuis, Les zombies au cinéma, Dead’s ZoneEditions L’Harmattan, Coll. Quelle drôle d’époque !, Août 2022, 86 p, 12 €.

Les zombies au cinéma” (notons que le livre alterne les écritures de zombi et de zombie) est un petit livret de 80 pages qui s’attaque à un sujet dystopique et fantastique qui a généré une littérature surabondante, le sous-titre Dead’s Zone référant à la Dead Zone, Zone morte sans vie transformée en Zone de morts-vivants (à ne pas confondre avec Dead Zone, film américain de David Cronenberg de 1983). L’opus est divisé en deux parties : D’un zombi à l’autre, version longue d’un texte proposé au colloque Philosophies européennes et décolonisation de la pensée à l’université Jean Jaures de Toulouse en août 2016, et Biopolitique du zombie, reprise d’un article publié dans Contretemps, Revue de critique communiste en févier 2021. L’Avant-propos au titre ludique, Zoom-bie, fait un zoom sur le zombi.

Qu’est-ce qu’un zombi au cinéma ?  Deux domaines le définissent : l’anthropologie aux personnes victimes d’un sort vaudou et le cinéma aux morts-vivants agressifs. Joachim Daniel Dupuis, philosophe, déjà auteur d’un George A. Romero et les zombies, Autopsie d’un mort-vivant (L’Harmattan, 2014), apporte une troisième approche, philosophique et conceptuelle, celle de la mort-vivantitude. L’enjeu est de montrer “la nécessité d’un retour aux zombies du cinéma, comme préalable méthodologique pour construire une pensée complexe”. Le zombi au cinéma a été tellement filmé qu’il a perdu ses essences et âme, et – comble de l’horreur – a été dépossédé (de) lui-même. L’auteur le recadre et le (re)(dé)finit avec deux films : White zombie (Les Morts-vivants, 1932) de Victor Halperin, où une femme est privée vivante de toute volonté et soumise à un envouteur blanc, et La nuit des morts-vivants (Night of the Living Dead, 1968) de George R. Romero, où des morts, fraichement décédés et réveillés, terrorisent et mangent les vivants (signalons que le film fut ixifié en France pour violence). Si le zombi au cinéma est un cadavre qui revit, on pourrait inclure Lola (1914) de James Young, où un scientifique redonne vie à sa fille morte dans un accident de voiture grâce à une machine électrique, et Frankenstein (1931) de James Whale, où la Créature faite de morceaux de cadavres reprend vie grâce à un docteur fou se prenant pour Dieu.

D’un zombi(e) à l’autre ou le mythe du zombi au cinéma

Le zombi peut être politique (cf. Jean-Baptiste Thoret (dir.), Politique des Zombies, l’Amérique selon George A. Romero, Ellipses, 2007) et symboliser une Amérique déliquescente. Il peut être philosophique (cf. Maxime Coulombe, Petite philosophie du zombie : ou comment penser par l’horreur (la nature humaine), PUF, 2012) et symboliser l’homme refoulé, pris(onnier) dans ses angoisses et pressé d’en finir. Dans White Zombie, la zombification n’est pas faite par empoisonnement ou envoutement mais par l’hypnose (regards, gestes et passes qui captivent et emprisonnent l’esprit) qui assure un contrôle mental et physique. L’envouteur, magnétiseur, sorcier ou bokor blanc, est un vampire qui est d’ailleurs un mort-vivant. Ce n’est pas un hasard si le rôle est confié à Bela Lugosi – le Dracula (1931) de Tod Browning – qui arbore sa cape ou aile vampirisante et met sous sa coupe ses victimes regardées et mordues. Les ouvriers de Métropolis (1927) de Fritz Lang sont des zombis, morts vivants qui vivent sous terre et se tuent à la tâche, saignés à mort par leur patron, vampire meurtrier et rapace qui symbolise le capitalisme à outrance. L’exploitation trouve sa force dans le zombi noir et esclave et le colonialiste blanc et tueur de I walked with a zombie (Vaudou, 1943) de Jacques Tourneur. Le zombi romérien opère deux mutations. Les morts perturbent l’ordre établi : ils ne sont pas liés au cimetière, le territoire de la Mort, mais libérés et disséminés sur toute la surface de la Terre, sont actifs et mortifères. Les morts perturbent les vivants qui doivent se défendre pour survivre. Trois gestes caractérisent le zombi : le déplacement lent et saccadé car le mort-vivant est un cadavre ambulant ; si marcher est difficile pour lui, il ne marche pas normalement ni ne court, il est un être claudiquant que rien n’arrête car il est infatigable. S’y ajoutent le démembrement et l’ingurgitation, deux gestes monstrueux qui font penser que le zombi est cannibale, il n’en est rien même si Romero a d’abord intitulé son film La nuit des mangeurs de chair. Dans le film, un zombi mange un insecte, il est un mangeur de chair animale, un carnassier ou biophage : toute chair est bonne à prendre, manger lui permet d’être. Mort qui mord le vivant à pleines dents, il a perdu ce qui fait de lui un homme, sa conscience. Il faut noter la surprenante fin du film où Ben, le héros noir qui a réussi à survivre à toutes les attaques zombies, est exécuté ex abrupto d’une balle dans la tête par des hommes blancs venus avec leurs chiens et jeté dans un bûcher avec d’autres cadavres. Cette mort surprenante et expéditive rappelle le sort que le KKK réservait aux esclaves noirs en fuite dans The Birth of a Nation (1915) de D. W. Griffith. Le Noir ou zombie est la métaphore de l’esclave tué à la tâche et devenu un fuyard dangereux, transformé en virus mortel qu’il faut éradiquer le plus vite possible pour éviter toute propagation. 

Biopolitique du zombi(e) ou la démocratie malade

Le zombi romérien incarne tant le travailleur esclave (symbole d’une réalité sociale) qu’une figure qui lui échappe, le plébéien ingouvernable contestant le capitalisme et la démocratie. Il évoque la guerre du Vietnam, le consumérisme, le terrorisme, la violence, les exclus (vagabonds, sans-papiers, migrants). Une approche biopolitique, hétérotopique selon la méthode d’analyse du pouvoir mise en place par Michel Foucault, fait de la démocratie une membrane qui enveloppe des populations dans des normes, les entourant et les protégeant dans des gangues, et qui exclut les autres, comme le ferait une cellule face à une cellule étrangère. Le zombi est donc une catégorie mortelle regroupant les esclaves, monstres et virus, qu’il faut extraire du corps social pour garantir sa survie. Le zombi classique – celui du vaudou – est la personne qui, sous l’effet d’un poison, offre l’apparence d’un mort, garde ses facultés mentales mais est possédée et sans volonté propre. Le neo-zombi (celui de la saga Résident Evil) est un être contaminé par un virus ou un prion et possédé par un organisme cellulaire. Ce zombi touche la biopolitique car il attaque et déchire la membrane sociale, la démocratie étant l’ensemble des vivants pacifiés, travaillant, s’amusant, mangeant et se sentant en sécurité. Le zombi, privé de conscience ou de valeurs pour un pays, est une puissance mobile de destruction sociale. Dans les films et les séries récentes, il est de plus en plus rapide et mordant, lié à de multiples genres existants : le cannibalisme (Zombie Holocaust (1980) de Marino Girolami), le porno (La nuit fantastique des morts-vivants (1980) de Joe d’Amato), l’écologie (Les raisins de la mort (1978) de Jean Rollin). Symbole de déshumanisation, il est un monstre et un dispositif de commotion. Le neo-zombie mute et devient difficile à déceler, il est plus furtif, intelligent, terrifiant, dangereux et incontrôlable. En conclusion, le zombi au cinéma incarne le travailleur esclave, l’exclu, la menace biologique. Il est indicateur de la santé des démocraties et des régimes autoritaires. Que pourrait nous réserver un Omega Zombi (référent au Le survivant (The Omega Man, 1971) de Boris Sagal) ? Cet opus est une bonne entrée en matière philosophique et politique au zombi au cinéma.

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Chroniqueur : Albert Montagne

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