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Peut-on reconstruire une vie ? Peut-on accéder à la résilience quand le sort vous malmène jusqu’à vous priver de tout ?
Le destin des familles Martell et Rubira s’inscrit sous la plume de Nicole Yrle dans les sombres années qui virent d’abord l’Espagne, puis la France ployer, l’une, sous la dictature franquiste, l’autre, sous le joug nazi après l’humiliation de la défaite.
De la Catalogne du sud ont fui, en février 1939, les Républicains à la recherche d’un asile de l’autre côté de cette “ligne de crêtes” géographique abrupte et glacée qui les séparait de leurs frères de langue et de coutumes, les Catalans du nord.
De cet épisode surnommé la “Retirada”, nous avons encore en tête les photos du sinistre camp de concentration que fut la plage d’Argelès, la mort d’épuisement et de faim du poète Antonio Machado à Collioure, les dessins d’Anton Clavé et les commentaires des journaux de l’époque stigmatisant “la racaille rouge”.
Nicole Yrle connaît son sujet, aussi bien que les événements évoqués et les lieux où elle situe l’action,
Son texte fluide et accessible se colore d’annotations réalistes sur les usages locaux, sur les descriptions des paysages.
Professeur de lettres classiques et catalanes de cœur, elle nous livre, de cette traversée tragique, un itinéraire précis et inhabituel, qui s’achève par un accueil si bienveillant qu’il ne peut être qu’anecdotique et exceptionnel.
Hier comme aujourd’hui, les immigrés et leur misère ne sont pas “persona grata” dans les pays où ils cherchent asile.
Et c’est bien le grand mérite de ce roman de nous amener à un inévitable parallèle entre les réfugiés de la guerre d’Espagne grelottant dans la neige, et ceux des guerres syriennes qui affrontent depuis une dizaine d’années, sur des esquifs de fortune, les eaux parfois impitoyables de la Méditerranée.
L’hostilité de leurs voisins chassera les Rubira et le précieux dépôt qui leur a été confié vers d’autres vallées, vers d’autres dangers dont “l’aïguat de 1940” des inondations terribles et si destructrices que des traces subsistent encore de nos jours, alors qu’un épisode tout aussi violent vient d’être vécu tout récemment dans les Alpes maritimes.
Face à tant d’adversité, on peut, bien sûr, se poser la question de la reconstruction des individus.
Dans le roman de Nicole Yrle, elle semble relativement facile pour les femmes portées par la puissance de l’amour maternel, même si celui-ci est incomplètement vécu, et par les enfants dont on connaît les capacités de résilience, tant soulignées par Boris Cyrulnik, et tout particulièrement pour Jordi. On voit d’ailleurs à travers le cheminement de ce semi-orphelin, le rôle d’ascenseur social que jouait encore l’école.
Ce sont les personnages masculins qui portent ici le plus lourd fardeau des années d’absence,
Et c’est dans la même souffrance que survivent Andreu le déporté et Bernat le prisonnier, l’homme du sud et l’homme du nord des terres catalanes, sur cette autre et fragile “ligne de crêtes” où tout individu blessé oscille entre l’espoir et le renoncement.

Christiane Sistac
contact@marenostrum.pm

Nicole Yrle ; « Lignes de crètes » ; Cap Béar éditions ; Perpignans, 07/2020 ; 297p. 18€

Retrouvez cet ouvrage sur le site de L’ÉDITEUR

Les inondations en Catalogne qui causèrent d’immenses dégats.

L’Aïguat de 1940 fut l’un des pires tragédies causée par ce que l’on appelle de nos jours un “épisode méditerranéen”. Ces inondations hors-normes causèrent 350 morts des deux côtés de la frontière entre le 16 et le 20 octobre 1940.

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