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Cong Minh Vu, Les super-héros Marvel : un art du mythe, L’Harmattan, 24/08/2023, 1 vol. (165 p.), 19€.

C’est un ouvrage qui surprend d’emblée, car ne comprenant ni sommaire, ni table des matières, ni bibliographie, ni filmographie, ni index de noms propres ou communs. Les notes sont rares (une soixantaine pour l’ensemble), le livre, fort dense, est nonobstant docte et universitaire car issu d’une thèse : Les super-héros américains comme force symbolique. Étude d’un genre cinématographique contemporain (2016) ; concis, il est divisé en deux parties : Mythes et super-héros (27 pages) et La mythologie indo-européenne des Marvel (108 pages).

Les mythes et héros, les 9e et 7e arts

Le mythe, inhérent à une culture et à une civilisation, est le récit fondateur d’un peuple, d’une croyance religieuse. Dans la Grèce hellénique, on pense aux textes homériques et à la statuaire et aux dieux et héros tels Zeus et Ulysse. S’agissant des E.-U. au XXe, on passe à de nouvelles échelles et perspectives avec le 9e Art (la BD, non religieuse et sacrée), ses fidèles (un lectorat jeune) et ses super-héros (plus humains). Superman, le premier super-héros, apparaît dans Action Comic en 1938. Ce n’est pas un hasard s’il soulève une voiture car l’homme est plus fort que la machine. La voiture incarne pour l’Américain le pouvoir sexuel et offre d’infinies possibilités amoureuses couvertes : “Dans les années 1920, un juge d’Indiana a dénoncé la voiture comme une “maison close sur roues” en rapportant que, dans l’ensemble des femmes accusées de crime sexuel, les deux tiers ont été commis dans des voitures”. Superman levant une voiture (substitut phallique) affiche sa virilité. Avec la Seconde Guerre mondiale, les super-héros américains participent à l’effort de guerre et défendent la Liberté et la Justice, notamment Capitain America en 1941. Dans les années 1960, avec la Guerre froide, les super-héros perdent leurs lecteurs lassés d’une vision naïve et manichéenne. L’arrivée de nouveaux créateurs, les géniaux Stan Lee et Jack Kirby, enfante de nouveaux super-héros Marvel (Spiderman, Hulk, Iron Man) aux problématiques existentialistes et sociétales et fidélise de nouveaux et nombreux lecteurs. La télévision et le 7e Art mondialisent ces super-héros. Pour ma part, fan des revues Fantask, Strange, Titan, Nova, Futura, des albums Les quatre fantastiques, L’Araignée (Comics Marvel édités par Lug), je n’ai jamais retrouvé dans le cinéma la magie et la force de la bande dessinée (c’est tout le problème de l’adaptation des œuvres littéraires au cinéma). Ceux qui n’ont pas lu ces BD originelles n’ont pu qu’apprécier le support filmique sans comparer.

Les super-héros Marvel au cinéma

Le cinéma transforme radicalement les super-héros et le mythe devient mytho-logie“, tentative de donner une logique aux mythes. Fort d’un corpus de 23 films Marvel de la décennie 2008-2019, l’auteur étudie les super-héros selon la structure indo-européenne de Georges Dumézil (in Mythe et Épopée, Gallimard, 1995) divisée en trois fonctions : royale, guerrière et productive. La fonction royale combine politique et autorité et pose les problèmes de la reconnaissance de l’Occident et de la crise de la démocratie. Le super-héros, même doté de super pouvoirs, est mortel, comme le héros antique, et son humanité suggère la destruction mentale de celui qui doute (Iron Man) ou change de camp (Bucky transformé en Winter Soldier), le seul remède étant la maîtrise de soi. La fonction guerrière exalte le type herculéen avec Thor, dieu déchu et armé de son puissant marteau, Hulk, homme iridié qui, colérique, devient un monstre vert surpuissant, et Iron Man, homme d’affaires richissime et rusé, doté d’une armure ultra-high-tech qui le transforme profondément. La fonction productrice ou adjuvante se retrouve dans l’unification et la séparation de jumeaux/duos : Black Window (Natasha Roumanoff) et Hawkeye (Clint Barton), Wanda (la Sorcière rouge) et Pietro Maximo (Quicksilver). Le couple Ant-man et la Guêpe conclut ce panthéon des super-héros Marvel. Tous deux de petite taille suggèrent des rôles mineurs et des jeux mortels de cache-cache et de endgame où les super-héros sont toujours des enfants (comme les spectateurs ?).

Pour finir, la multiplication des super-héros relève d’un phénomène récent de la société étasunienne (les studios Marvel cinéma ont su puiser dans un domaine historique propre, créatif et infini, la BD, qui séduit un public adulte nourri des comics, et un public ado séduit par un univers fantastique). Leur filmographie s’inscrit dans la production de masse de l’industrie culturelle et dans une tentative de représenter le monde en créant un lien entre passé, présent et futur. Rachetés par les studios Disney (dont les parcs d’attractions étaient boudés par un public lassé des princesses, et donc en quête de nouveaux héros, dont ceux de Star Wars), les studios Marvel, grâce aux nouvelles technologies, ont su ressusciter l’univers mythique à travers de nouveaux super-héros, toujours plus nombreux, puissants et crédibles visuellement, qui remettent constamment en question les rapports humains sur le plan éthique, politique et esthétique. Si l’univers des super-héros est souvent relégué au rang de simple divertissement (cf Martin Scorsese et son aversion profonde pour un cinéma (pré-)fabriqué), ce livre, dense et cinéphile, apporte une vision positive et philosophique des super-héros, leur donnant leurs lettres de noblesse et de divinité.

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Chroniqueur : Albert Montagne

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