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Fernando Aramburu, Oiseaux de passage, roman traduit de l’espagnol par Claude Bleton, Actes Sud, 04/01/2023, 1 vol. (617 p.), 26 €.

Et si nous étions certains qu’il ne nous reste qu’une année à vivre. Et si nous savions que dans 365 jours exactement, notre passage sur cette terre touchera à sa fin. Que ferions-nous lors de cette année de sursitaire ? Quelles pensées nous traverseraient, quels regrets nous étreindraient, quels ultimes actes souhaiterions-nous léguer au Monde avant que de le quitter définitivement ? Qu’écririons-nous jour après jour de l’autoproclamée dernière année de nos vies ?

Toni est de ces rares êtres humains qui connaissent, à l’avance, la date de leur mort. Il jouit pour cela d’un avantage certains sur ses congénères, ayant lui-même fixé le jour où il mettra fin aux siens. Dans un an exactement donc, au bout d’une vie de quinquagénaire aigri et désireux d’en finir d’avec un monde qui lui échappe et le révulse. Pas d’autres motivations dans la programmation de ce suicide annoncé, pas de maladie incurable, pas de chagrin irréversible donnant l’envie d’en finir, pas d’embrigadement dans une quelconque secte ou école de pensée qui imposerait une fin proche. Non, si Toni veut en finir c’est simplement pour cesser de participer à ce jeu de dupes qu’est la vie selon lui, et de lutter dans un combat perdu d’avance, au cœur d’une société abêtie et courant à sa perte. Pour noircir le tableau, sa vie personnelle ne lui donne que peu de satisfaction, coincé qu’il est à l’écart d’une femme superbe dont il a dû divorcer, auprès d’un fils loin des standards de l’idéale progéniture et prisonnier d’un métier d’enseignant en philosophie qui ne lui procure plus aucune joie. Seuls son ami Patarsouille, sa chienne Pepa, sa poupée gonflable Tina et les martinets qui vont et viennent dans le ciel madrilène amènent un peu de bonheur dans la vie de notre héros. Ils sont aussi les rayons de soleil du carnet de bord qu’il a décidé de rédiger chaque jour d’ici l’issue fatale, qui lui permet de réfléchir sur son passé comme sur les vicissitudes sociétales et qui constitue la forme originale du roman.

De sa plume magistrale, trempée dans l’humour, la lucidité et le désenchantement, Fernando Aramburu raconte beaucoup plus que la vie d’un homme qui prétend n’avoir rien à raconter : comme dans le best-seller Patria qui l’a fait connaître au niveau international en 2018, l’auteur espagnol dissèque le singulier d’une vie sans grâce pour atteindre à l’universel en éclairant les petits et grands travers de nos sociétés. Jamais il ne tombe dans la facilité des dénonciations gratuites et chaque paragraphe est l’occasion, l’air de rien, de croquer la vie dans ce qu’elle a de plus cruel et de plus beau. Comme un peintre impressionniste qui décrirait, à petites touches précieuses, un monde entre gris clair et gris foncé, Fernando Aramburu pose çà et là de petits traits de couleur, synonymes d’espoir et de foi en l’humanité : l’amitié, l’amour, la nature sont autant de raisons d’y croire et de poursuivre le douloureux chemin, quoi qu’il en coûte. Les martinets, ces oiseaux de passage qui donnent son titre au roman sont les symboles de cet espoir toujours en marche, de cette philosophie que l’auteur résume magnifiquement dans cette phrase :

Je ne suis pas catholique, je ne suis pas marxiste, je ne suis rien, juste un corps dont les jours sont comptés, comme tout le monde. Je crois en certaines choses qui me réjouissent, quotidiennes et visibles. Je crois en certaines choses comme l’eau et la lumière. Je crois en l’amitié de mon seul ami et aux martinets qui, en dépit de l’air pollué et du bruit, arrivent à tire-d’aile dans la ville, même si je soupçonne qu’il y en a de moins en moins, au fil des années.

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Chroniqueur : Alain Llense

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